Toute cette semaine, il n'a été question dans les médias que du voyage du fils cadet du roi, Laurent (le fils aîné, l'héritier, j'en parlerai pour finir) au Congo, voyage effectué malgré la recommandation du gouvernement et du roi lui-même. L'affaire a été ébruitée par ce que l'on nomme chez nous «Le Palais», c'est-à-dire le roi ou quelqu'un de son entourage. Le premier ministre a reçu hier le prince pour lui signifier qu'il était libre mais qu'il ne pouvait continuer à espérer une dotation publique (de 26.000 €/mois), s'il continuait à en faire à sa tête. Sur cette réaction l'ensemble des partis politiques de gauche et de droite, flamands et wallons se sont mis d'accord.
Monarchie dit famille du roi. Mais que veut dire monarchie?
Mais comme le faisait remarquer une journaliste flamande hier à la RTBF, en admettant même que le prince soit privé de sa dotation, il continuera à être le fils du roi (même si très loin dans l'ordre de succession), à jouir donc d'un statut lié à l'existence d'une monarchie en Belgique, donc à posséder un statut politique et symbolique relativement important
Il y a quelques semaines, reflétant en cela le sentiment (absurdement) «royaliste» d'un grand nombre de partis wallons et francophones, Le Soir s'est ingénié à détailler par le menu les initiatives royales pour dénouer la crise belge actuelle.
Comme tout le monde j'avais au départ retenu l'affirmation d'un livre aussi central dans la politologie belge La décision politique en Belgique (paru en 1965), livre selon lequel le roi n'a plus qu'un pouvoir formel. Et puis, petit à petit, en tout cas pour ce qui est de Baudouin Ier, je me suis rendu compte qu'il n'en était pas ainsi. Certes, comme dans toute monarchie constitutionnelle le roi ne peut agir (au moins publiquement), qu'avec l'accord d'un ministre «qui par là-même s'en rend responsable» (devant le Parlement), le roi étant considéré comme «irresponsable» (ce qui ne veut pas dire qu'il est fou mais qu'il n'a pas de comptes à rendre devant le Parlement et qu'il ne peut poser, seul, aucun acte public valable politiquement ). Mais il peut avoir un énorme pouvoir d'influence. Cela a été le cas de Baudouin I qui a freiné tant qu'il pouvait le fédéralisme en construction. Qui a même fait envoyer des troupes en dehors du pays en 1990 (au Rwanda), fait assassiner Patrice Lumumba en janvier 1961, révoqué de fait des ministres etc. Si cela a bien été le cas de Baudouin et ses prédécesseurs, ce n'est plus le cas d'Albert II.
On peut comprendre que le même régime puisse donner un roi avec (dans les faits) beaucoup de pouvoir, ou un roi qui en est dépourvu.
Le monarque d'une monarchie constitutionnelle (toute monarchie est en un sens constitutionnelle, c'est ce qui différencie un tel régime du despotisme qui n'a aucun règle) et parlementaire (c'est ce dernier point qui rend seul différent une monarchie absolue d'une monarchie comme en Belgique), ne se différencie pas vraiment du monarque d'une monarchie d'ancien régime. La monarchie d'ancien régime est un régime dont la publicité chère à Habermas est exclue. Il n'y a pas de délibération publique. Rien n'est expliqué de la conduite des affaires et même si certains en prennent la responsabilité, ce n'est jamais le roi qui en est ouvertement responsable. Dans l'ancien régime, le roi est là aussi irresponsable de telle manière que les mauvaises décisions atteignent seulement le ministre du roi, non le roi lui-même appelé à durer à travers les générations comme le corps politique qu'il incarne (puis qu'incarnent ses successeurs: en France quand le roi était mort et tant que son fils ne lui avait pas succédé pleinement, la coutume voulait qu'on nourrisse un mannequin couronné, rite supposé signifier l'idée que le roi ne meurt jamais à l'instar du corps politique qu'il dirige, la France par exemple).
Dans un tel système, même devenu constitutionnel et parlementaire, étant donné aussi le vieux prestige lié aux personnes de la noblesse, on peut imaginer qu'un roi ait de l'influence car s'il ne peut agir publiquement, il est sans cesse en contact avec des gens qui, eux, agissent publiquement, et il peut les influencer, parfois fortement. Il peut alors ressembler vraiment à un roi absolu. Ce qui fut le cas de Léopold III dont les historiens disent qu'il «régnait et gouvernait» (alors qu'un monarque constitutionnel« règne mais ne gouverne pas»). Ce n'est clairement plus le cas aujourd'hui.
Le roi aurait-il plus de responsabilité lors des crises?
Certains constitutionnalistes estiment cependant que le roi est moins couvert dans les crises gouvernementales dans la mesure où il agit plus directement. Mais il agit plus directement seulement, malgré tout, en fonction de ce qui se dégage des rapports de force politique entre partis représentés au Parlement et dont la représentation a été modifiée aux élections. Son rôle d'arbitre est réel, mais dans une monarchie comme le Danemark ce rôle royal est tenu par un secrétaire d'Etat désigné par le Parlement. Le roi n'est donc pas nécessaire. De toute façon le roi actuel (qui a 77 ans), agit un peu comme son oncle le Prince Régent Charles (c'est-à-dire comme un vrai monarque constitutionnel et non comme un roi absolu que se croyait sans doute Léopold III) qui occupa la fonction de chef de l'Etat de 1944 à 1950, son frère Léopold III d'abord prisonnier des allemands, se trouvant alors dans l'impossibilité de revenir au pays sans une révolution qui se produisit quand même quand il finit par revenir quasiment six ans plus tard.
Le Soir a montré que le roi n'aimait pas tellement confier des tâches importantes au leader de la NVA, parti nationaliste flamand, qui est devenu le premier parti représenté au Parlement après avoir gagné les élections du 13 juin 2010 dans des proportions auxquelles on ne s'attendait pas. La NVA veut (à long terme), la suppression de la Belgique et de la monarchie belge. Mais elle consent à jouer le jeu politique démocratique pour y parvenir, jeu démocratique qui inclut en Belgique cet élément (en soi peu démocratique: en soi : je sais bien que les monarchies constitutionnelles encerclent leur roi de toutes sortes de grilles qui les empêchent d'avoir un vrai pouvoir, mais parfois son savoir-faire en coulisses, son prestige en dehors lui permet de franchir ces grilles). C'est un tort parce que, quelles que soient les qualités qui distinguent le roi dans la tâche qu'il mène même l'arbitrage qu'il semble effectuer pour le moment, est complètement dépendant (en tout cas pour le roi actuel Albert II (1), on n'aurait pas dit cela de ses prédécesseurs), en dernier ressort, du bon vouloir des présidents de partis que le suffrage universel a consacrés en leur donnant tel ou tel résultat au Parlement.
Le roi ne peut être partisan sauf de la Belgique
Et le roi - ce que, par exception par rapport à tout parti pris politique qui serait le sien, l'on ne peut pas lui reprocher en un sens puisque sa fonction est liée à l'existence du pays qui conditionne le maintien de son trône (et non l'inverse) (2) - agira donc malgré tout en fonction fatalement, de la solution qui sauve le mieux la Belgique ou la détricote le moins. Le roi est donc partisan, au moins à cet égard. Le Soir l'a fait savoir. Et il est vrai que la position politique du roi ressemble en effet à ce qui - je le regrette depuis toujours - est aussi la position d'une majorité des partis politiques wallons et francophones qui veulent sauver la Belgique à n'importe quel prix, même au prix de transferts importants de compétences de l'Etat fédéral aux entités fédérées, transferts auxquels ils s'opposent, alors que la Wallonie ne s'en tirera qu'en devenant autonome. Et transferts qui détricoteront encore plus gravement la Belgique dont les jours sont comptés, mais n'explosera pas brutalement, ses composantes étant quasiment des Etats avec vocation à le devenir de plus en plus. Et dont la séparation elle-même prendrait du temps, car personne ne veut qu'elle se produise violemment.
Peut-être aussi veulent-ils gagner du temps car on considère que la Wallonie, depuis qu'elle est autonome, a réussi à mettre en place une série de mesures pour lutter contre les difficultés économiques nées du fait qu'elle était minorisée dans l'Etat unitaire belge dominé par la Flandre.
En somme, en Belgique, d'une certaine manière plus personne ne croit en la Belgique et plus personne ne croit au roi. C'est une bonne chose car on n'imagine pas une nation dont tous les pouvoirs n'émaneraient pas. Or il n'y a pas de nation belge mais des nations appelées Wallonie et Flandre et une Région bruxelloise entre les deux. Qui doivent occuper le premier rang et se débarrasser d'une monarchie qui ne sert plus à rien. Le roi des Belges est âgé. Celui qui est appelé à lui succéder semble fort maladroit, voire même incapable. Mais du roi actuel lui-même, un homme politique expérimenté me disait il y a peu qu'il ne faut pas «un grand camion pour emporter tout ce qu'il comprend vraiment».
(1) La seule analyse vraiment substantielle de la crise belge jusqu'à janvier 2011, est le fait de jouralistes flamands (De Morgen) et wallons (La Libre Belgique).
(2) Pascal Zecha dans Les faces cahées de la monarchie belge C'est peut-être le meilleur article paru sur la monarchie en Belgique, signé par Pascal Zecha, ancien directeur de La revue nouvelle et trop tôt disparu.
Absurde monarchie belge
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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2 commentaires
José Fontaine Répondre
11 avril 2011Arango a montré les limites de la monarchie belge comme moyen d'unification. Si elle n'est pas la résultante d'une unité préalable, elle joue même le rôle inverse (comme en 1950 quand les Wallons voulurent chassèrent Léopold III du trône):
« Pourquoi les principaux adversaires se retrouvèrent-ils dans une telle impasse au cœur de l'été 1950 ? La réponse à cette question, c'est, comme le lecteur peut s'en rappeler, le chapitre I de ce livre qui la propose. Un monarque constitutionnel moderne est l'incarnation de la continuité historique et de l'identité nationales, mais il n'est capable de le réaliser que s'il existe déjà une tradition commune à chacun de ses sujets et que si le peuple dont il est la représentation forme un tout qui puisse se projeter dans une image claire et simple de ce qu'il est. En d'autres termes, le monarque est l'effet et non la cause de l'homogénéité et du consensus. Le problème du consensus est au cœur de la question royale. Pour le Belge moyen, l'affaire royale devint un concentré de tous les points sur lesquels la société belge était en défaut de cohésion - les contentieux ethniques, linguistiques, religieux et économiques discutés dans les chapitres précédents. » (*)
(*) Ramon Arango, "Leopold III and the Belgian Royal Question", The John Hopkins Press, Baltimore, 1961, pp. 212-213.
Notons que toutes les républiques ne sont pas présidentielles (et que Sarkozy est bien différent du général de Gaulle), que l'opposition Flamands/Wallons est l'opposition de deux sociétés différentes et, enfin, que la cadre en fait déjà confédéral des Etats fédérés de Belgique est conçu, géré (entre nous et avec les autres Européens), de telle manière qu'il a déjà solutionné les rapports avec l'Union européenne, même sans doute d'une future Belgique éclatée en trois. C'est très technique, mais cela marche depuis une vingtaine d'années...
Je suis frappé par la manière dont chaque peuple démocratique finit par résoudre ses problèmes, même le Québec face au Canada, étant bien entendu qu'il faudrait que le Canada reconnaisse son indépendance et non pas seulement qu'il est une nation, qu'il est différent etc.
Archives de Vigile Répondre
10 avril 2011Vous préférez un système Sarkozy ?
Y a pas beaucoup de choix, le défis est d'avoir une continuation du pouvoir dans les périodes chaotiques..
Les flamands sentent la soupe chaude, dans 20 ou 30 ans la natalité des wallons et des bruxellois à 95% francophones, les aura rattrapée..
Il ne faut surtout pas oublier que comme ici au Canada deux façon de voir la vie sont obligée par des lois de vivre ensemble..
Les germaniques flamands ou anglophones sont à l’opposé des latins et il est impossible, j'ai vécu les deux régimes, de les réconcilier.
Le roi des Belges est le garant de cette imposition de vivre ensemble et ce n'est pas en faisant comme les flamands obstacle à la monarchie qu'on résoudra le défis.
L'Europe ne peut se passer de Bruxelles, ville neutre et ne consentira jamais a démanteler la Belgique.
les flamands malheureusement se sont fait endormir par des dirigeants qui veulent surtout profiter du pouvoir...
Juste un exemple, avant 1970 il y avait 1 ministre de la santé Belge, maintenant il y en a 3 et 3 ministères complet qui ont pas ajouter un seul hôpital, mais une masse de gens bien payé...
En fait aucune des 2 communautés ne peut vivre séparément, trop petite, à l'encontre du Québec ou la possibilité de vivre séparément est beaucoup plus possible et probable dans le temps, le territoire et ses richesses le permettent...