Texte critique - rapport Bouchard-Taylor

Section portant sur la langue

Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»

Le 22 mai dernier était déposé le rapport de la Commission sur les
pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles. Divers
aspects du rapport, surtout ceux portant sur l'égalité hommes-femmes
et l'interculturalisme, ont depuis été abondamment commentés dans les
médias. Une facette cependant un peu négligée médiatiquement est
celle concernant le traitement que les commissaires Gérard Bouchard et
Charles Taylor réservent à la question de la langue française et de
son rôle dans la société québécoise. Le rapport ne consacre que 3
pages à cette question sur les quelques 300 qui le constituent. Ces
quelques passages laissent le lecteur attentif sur sa faim.
Les commissaires ont pourtant pu constater de visu que, lors des
forums, la plupart des intervenants ont exprimé leur profond
attachement à «la langue française en tant que langue commune».
L'inquiétude qui existe concernant l'avenir de la langue française
était bien palpable chez de nombreux citoyens lors des forums. De
plus, les commissaires ont choisi d'interpréter le mandat qui leur
était confié de façon « large » : « [...] le mandat de la Commission
consistait à [...] revenir sur l'interculturalisme, l'immigration, la
laïcité et la thématique de l'identité québécoise». Pour toutes ces
raisons, le traitement expéditif de la question linguistique est
difficilement compréhensible.
Les éléments constituant la liste des points « inquiétants » et points
« rassurants » (les termes sont des commissaires) cités à la page 209
du rapport auraient gagnés à être développés davantage. Les points
inquiétants, en particulier, regroupent des données démographiques et
socio-économiques qui illustrent la faiblesse persistante du pouvoir
d'attraction du français au Québec ainsi que la position peu enviable
de cette langue sur le marché du travail. La signification de ces
points aurait méritée d'être expliquée clairement. Les données
démographiques citées, par exemple, indiquent une diminution lente
mais constante du poids des francophones au Québec jusqu'en 2001,
suivi d'une chute importante de près de deux points de 2001 à 2006
(changement brusque que les commissaires omettent de relever).
D'après une étude prévisionnelle du professeur Marc Termote datant de
2006, le pourcentage de francophones sera en baisse constante dans un
avenir prévisible, baisse qui sera plus ou moins rapide selon le
scénario prévisionnel retenu. Or, il est bien connu empiriquement que
la force d'attraction d'une langue est proportionnelle à l'importance
numérique relative de ses locuteurs face aux autres groupes
linguistiques; la décroissance du pourcentage de francophones par
rapport aux anglophones que l'on observe en 2006 et qui s'annonce pour
l'avenir indique que la force d'attraction du français, qui est déjà
faible (seulement environ la moitié des substitutions linguistiques
des allophones se font vers le français), ira en décroissant, au
profit de l'anglais.
Aux tendances lourdes énoncées dans les points inquiétants, on oppose
des points rassurants contenant surtout des données anecdotiques
reflétant des phénomènes ayant peu d'impact sur les variables
démolinguistiques ou peu d'effets structurants. En outre, cette
section contient certaines erreurs ou imprécisions qui font en sorte
que certains des points rassurants ne le sont guère : par exemple,
les commissaires citent une étude du professeur Jean Renaud portant
sur l'intégration des immigrants (« Ils sont maintenant d'ici » datant
de 2001), étude qui contient d'importantes erreurs méthodologiques qui
en invalident les conclusions. Plus loin, on se réjouit du fait que
la proportion d'allophones fréquentant les universités de langue
française soit passée de 42 % en 1986 à 52 % en 2004. On oublie
cependant de relever que depuis 15 ans, près de 66 % de la croissance
des effectifs des établissements universitaires de langue anglaise est
attribuable aux seuls étudiants allophones. Un autre point indique
que « entre 2001 et 2006, le nombre de francophones [...] venus
s'établir au Québec n'a jamais été aussi élevé (36 000) ». Cela est
tout simplement faux, car ils étaient 43 000 à faire la même chose
entre 1986 et 1991.
Dans leur analyse, les commissaires ont choisi de mettre sur un pied
d'égalité des éléments disparates et inégaux, cautionnant ainsi
l'impression qu'ils s'annulent et se neutralisent l'un l'autre, ce qui
n'est guère le cas. Cette méthodologie problématique mène Bouchard et
Taylor à tirer des conclusions abusives. Ils affirment, par exemple:
« Par rapport à cet arrière-plan, le tableau qui vient d'être esquissé
ne révèle pas de changements brusques, profonds, qu'on puisse
assimiler à un état de crise et qui appelleraient immédiatement des
mesures radicales (par exemple, imposer la fréquentation des cégeps
francophones, étendre la francisation aux petites entreprises, etc) ».
Notons que des mesures structurantes, comme rendre obligatoire la
fréquentation des cégeps de langue française ou franciser les petites
entreprises, sont d'emblée classées comme étant « radicales ». On se
demande bien pourquoi si ce n'est pour les discréditer par la magie du
vocabulaire. Il ne s'agit pas de défendre ces mesures dans ce texte,
mais pourrait-on tout simplement en discuter? La brusque chute du
poids relatif des francophones notée au recensement de 2006,
n'est-elle pas, au contraire, un « changement brusque, profond »
annonciateur de la « crise » qui a menée à la création de la
commission?
Pour terminer, on peut se réjouir que les commissaires aient constaté
qu'«étant donné l'importance que revêt la langue française au Québec,
tous y gagneraient à ce que l'Office québécois de la langue française
soit soustrait à toute possibilité d'ingérence politique ou à toute
apparence d'ingérence». Tous gagneraient, en effet, à ce que la
question de la langue française soit abordée de manière rigoureuse et
« ouverte ». Cela reste malheureusement à faire.
Frédéric Lacroix, PhD
_ Chercheur, Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA)


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    17 juillet 2008

    Le manque de rigueur d'un texte co-signé par le grand philosophe Charlot Taylor est une perle
    François Therrien