Bilan politique Ottawa: l’effritement de la mi-mandat

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Pee Wee Trudeau perd des plumes

S’il fallait n’en croire que les sondages, on pourrait dire que tout va bien. Arrivés à la mi-temps de leur mandat de quatre ans, les libéraux fédéraux trônent encore confortablement au sommet des intentions de vote et leur chef, Justin Trudeau, est toujours aussi prisé sur les réseaux sociaux. Mais les premiers signes d’effritement ont commencé à se faire sentir en 2017. Plusieurs ministres terminent l’année avec des meurtrissures.



Justin Trudeau a entamé 2017 en remaniant son cabinet. L’exercice avait surtout pour but de mieux arrimer son gouvernement à celui de Donald Trump, désireux de renégocier l’ALENA. Stéphane Dion et John McCallum ont été propulsés dans la sphère diplomatique, tandis que Chrystia Freeland est devenue la superministre des Affaires étrangères. Mais le premier ministre en a profité pour déplacer des éléments sous-performants.



C’est ainsi que Maryam Monsef, qui avait fait l’unanimité contre elle pour sa gestion de la réforme électorale, a été rétrogradée. Mais si Justin Trudeau espérait se débarrasser d’une épine au pied, il aura été déçu. Les critiques ne se sont qu’amplifiées lorsque la remplaçante, Karina Gould, a annoncé à peine un mois plus tard que la réforme n’irait pas de l’avant.



Mélanie Joly a vécu un automne particulièrement difficile en dévoilant fin septembre sa politique culturelle et les modalités de l’entente avec Netflix. Elle a fait tellement l’unanimité contre elle qu’il n’est pas rare, dans les émissions enregistrées devant public, d’entendre la foule pouffer de rire à sa seule mention.



La non-taxation de Netflix est devenue le paratonnerre d’une dénonciation plus large de la décision d’Ottawa de permettre aux géants du Web de continuer à opérer en marge de la réglementation canadienne (sans obligation de production de contenu canadien ou de quota francophone). Même le mutisme de la politique culturelle sur l’aide aux médias écrits ou les moyens de pallier le déclin des redevances artistiques dans une industrie dématérialisée ont été occultés par l’entente Netflix.



Lasse des critiques, Mélanie Joly a fini par renvoyer les mécontents à son collègue Bill Morneau, qui en avait déjà plein les bras avec sa réforme fiscale et les accusations de conflit d’intérêts pour cause de non-placement des actions de l’entreprise familiale dans une fiducie sans droit de regard.



La ministre du Revenu, Diane Lebouthillier, a elle aussi été malmenée pour avoir donné l’impression de ne pas toujours savoir ce qui se passait à l’Agence du revenu du Canada (ARC). Lorsque l’ARC a fait savoir qu’elle considérerait désormais les rabais sur la marchandise consentis aux employés comme un avantage imposable, Mme Lebouthillier a soutenu que les lois n’avaient pas changé. Elle a servi la même parade lorsque les personnes diabétiques se sont plaintes de se faire refuser un crédit d’impôt auquel elles avaient droit auparavant. Mme Lebouthillier a dû dans les deux cas demander à l’ARC de revoir ses règles interprétatives.



Le ministre des Sports et des Personnes handicapées, Kent Hehr, s’est pour sa part fait reprocher un manque d’empathie. Il a lancé à des victimes de la Thalidomide qu’elles n’étaient pas les seules à souffrir. À une commettante qui demandait pourquoi Ottawa se battait contre des femmes malades comme elle s’étant fait refuser des prestations pendant leur congé de maternité, le ministre lui a répondu : « C’est un peu comme demander : “Quand avez-vous cessé de battre votre femme ?” » En politique, il s’agit d’une boutade ancienne pour dénoncer les questions tendancieuses. M. Hehr, qui avait déjà été rétrogradé au second remaniement ministériel de M. Trudeau, s’est excusé en reconnaissant être parfois « effronté » et « inapproprié ».



Quelques dissensions



Justin Trudeau lui-même n’est pas en reste en devenant le premier premier ministre canadien de l’histoire à officiellement avoir été reconnu coupable d’avoir enfreint une loi. Juste avant son départ à la retraite, la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mary Dawson, a rendu public un rapport accablant concluant que M. Trudeau a violé la Loi sur les conflits d’intérêts en acceptant pour lui ou sa famille deux voyages sur l’île privée de l’Aga Khan en 2016.



Cela est sans compter que son choix de commissaire aux langues officielles, la libérale ontarienne Madeleine Meilleur, a suscité tant de critiques que cette dernière s’est désistée. L’épisode a discrédité le nouveau processus de nomination mis en place par les libéraux qui devait mettre un terme aux nominations partisanes.



Quelques lignes de fracture sont aussi apparues parmi les élus québécois du Parti libéral. Les ministres Marc Garneau et Jean-Yves Duclos ont rompu les rangs en soutenant que ce n’était pas le rôle d’Ottawa d’intervenir pour faire invalider la loi québécoise sur la neutralité religieuse, alors que M. Trudeau reste ambivalent sur le sujet. Et les députés Pierre Paradis et Nicola Di Iorio ont cru bon faire une sortie publique pour inciter leur chef à choisir un Québécois comme juge en chef à la Cour suprême (ce qu’il a finalement fait).



Malgré ces couacs, le PLC reste très populaire dans les intentions de vote. Dans le dernier coup de sonde Léger-Le Devoir publié au début du mois (avant le rapport de Mme Dawson), les libéraux trônaient à 40 %, contre 34 % pour les conservateurs et 13 % pour les néodémocrates. Des 11 élections partielles qui se sont tenues cette année, les libéraux en ont remporté 7, dont 2 circonscriptions détenues auparavant par les conservateurs (Lac-Saint-Jean et Surrey-Sud–White Rock). À titre de comparaison, il y a eu 31 élections partielles au cours du règne de neuf ans de Stephen Harper. Les conservateurs avaient ravi à l’adversaire quatre sièges.



Une opposition restructurée



2017 a été une année de réorganisation de l’opposition à la Chambre des communes. Exception faite du Parti vert, toutes les formations se sont dotées d’un nouveau chef.



Martine Ouellet a été couronnée après le désistement-ralliement de son unique rival, le député fédéral Xavier Barsalou-Duval. Sa décision de pratiquer le « transparlementarisme », c’est-à-dire de conserver son siège à Québec jusqu’au scrutin de 2018, a été raillée. Lorsqu’elle a annoncé qu’elle recentrerait le Bloc québécois sur la promotion de la souveraineté du Québec, son prédécesseur Gilles Duceppe l’a prévenue qu’il ne fallait pas négliger les autres enjeux débattus à Ottawa. « Il faut se prononcer sur tout, parce qu’on paie sur tout. » Son arrivée — et le choix de ses conseillers — a fracturé le caucus, qui s’est finalement rallié à la chef après une réunion de quatre heures.



Du côté conservateur, contre toute attente, le député de Beauce Maxime Bernier n’a pas réussi à se faire élire chef. Sa candidature a été plombée par son rejet de la gestion de l’offre. Il a mordu la poussière devant l’ancien président de la Chambre des communes Andrew Scheer. Le député Brad Trost, un candidat pro-vie qui ne considère pas l’homosexualité comme « morale », s’est rendu jusqu’au 11e tour de la course.


Photo: Sean Kilptarick La Presse canadienneJagmeet Singh a été élu chef du Nouveau Parti démocratique.



Enfin, Jagmeet Singh a raflé la mise au NPD, malgré le malaise que sa candidature créait chez certains militants québécois. Sa sortie en faveur de juges autochtones non bilingues à la Cour suprême l’a obligé à rectifier le tir. Tout comme Martine Ouellet, M. Singh a fait le choix de ne pas briguer un siège à la Chambre des communes, mais il a, lui, renoncé à celui qu’il détenait sur la scène provinciale.



Du pain sur la planche



La liste des promesses non réalisées des libéraux n’est pas encore épuisée. En début d’année, la ministre de la Justice doit déposer son projet de loi faisant le ménage dans les peines minimales instaurées par les conservateurs dans le Code criminel.



Les conversations avec les provinces sur la taxe sur le carbone devront aboutir. La ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, leur laisse jusqu’à la fin de l’année pour concocter un plan de tarification du carbone sur leur territoire. Si le plan n’est pas jugé assez musclé, Ottawa imposera sa propre taxe de 10 $ la tonne de carbone, prix qui atteindra 50 $ en 2022. Pour l’instant, seuls le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta ont réussi le test. La Saskatchewan a menacé de contester la taxe fédérale devant les tribunaux si elle lui est imposée.


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