Avenir du mouvement souverainiste: l’indépendance sans le nationalisme

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Si l'indépendance ne se fait pas au nom de la nation, elle se fait en quel nom ?

J’avais 5 ans lors de l’échec du référendum de 1995, et, mis à part l’amertume de mon père, je ne me souviens pas très bien du moment. J’ai malgré tout grandi avec le sentiment qu’un rêve s’était brisé ce jour-là, de sorte qu’il m’arrive de me demander si l’indépendantisme en moi n’est pas plus hérité qu’autre chose.


Cet idéal a toutefois été ébranlé avec le temps. Comme pour d’autres, le point de bascule aura sans doute été l’épisode de la Charte des valeurs de 2013. D’un coup, j’avais l’impression que ma conception de l’identité québécoise ne cadrait plus avec la rhétorique nationaliste en vogue.


Plus ça allait, plus les positions du PQ me semblaient aller à l’encontre de l’époque. Héritier d’un mouvement qui s’inspirait des courants anticoloniaux d’Afrique et d’Amérique latine, le parti faisait désormais ses gains électoraux par la stigmatisation de symboles religieux issus d’ailleurs. Vous connaissez la suite de l’histoire. Pour une partie de ma génération, celui qui avait été jusqu’alors le porte-étendard de l’indépendance a perdu son attrait.


Et ce nationalisme qui devait contribuer à notre émancipation culturelle ressemblait de plus en plus à du chauvinisme.


Un nationalisme dépassé ?


En tant que principe politique faisant la promotion d’une identité culturelle, on peut admettre que le nationalisme puisse avoir ses qualités. C’est surtout vrai lorsqu’il est endossé par des minorités dont l’existence est menacée, comme c’est encore le cas avec certaines nations autochtones ou avec les francophones du ROC.


Mais alors qu’au Québec, cette fragilité culturelle se voit graduellement relayée à l’histoire, je ne pense pas être le seul à trouver que les élans nationalistes de certains détonnent trop souvent avec notre réalité. J’ai voyagé ici et là en Amérique, j’ai traversé le Canada en train. J’avoue ne m’être jamais senti dévalorisé par quiconque. Souvent, la réaction était même inverse. On enviait mes origines francophones.


On a ainsi tendance à croire que la mondialisation se fait à sens unique, que les jeunes générations s’américanisent à en oublier leur culture d’origine. La réalité est selon moi plus complexe. L’influence est parfois réciproque.


Je me souviens d’un truc que mon frère jumeau m’avait dit en me parlant d’un de ses collègues de la Silicon Valley qui s’était plaint de l’affichage en français au Québec. « Je lui ai juste demandé ce que ça lui ferait si des entreprises hispanophones venaient imposer la langue espagnole partout à San Francisco », me dit-il. « Il a compris et ne s’est plus jamais plaint. Des fois, j’ai surtout l’impression que les gens unilingues se sentent un peu tout nus quand ils ont de plus en plus affaire à des personnes qui parlent plusieurs langues. »


Drôlement, et peut-être pour la première fois de ma vie, je me suis ainsi trouvé d’accord avec Jonathan Trudeau dans sa chronique du 5 septembre, alors qu’il parlait d’indépendance. « Peut-être que si les donneurs de blâme et autres pourfendeurs de notre jeunesse s’appliquaient à comprendre celle-ci plutôt que de la dénoncer, ils jetteraient de nouvelles bases pour relancer leur projet », écrivait-il.


Relancer un projet


Comprenez-moi bien, se distancer du nationalisme ne veut pas selon moi dire qu’on devrait se détourner d’un passé ou d’acquis qui ont permis à la culture québécoise de vivre, tels que la loi 101. Je crois par contre qu’il faut aujourd’hui sortir le Québec de cette posture idéologique identitaire qui continue de se fondre dans un nationalisme vieillissant mal et qu’on retrouve autant chez certains partisans du PQ que de la CAQ.


Je suis même d’avis que le projet d’indépendance devrait faire dos à ce nationalisme. Je ne suis d’ailleurs pas le premier à soulever l’idée. L’économiste Simon Tremblay-Pepin y a dernièrement consacré un long article dans la revue Raisons sociales. Jonathan Livernois, spécialiste de l’histoire des idées, a abordé le sujet dans son essai La route du Pays-Brûlé en 2016. Après Octobre 1970, même Fernand Dumont avait écrit dans La vigile du Québec que s’il « [penchait] plutôt vers la solution séparatiste, [c’était] paradoxalement par réaction contre tout nationalisme étroit, qu’il vienne d’ici ou d’Ottawa ».


L’idée existe donc, et pour relancer le projet, nous n’aurons pas le choix de la considérer. Je pense comme Tremblay-Pepin qu’il nous faudrait aussi miser davantage sur les problématiques causées par notre dépendance à un modèle fédératif beaucoup trop hiérarchique et centralisé. Un modèle vieux de 150 ans, soit dit en passant (certains se réjouissent bizarrement de cette vétusté). J’ajouterais la question de notre dépendance écologique, d’autant plus préoccupante maintenant que Justin Trudeau a réaffirmé son appui au projet Trans Mountain.




♦ Bobby A. Aubé a une maîtrise en littérature. Il vit et travaille à Québec. Il a publié dans les pages de plusieurs médias imprimés comme Le Devoir, La Presse et le Toronto Star.