L' arrivée de Stéphane Dion à la tête du Parti libéral du Canada constitue à première vue une occasion en or pour Stephen Harper de consolider sa coalition conservatrice, mais pour combien de temps?
À brève échéance, le dénouement du congrès libéral de la fin de semaine diminue la capacité du PLC de faire le plein de votes progressistes au Québec comme ailleurs au Canada. Dans l'état actuel des choses à la Chambre des communes, le nouveau chef libéral pourrait ne disposer que de quelques mois pour changer son image au Québec et faire sa marque dans le reste du Canada. C'est vraiment trop peu, en particulier au Québec où le dénouement du congrès a eu un effet démobilisateur foudroyant sur les troupes libérales.
Stéphane Dion - qui était le second choix de la plupart des délégués du reste du Canada - n'était même pas le dernier choix de la vaste majorité de ses compatriotes libéraux du Québec samedi. Ils ont bouclé le congrès dans le camp du perdant. La défaite a ainsi trouvé les Denis Coderre et Martin Cauchon réunis chez Michael Ignatieff au dernier tour de scrutin.
Pour ces deux anciens ministres qui se voyaient dans la prochaine fournée d'aspirants au leadership de leur parti, le résultat est doublement amer. Le dénouement du congrès et la victoire d'un candidat québécois signifie qu'ils vont devoir sauter un tour, une perspective qui n'a rien pour les motiver à se dépenser pour Stéphane Dion.
On a beaucoup parlé de changement de génération pour décrire la victoire de M. Dion samedi. Dans les faits, ce n'est pas strictement par abnégation ou par admiration que la génération montante libérale du reste du Canada s'est ralliée aussi massivement à sa candidature. En assurant la victoire du seul candidat québécois en lice, les Martha Hall Findlay, Gerard Kennedy et autres ont réglé à leur avantage le cas de l'alternance à la tête du PLC.
Depuis samedi soir, Jack Layton doit se mordre les doigts d'avoir louangé Stéphane Dion au congrès néo-démocrate du mois de septembre. À l'époque, le chef du NPD avait affirmé qu'il était trop intègre pour avoir des chances d'être porté à la tête du Parti libéral. À tout prendre, les néo-démocrates auraient préféré affronter Michael Ignatieff, à cause de ses positions sur la guerre en Irak et sur la mission canadienne en Afghanistan. Mais Stéphane Dion constitue à leurs yeux un moindre mal par rapport à Bob Rae, susceptible d'aller piger dans les talles de son ancien parti dès les prochaines élections.
Pour le Bloc québécois, l'issue du congrès est une arme à double tranchant. Le grand succès d'estime remporté par Michael Ignatieff auprès des militants libéraux québécois, les antécédents progressistes de Bob Rae auraient rendu une victoire de l'un ou de l'autre plus imprévisible à gérer.
Avec Stéphane Dion, les stratèges bloquistes sont au moins en territoire connu, puisque le PLC a porté son choix sur le candidat le plus susceptible de renforcer les préjugés défavorables de l'électorat francophone à l'égard de leur parti. Mais la présence de M. Dion rend également moins probable une division du vote fédéraliste susceptible d'affaiblir les forces de Stephen Harper au Québec aux prochaines élections.
À la place, l'absence chronique du PLC à l'extérieur du Montréal, absence confirmée lors des élections complémentaires de la semaine dernière à Repentigny, pourrait faciliter la réélection des députés conservateurs actuels et à terme ouvrir la voie à de nouveaux gains. C'est notamment le cas en Estrie, un terreau habituellement fertile pour les bleus.
Ce n'est pas par pure coïncidence que pendant que les libéraux délibéraient en fin de semaine, le ministre fédéral des Finances Jim Flaherty confirmait qu'il entendait présenter une solution au déséquilibre fiscal dans son prochain budget. Le règlement du dossier est plus que jamais central à la stratégie électorale du gouvernement Harper.
D'un bout à l'autre du Canada, Stéphane Dion est identifié à deux dossiers: l'unité canadienne et l'environnement. Dans ce dernier cas, les libéraux se retrouvent sur une glace déjà encombrée par le Parti vert, le NPD et le Bloc québécois.
Mais toutes ces formations pourraient se retrouver sans rondelle d'ici à la prochaine campagne. L'opposition a mis tellement d'oeufs dans le panier du réchauffement climatique que l'on imagine mal que Stephen Harper ne profitera pas des quelques mois qui lui restent d'ici au budget du printemps et la chute possible/probable de son gouvernement pour tenter de corriger le tir sur la question. Après la nation québécoise et les fiducies, le premier ministre conservateur n'en est plus à son premier virage en épingle.
Sur le front Canada-Québec, la victoire de Stéphane Dion confirme que Stephen Harper a neutralisé l'explosif débat sur la nation québécoise. Ce week-end, il a dû se féliciter d'avoir associé directement M. Dion à la rédaction de sa fameuse motion. À titre de coparrain du texte adopté aux Communes la semaine dernière, le nouveau chef libéral est mal placé pour exploiter ce qui aurait pu être une grande vulnérabilité conservatrice dans le reste du Canada.
Mais sur un horizon plus vaste, l'arrivée de Stéphane Dion donne au premier ministre fédéral une raison impérative d'aider Jean Charest à gagner ses élections ou, encore mieux de son point de vue, d'aller aux urnes avant lui. Car rien ne pourrait rendre le nouveau chef libéral plus attrayant dans le reste du Canada, rien ne l'aiderait à mobiliser des votes fédéralistes au Québec autant qu'une victoire du Parti québécois et la perspective - aussi hypothétique soit-elle - d'un nouveau match référendaire.
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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