Londres | Boris Johnson a engagé un nouveau bras de fer avec le Parlement britannique mercredi, après une défaite humiliante la veille sur sa stratégie du Brexit: les députés doivent se prononcer sur une loi visant à empêcher une sortie sans accord de l’Union européenne, envisagée par le premier ministre.
Si les députés votent en faveur de ce texte de loi, et donc contre le gouvernement, Boris Johnson a déclaré mercredi qu’il soumettrait au vote de la Chambre des Communes une motion pour convoquer des élections législatives anticipées le 15 octobre. Ce texte devra toutefois recueillir deux tiers des voix pour être adopté et il a peu de chances de l’être puisque le Labour, principale formation d’opposition, a déjà appelé à le rejeter.
Boris Johnson a promis de faire sortir le Royaume-Uni de l’Union européenne le 31 octobre, avec ou sans accord de retrait conclu avec Bruxelles. Lors d’un référendum en 2016, les Britanniques avaient voté à 52% en faveur d’un divorce avec l’UE. Mais le sujet divise profondément la société britannique et une nouvelle manifestation anti-Brexit était prévue en fin d’après-midi devant le Parlement.
Suspension «légale»
En parallèle de la bataille dans la Chambre des Communes, des élus anti «no deal» s’en sont remis aux tribunaux.
La plus haute instance civile d’Écosse a rejeté mercredi une action intentée par 75 parlementaires pro-européens visant à bloquer la suspension du Parlement, décidée par Boris Johnson. Le juge Raymond Doherty a estimé que cette affaire relevait «du domaine de la politique et de la prise de décision, ce qui ne saurait être évalué par des critères légaux, mais seulement par des jugements politiques».
Boris Johnson s’est attiré les foudres de nombreux députés en décidant de suspendre pendant cinq semaines le Parlement, jusqu’au 14 octobre, leur laissant très peu de temps pour s’opposer à un «Brexit dur».
Deux autres actions en justice sont encore en cours, dont l’une examinée jeudi à Londres.
«Johnson perd le contrôle»
La décision de justice est une toute petite bouffée d’air pour Boris Johnson, après une journée infernale pour lui mardi au cours de laquelle il a perdu sa majorité absolue avec la défection d’un député avant d’être désavoué par une majorité d’élus; ils ont approuvé par 328 voix contre 301 une motion leur permettant de prendre le contrôle de l’agenda parlementaire, normalement détenu par le gouvernement.
Grâce à cette motion, ils vont présenter mercredi en fin de journée un texte de loi contraignant le premier ministre à demander à l’UE un nouveau report du Brexit au 31 janvier 2020, au cas où aucun accord de retrait ne serait conclu avec Bruxelles dans les prochaines semaines. La Chambre des Communes doit voter en début de soirée.
L’humiliation a été d’autant plus cuisante pour le dirigeant que 21 députés de son propre Parti conservateur l’ont défié et ont voté avec les élus de l’opposition. Ces rebelles - dont Nicholas Soames, le petit-fils de Winston Churchill, idole de M. Johnson, ou l’ex-ministre des Finances Philip Hammond -, ont été expulsés du parti dans la foulée.
Mercredi matin, la plupart des éditorialistes britanniques estimaient que Boris Johnson avait «perdu le contrôle» sur le processus du Brexit.
«Personne ne le croit»
Si les parlementaires anti-«no deal» parviennent bien à imposer un report du Brexit, Boris Johnson soumettra au vote de la Chambre une motion pour convoquer des élections législatives anticipées.
Estimant qu’un tel report serait «une capitulation», le premier ministre a mis au défi le leader de l’opposition, Jeremy Corbyn, de soutenir la tenue d’élections le 15 octobre «afin de permettre au peuple de ce pays d’exprimer son opinion».
Le scrutin aurait ainsi lieu avant le sommet européen des 17 et 18 octobre à Bruxelles. Mais l’opposition, qui veut également des élections dans l’espoir de conforter sa position dans la Chambre, redoute que Boris Johnson ne repousse le scrutin au dernier moment, après le 31 octobre, obligeant ainsi à une sortie sans accord.
«Le niveau de confiance en Boris Johnson est très, très bas», a déclaré Keir Starmer, le responsable du Brexit au sein du Parti travailliste, principale formation de l’opposition. «On veut une élection générale», mais «on ne votera pas avec Johnson aujourd’hui», a-t-il déclaré à la chaîne de télévision ITV.
«La stratégie évidente pour l’opposition est de laisser le gouvernement mijoter», a estimé devant des medias John Curtice, professeur de sciences politiques à l’Université de Strathclyde. Il faudra voir ensuite «si Boris Johnson trouve d’autres moyens pour organiser une élection».
5 moments insolites du débat fou fou fou au Parlement
Le Parlement et le gouvernement britanniques sont en plein psychodrame depuis mardi, opposés sur ce que doit être le Brexit, et les passions déchaînées produisent des moments inattendus.
«Merde»
Le mot «shit» (merde) a résonné mercredi dans la vénérable enceinte du Parlement aux banquettes de cuir vert. C’est Boris Johnson qui l’a utilisé pour qualifier le programme économique de l’opposition travailliste.
Un écart de langage inhabituel, mais pas le seul de sa part. Le premier ministre conservateur s’en est aussi pris nommément à «Jeremy Corbyn», le chef du Labour, s’attirant un sec rappel à l’ordre du président (speaker) de la Chambre des communes, John Bercow, pour ce crime de lèse-étiquette: les noms de personnes ne doivent jamais être utilisés dans les interventions, seulement les fonctions ou l’expression «Mon Honorable Collègue».
Rees-Mogg sur sa banquette
Le très pincé Jacob Rees-Mogg, europhobe convaincu chargé des relations entre la Chambre basse et le gouvernement, a allongé nonchalamment ses jambes dans son costume croisé rayé sur une banquette du Parlement, tête mi-renversée, pendant que les députés débattaient avec ardeur du Brexit.
L’opposition y a vu un comportement «méprisant» envers la démocratie. Les internautes se régalaient, eux, à coup de photos travaillées comparant la forme du corps allongé de Jacob Rees-Mogg à la courbe descendante, au choix, de la livre sterling ou du nombre d’adhérents de son Parti conservateur.
Geoffrey Cox cherche son chien
Pendant que le premier ministre s’escrimait à convaincre les députés de soutenir sa vision du Brexit faute de quoi il organiserait des élections anticipées, l’attorney general Geoffrey Cox, conseiller du gouvernement sur les questions juridiques, retweetait un appel à l’aide pour retrouver une portée de chiots épagneul volés, photo à l’appui. «Chacun ses priorités», a commenté un internaute.
Phillip Lee franchit le Rubicon
En plein discours du premier ministre, le député conservateur Phillip Lee a choisi de faire défection spectaculairement en franchissant la travée centrale qui sépare gouvernement et opposition, pour aller s’asseoir sur les bancs d’en face, à côté du petit parti europhile des Libéraux démocrates. Résultat: Boris Johnson perd sa majorité absolue.
Churchill viré du parti
Nicholas Soames, le petit fils de Winston Churchill mis à la porte du Parti conservateur... De quoi se faire retourner dans sa tombe le chef du gouvernement qui mena la Grande-Bretagne à la victoire pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ironie supplémentaire: c’est Boris Johnson, fan de l’ancêtre sur lequel il a écrit un livre, qui a décidé de renvoyer du parti tous les députés tories qui voteraient contre sa gestion du Brexit, ce qui a été le cas de Nicholas Soames.