Brasser du vent

Industrie éolienne



En investissant 5,5 milliards pour ajouter 2000 mégawatts d'énergie éolienne à son réseau électrique, le Québec entreprend un virage important, extrêmement positif, en misant sur une énergie renouvelable, encore plus propre que l'eau.

Mais la pertinence du choix éolien ne justifie pas l'enflure verbale et les demi-vérités. On brasse pas mal trop de vent quand on parle d'éolien. Le fait que le Québec fasse le bon choix en misant sur l'éolien ne fait pas du Québec la huitième merveille du monde et n'efface pas le fait que cette filière comporte aussi des désavantages et des coûts.
Dans la plupart des sociétés, l'énergie éolienne permet de remplacer de l'énergie sale, comme du charbon, ou suspecte, comme du nucléaire, par une énergie renouvelable qui ne produit aucun effet de serre. Ce n'est pas le cas au Québec, où le vent ne remplace rien, et s'ajoute plutôt à une forme d'énergie déjà très propre et renouvelable, l'énergie hydraulique. Ce n'est pas non plus le choix le plus vert. Ce serait plutôt, comme le rappelait hier mon collègue François Cardinal, les économies d'énergie et la réduction de notre consommation.
Le choix de l'éolien n'est pas non plus neutre, comme en rêvaient les adeptes de la pensée magique. D'une part, en raison des impacts peu durables sur les communautés de ces structures industrielles géantes. Et d'autre part, en raison de son prix. Cette énergie est chère. Hydro paiera en moyenne 10,5 cents par kilowattheure aux 15 producteurs qu'elle a retenus après le processus d'appel d'offre. C'est beaucoup plus que le coût de ses centrales, 2,79 cents le kwh, plus que les 5 ou 6 cents des projets les plus récents, une fois et demie plus que les 6,8 cents que paient les consommateurs. Il faut quand même le rappeler.
Il est vrai, qu'au Québec, le fait de produire plus que nos besoins nous permet d'exporter chez nos voisins. C'est payant. Et il y a des bénéfices environnementaux, parce que ces exportations permettent de réduire la production d'électricité thermique en Ontario ou aux États-Unis. Mais il ne faut pas croire que le Québec va devenir un exportateur d'énergie éolienne. À l'heure actuelle, Hydro obtient 10,1 cents par kwh qu'elle exporte. En exportant du vent, qui lui revient 10,5 cents, elle perdrait de l'argent.
Bien sûr, les choses sont plus complexes. Ces 2000 mégawatts, qui porteront à 4000 mégawatts le parc éolien québécois pemettront à Hydro-Québec de diversifier son portefeuille. Cette énergie, dont le principal défaut est de dépendre du vent, et donc d'être irrégulière, s'intègre bien à un réseau hydroélectrique. Ces projets permettront aussi au Québec de développer une expertise qu'il n'a pas.
On le voit bien au résultat de l'appel d'offres: la moitié des 20 000 mégawatts sera produite par un groupe dont l'actionnaire majoritaire est Électricité de France, et les 15 projets fonctionneront avec des turbines allemandes. Enfin, si l'éolien est cher maintenant, il deviendra plus avantageux à mesure que les nouvelles centrales hydrauliques seront plus coûteuses.
Il n'en reste pas moins que l'empressement et l'enthousiasme du Québec pour l'éolien a quelque chose d'un peu suspect. Et cela s'explique par le contexte politique dans lequel s'est fait le choix de la filière éolienne. Il y a quatre ans, le projet du Suroît, une centrale au gaz naturel, a suscité une si vive opposition que le gouvernement Charest l'a abandonné. Il s'est ensuite lancé à pieds joints dans l'éolien pour se refaire une virginité.
Depuis ce temps là, on joue à fond la carte éolienne, en partie parce que cela donne une image verte, au point d'oublier que le Québec est d'abord un paradis de l'hydroélectricité. «Le Québec est reconnu à l'échelle mondiale comme une référence en matière d'énergies vertes et renouvelables», a dit le premier ministre Jean Charest cette semaine. Il y a un pluriel de trop dans cette phrase, parce que si le Québec est une référence, c'est pour une forme d'énergie verte, ses 40 000 mégawatts d'hydraulique.
On peut soupçonner qu'Hydro a fait le même calcul politique. Si la société d'État a surmonté ses réticences initiales face à l'éolien, c'est en partie parce que la technologie a évolué et que le contexte économique a changé. Mais c'est aussi parce que les éoliennes modifient les perceptions et lui permettent de mieux faire accepter le gros morceau, les 25 milliards d'investissements dans ses centrales.
Pour le gouvernement du Québec et sa société d'État, l'éolien serait en quelque sorte l'enrobage sucré qui aide à faire passer une pilule hydroélectrique qui, autrement, serait amère.


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