«C’est le chaos en forêt», dénonce l’opposition

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Le désastre forestier libéral

Des élus et des experts dénoncent la loi du plus fort qui semble s’être imposée en forêt québécoise, après des reportages du Journal révélant l’incohérence entre les projets de conservation et les coupes forestières.


« C’est le chaos en forêt », lance le député péquiste Sylvain Roy, porte-parole de l’opposition officielle en matière de forêts, faune et parcs.


« Le problème, c’est que les ministères travaillent en vase clos. Ils ne se parlent pas et ne vont pas sur le terrain », complète le député Éric Lefebvre, porte-parole de la CAQ en matière de forêts.


Tenir compte de tous


Mercredi, Le Journal rapportait que le ministère des Forêts prévoit des coupes forestières sur une pourvoirie où Environnement Québec étudie un projet d’aire protégée.


La planification forestière « va à l’encontre des besoins des régions », gronde M. Roy. Pour remédier au problème, il appelle à prendre en compte les intérêts de tous les acteurs dans la planification forestière.


L’exemple américain


L’historien Éric Alvarez, ancien ingénieur forestier, cite la forêt nationale de Colville dans l’État de Washington, aux États-Unis. Là-bas, il n’y a pas de calcul de possibilité forestière ni d’allocation de volume de bois aux compagnies, contrairement à ce qu’on observe en forêt québécoise.


Les arbres de cette forêt modèle sont considérés comme un écosystème à protéger, sans que la protection empêche complètement les coupes. Au contraire, la forêt de Colville sera celle qui fournira le plus de bois de construction de toutes les forêts de la côte ouest américaine cette année.


Pour parvenir à un tel résultat, le USDA Forest Service travaille sur le terrain avec une coalition regroupant les industriels et les écologistes, et les décisions sont prises par consensus.


Le Québec a tenté d’intégrer cette philosophie en créant les tables de Gestion intégrée des ressources et du territoire (GIRT), qui regroupent tous les acteurs de la forêt. Mais « les tables GIRT ne livrent pas la marchandise », estime le député Roy.


« Les tables GIRT sont dominées par le ministère et les forestières. Les autres acteurs, même les MRC, n’ont aucun pouvoir d’influence », déplore Ève Tremblay, qui milite pour la sauvegarde de la forêt au Saguenay–Lac-Saint-Jean.


IMPORTANCE ÉCONOMIQUE DU SECTEUR FORESTIER



  • 57 778 emplois (2016)



  • 2,5 G$ en salaires (2015)



  • 6,1 G$ contribution au PIB (2016)


IMPORTANCE ÉCONOMIQUE DU SECTEUR TOURISTIQUE



  • 350 000 emplois (2015)



  • 3,8 G$ en salaires (2015)



  • 9 G$ contribution au PIB (2015)


REVENUS ET DÉPENSES DE L’ÉTAT POUR LE SECTEUR FORESTIER



  • 292,3 M$ (2016-2017) revenus tirés de la vente de volumes de bois et de la redevance annuelle forestière



  • 499,7 M$ (2016-2017) dépenses liées aux chemins, à la lutte contre la tordeuse du bourgeon de l’épinette, aux feux, etc.



  • 4,2 M$ (2016-2017) dépenses du bureau du Forestier en chef


SOURCES : MFFP, MINISTÈRE DU TOURISME


LES RÈGLES DU JEU DOIVENT CHANGER



Bertrand Schepper

Chercheur IRIS


L’année dernière, le ministère des Forêts a dépensé 200 M$ de plus en forêt que ce qu’il a reçu en redevances. Cette situation qui perdure depuis des années appelle à changer les règles du jeu en forêt, estime le chercheur Bertrand Schepper, de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS).


Toutefois, ceci « implique inévitablement des perdants au sein de l’industrie. Mais on n’est pas capables de l’accepter. On préfère encore saupoudrer de l’argent partout », critique l’expert en finances publiques.


« On donne la forêt en cadeau aux entreprises. C’est de l’argent qui ne va pas aux communautés, mais dans les poches des actionnaires », dénonce l’ex-maire de Chertsey et secrétaire de l’organisme Éco-Corridor Kaaikop-Ouareau, qui milite pour la création d’aires protégées dans Lanaudière et les Laurentides.


L’historien Éric Alvarez, auteur du blogue La forêt à cœur, rejette toutefois cette « vision comptable de l’histoire ».


« La foresterie a permis aux Québécois de s’ancrer dans le territoire, c’est tout le contraire d’une dépossession », insiste-t-il.


Activité structurante


« L’occupation du territoire et les emplois restent un argument pour certaines régions ; pensons à La Tuque, par exemple, admet M. Schepper. Mais on ne crée plus de nouvelles villes pour extraire le bois ; c’est maintenant le “fly in fly out” qui domine. »


Selon cette logique, les travailleurs forestiers, comme ceux des mines, sont logés dans des camps éphémères le temps des contrats, mais n’investissent rien sur place.


En revanche, conserver la forêt pour le tourisme et la villégiature assure des revenus et des investissements à long terme en région, souligne M. Surprenant.


« La valeur des propriétés avoisinantes des aires protégées augmente de 6 à 32 % ; c’est énorme, indique-t-il. Ça se traduit en autant d’augmentation des revenus municipaux et c’est prévisible, pas fluctuant comme l’industrie. »


L’industrie touristique assure par ailleurs six fois plus d’emplois au Québec que l’industrie forestière.