Accepter la réalité

Industrie forestière en crise

COMMENT EN ARRIVERA-T-ON À ASSURER LA SURVIE DE L'INDUSTRIE SI LA FORÊT ELLE-MÊME PEINE À SOUFFLER ?
À l'heure où les préoccupations environnementales sont soulevées quotidiennement, que le développement durable se lit sur toutes les lèvres, que de plus en plus d'industries se tournent vers des solutions alternatives et écologiques, des personnalités liées à l'industrie forestière n'arrivent pas à changer d'époque.
Guy Chevrette, président du Conseil de l'Industrie Forestière du Québec et ancien ministre des ressources naturelles, prend des allures de dinosaure lorsqu'il rejette publiquement des mesures mises en place pour protéger l'environnement. Selon lui, ces mesures sont onéreuses et empêchent les industries de faire du profit. Dans le même ordre d'idées, Jean-Pierre Blackburn, ministre fédéral responsable de l'Agence de Développement économique du Canada pour le Québec, jette le blâme sur l'imposition de mesures environnementales pour justifier la crise forestière. Ce qu'ils suggèrent, c'est que l'industrie poursuivre ses pratiques qui mettent en péril la santé de nos forêts.
La souche du problème
Le bilan de la dernière année est catastrophique: plus de 7000 pertes d'emplois, de nombreuses usines ferment leurs portes temporairement ou de façon permanente et des régions entières craignent de voir leur économie s'écrouler. Loin de vouloir minimiser l'impact de la crise qui affecte les travailleurs, nous aimerions attirer l'attention sur la forêt, l'écosystème qui est à la source même de l'enjeu et qui est laissé pour compte dans le débat. Oui, il faut sauver les emplois ! Mais pour ce faire, il faut repenser la gestion de notre patrimoine forestier, il faut avoir une véritable vision à long terme pour garder nos forêts et nos régions debout. Or, on prélève actuellement de plus en plus d'arbres de nos forêts et les emplois, eux, se font de plus en plus rares.
Vraisemblablement, Guy Chevrette ne sait plus sur quel pied danser et n'ose surtout pas admettre la souche réelle du problème. Il n'hésite pas à blâmer les écologistes et les Premières Nations pour les pertes d'emploi, allant même jusqu'à affirmer que les politiciens du Québec sont trop sensibles aux pressions des groupes écologistes. Mais voilà désormais que de nouveaux facteurs, dictés par le marché, viennent affecter le porte-monnaie des compagnies. Durant des décennies, les compagnies ont omis d'investir pour améliorer l'efficacité des scieries, de développer la production de produits à valeurs ajoutées et de promouvoir la deuxième et troisième transformation. En plus, la hausse du dollar canadien, des coûts du pétrole et de l'électricité, la baisse de la demande provenant des États-Unis et le peu d'aide financière gouvernementale sont dorénavant pointés du doigt. Les propos de M. Richard Garneau, vice-président exécutif et exploitations chez Domtar le confirme. « D'une part, les coûts d'approvisionnement et de transformation des billes de sciage ont augmenté de manière substantielle au cours des dernières années affectant la position concurrentielle de nos usines de sciage. D'autre part, le ralentissement de la demande a fait fléchir considérablement les prix de vente des produits du bois au cours des derniers mois. «
Alors que le rapport indépendant de la Commission Colombe est venu dresser un portrait clair de la surexploitation des forêts, et qu'un virage a été proposé pour assurer la survie de ce secteur à long terme, M. Chevrette, lui, crie au loup et estime à 20 000 les pertes d'emplois possibles si le Chef Forestier annonce une autre baisse de 10% à 15% de la possibilité forestière.
Comment peut-il s'en remettre à cet unique facteur puisque cette année est presque une année record, avec une possibilité forestière qui s'élève à plus de 35 000 000 m3 ? S'est-il levé pour défendre les emplois en régions durant les dernières décennies, au moment même où la main d'œuvre a été remplacée par des machines plus rentables pour l'industrie ? A-t-il mis de l'avant des moyens significatifs permettant à l'industrie de favoriser la deuxième et troisième transformation ? Attend-il que toute l'industrie forestière s'écroule, comme s'est écroulée l'industrie de la pêche à la morue ? Si on ne change pas nos pratiques, c'est ce qui risque d'arriver, et les pertes d'emplois pourraient s'élever à coup de dizaine de milliers. C'est pourtant ce qu'il semble souhaiter en jouant à l'alarmiste afin de poursuivre en toute quiétude la surexploitation des forêts.
Compétitivité environnementale
Sur les marchés internationaux, cependant, la conscience environnementale augmente. Aux États-Unis et en Europe, les deux principaux marchés pour le bois, les pâtes et les papiers du Québec, la demande augmente pour les produits fabriqués dans le respect de l'environnement. L'immobilisme ou le retour en arrière vers des pratiques destructrices des forêts ne feront qu'encore plus mal à l'industrie et aux communautés qui en dépendent.
De plus en plus, les grandes compagnies étrangères tournent le dos aux compagnies irrespectueuses de l'environnement. Le Québec peut prendre une longueur d'avance, investir dans la foresterie responsable, protéger les forêts intactes et gagner un avantage sur ses compétiteurs tels l'Ontario ou le Brésil.
La fin de la récréation
Le rapport de la Commission Coulombe a mis en lumière un jeu qui durait depuis trop longtemps. On coupe davantage et plus rapidement que la forêt elle-même ne peut se régénérer. La forêt doit dorénavant être gérée comme un tout et non pas uniquement pour répondre au besoin de l'industrie.
Le gouvernement du Québec doit effectuer un virage important dans la gestion de la forêt publique et poursuivre le plus rapidement possible la mise en œuvre des recommandations de la Commission Coulombe. En plus d'un virage vers une gestion responsable de la forêt et la création d'aires protégées en forêts intactes, le gouvernement doit investir pour permettre aux communautés forestières de diversifier leur économie, et enrayer leur dépendance à ce secteur actuellement en crise. Les enjeux, tant environnementaux que sociaux, sont trop élevés pour céder à un lobby industriel. Monsieur Chevrette et Blackburn devront tôt ou tard accepter la réalité. Comment arriveront-t-ils à assurer la survie de l'industrie si la forêt elle-même peine à souffler ?
Mélissa Filion et Steven Guilbault
Les auteurs sont respectivement responsable de la campagne forêt et directeur de Greenpeace au Québec.


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