Anglais intensif au primaire: appel à la mobilisation citoyenne

Crise linguistique au Québec 2012


Collectif de parents du Bic et de Rimouski - Tout d'abord, précisons quelques petites choses d'entrée de jeu. Croyons-nous qu'il soit souhaitable pour quiconque d'apprendre une seconde langue? Oui. Croyons-nous que cela puisse ouvrir des portes? Fort probablement. Faut-il favoriser un apprentissage intensif, voire immersif? Assurément. Souhaitons-nous que nos enfants atteignent un jour la maîtrise d'une langue seconde? De toute évidence. Nous leur souhaitons même d'en maîtriser une troisième!
Mais faut-il, pour autant, faire de l'apprentissage de l'anglais la priorité de notre système d'éducation, en y ajoutant 400 heures intensives en sixième année du primaire, au détriment des autres matières? À cela, nous répondons fermement: non. Non, parce qu'au-delà des questionnements légitimes quant à la manière de procéder à un tel chambardement, c'est à son principe même que nous nous opposons.
Parce qu'imposer une mesure d'une telle ampleur pour tous les enfants du Québec, c'est d'abord et avant tout envoyer un message non équivoque: sans anglais, au Québec, point de salut! Et si, par malheur, nos enfants ne devaient retenir qu'une chose de cette demi-année in English, ce serait ce message.
Instrumentaliser l'éducation
Mais au fait, pourquoi tant d'empressement à «bilinguiser» nos enfants? Comme société, sommes-nous réellement sur la bonne voie en misant ainsi toutes nos cartes sur l'anglais? Quel objectif véritable poursuivons-nous? Celui de l'épanouissement personnel de chacun de nos enfants, vraiment? De leur ouverture sur le monde? Ou n'est-ce pas plutôt ce souci de prospérité économique dont parle la ministre qui nous guide ici?
En répétant à satiété qu'il est impératif de parler anglais pour percer le marché du travail, nous cautionnons par le fait même son anglicisation. Nous contredisons les efforts qui ont été faits pour le franciser et nous abdiquons devant cette escalade qui pousse bon nombre d'employeurs à exiger l'anglais pour des postes qui souvent, dans les faits, ne le requièrent pas. En région, par exemple, combien d'emplois nécessitent véritablement la maîtrise de l'anglais? Et qu'en est-il dans ces petites municipalités qui peinent à retenir leurs jeunes citoyens? Est-ce là que ces futurs enfants bilingues pourront réinvestir leurs nouvelles compétences linguistiques?
Mais plus encore, dire que nous formons les enfants pour qu'ils deviennent la main-d'oeuvre de demain (et pour cela prioriser l'anglais de façon démesurée), c'est subordonner l'éducation aux principes économiques et sociaux d'un néolibéralisme sujet à caution. C'est instrumentaliser l'éducation pour que celle-ci forme non pas des humains libres de penser le monde, mais des citoyens se satisfaisant du cadre qu'on leur a prévu comme monde. C'est ainsi détourner l'éducation du sens profond qu'elle devrait avoir, faire de chaque enfant un être curieux et autonome ayant accès à la connaissance.
Une corde de plus à son arc
Faut-il rappeler que maîtriser sa langue maternelle, savoir compter, être en bonne santé physique et mentale, être en mesure de comprendre les contextes historique, culturel et politique de notre société sont des apprentissages fondamentaux qui, eux, sont d'ordre primaire? Quand un enfant n'acquiert pas la maîtrise de l'un de ces éléments, non seulement c'est son avenir qui est menacé mais c'est toute la société qui risque tôt ou tard d'en payer le prix.
L'apprentissage d'une langue seconde, malgré ce qu'on peut en tirer de positif, demeure, le mot le dit, d'ordre secondaire. Il s'agit là d'une corde de plus à l'arc de nos enfants, mais cette corde ne justifie pas qu'on mette en péril le reste de leurs apprentissages, voire leur identité. Car au même titre qu'elle n'a pas pour mandat de former des sportifs de haut niveau ou des Picasso en herbe, l'école québécoise n'a pas pour mission de bilinguiser tous les enfants. À plus forte raison lorsque cette mesure menace, pour plusieurs d'entre eux, l'atteinte d'objectifs pédagogiques de base.
Et lorsque certains prétendent que le fait d'amputer d'une demi-année le temps d'apprentissage des matières de base ne menace pas les enfants en difficulté, que ceux-ci pourraient même en retirer un sentiment de réussite, nous rétorquons: pourquoi alors ne pas permettre à ces mêmes enfants d'accéder, eux aussi, aux différents programmes à concentration sportive ou artistique qui leur sont actuellement refusés? Ne seraient-ils pas susceptibles de vivre là également de belles réussites?
Des priorités à revoir
Pour toutes ces raisons, nous appelons non seulement les parents, mais toute la société à se mobiliser contre cette mesure. Mesure qui s'ajoute, faut-il le rappeler, à l'introduction récente de l'anglais en première année. Nous croyons que le ministère de l'Éducation doit revoir ses priorités à la lumière de la mission première de l'école et réévaluer l'importance démesurée qu'il accorde, depuis quelques années, à l'apprentissage de l'anglais langue seconde.
Nos enfants ne sont pas que «main-d'oeuvre» en devenir. Ils sont les hommes, les femmes, les visionnaires de demain. C'est à eux que revient l'immense défi, certes, de faire rayonner notre société, mais également d'en préserver la spécificité, l'identité. Et pour cela, ces enfants ont, avant toutes choses, besoin de savoir qui ils sont et d'où ils viennent. Car avant d'aller vers le vaste monde, c'est d'abord leur milieu qu'ils doivent connaître, leur culture. Après, seulement après, il sera bénéfique, pour eux comme pour nous, qu'ils deviennent bilingues ou même polyglottes et qu'ils partent conquérir le monde.
Mobilisons-nous. Il en va de l'avenir de nos enfants, de la survie de leur langue et, par ricochet, de l'identité de toute notre société. Et l'identité d'une société, comme celle d'un enfant, ça ne peut pas ne pas être primaire, donc, fondamental.
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Ont signé ce texte les parents suivants: Virginie Hébert, Valérie Jean, Ève Lavoie, Julie Quimper, Alain Martineau, Martine Fournier, Vincent Couture, Elen Garon, Claude St-Pierre, Alain Dion, Julie Roberg, Lucien Cimon, Véronique Fontaine, Sandra Vuaillat, Benoit Rochette, Rosalie Cyr, Jean-Claude Neault, Isabelle Bouillon, Éthel Gueret.


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