Rafinerie située à Basra, au sud de Bagdad (Photothèque Le Soleil)
On ne peut pas dire que le ministre australien de la Défense, Brendan Nelson, ait inventé la poudre. On n'a donc pas vraiment été surpris quand il a lâché, au mois de juillet, que le véritable motif de l'invasion de l'Irak était le pétrole : «Évidemment, le Moyen-Orient, et pas seulement l'Irak, mais la région tout entière, est un important fournisseur d'énergie, de pétrole en particulier, pour le reste du monde. Les Australiens, et nous tous, devons bien songer à ce qui arriverait en cas de retrait prématuré des troupes [postées] en Irak.»
Ce bon vieux Brendan, encore un faux-pas ! Ne sait-il pas que l'Australie a envahi l'Irak à cause de ses armes de destruction massive? Non, attendez, c'était parce que Saddam Hussein collaborait peut-être avec des terroristes islamistes. Euh, non, oubliez ça... On est parti là-bas pour amener les bienfaits de la démocratie au peuple irakien, mort ou vivant. Brendan s'est simplement mal exprimé quand il a parlé de pétrole.
Alan Greenspan en remet
Et hop, deux mois plus tard, voilà qu'un esprit plutôt brillant vient nous livrer la même analyse. Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale américaine (Fed) pendant 18 ans et gourou du capitalisme, le dit assez brutalement dans son nouveau livre L'âge des turbulences.
«Quelle que soit leur angoisse bien connue concernant les «armes de destruction massive» de Saddam Hussein, écrit Greenspan, les autorités américaines et britanniques s'inquiétaient également des violences dans une région qui abrite une ressource indispensable pour le fonctionnement de l'économie mondiale. Je suis désolé qu'il soit politiquement inconvenant de reconnaître ce que chacun sait : la guerre en Irak était largement liée au pétrole. »
«Ce que chacun sait» ? Non, ce que chacun a été encouragé à croire, aussi bien par les protestataires que par les manipulateurs. Et le pauvre Greenspan est tombé dans le panneau, lui aussi.
Dans les interviews qui ont suivi la publication de son livre, la semaine dernière, Alan Greenspan expliquait que Saddam Hussein voulait s'emparer du détroit d'Ormuz et contrôler ainsi les cargaisons de pétrole transitant par la seule route maritime permettant de sortir du Golfe. Ç'aurait été «désastreux pour l'Occident, a t-il affirmé, si Saddam Hussein avait fait cela. Le dictateur irakien aurait ainsi pu bloquer cinq millions de barils par jour et mettre «le monde industrialisé à genoux»».
Hussein ne pouvait contrôler le détroit d'Ormuz
En réalité, plus du double de cette quantité de pétrole quitte chaque jour l'Arabie Saoudite, l'Irak, l'Iran, le Koweït, Bahreïn, le Qatar et les Émirats arabes unis à bord de pétroliers et traversent le détroit d'Ormuz. C'est donc en effet une voie navigable stratégiquement cruciale. Mais Saddam Hussein n'était pas en mesure de la fermer.
L'ex-dictateur était un homme mauvais. Au Moyen-Orient, il détenait probablement le record du nombre de citoyens tués par son armée, sa police secrète et ses bourreaux. Mais il avait autant de chances d'arriver à contrôler le détroit d'Ormuz que d'obtenir un jour le contrôle du tunnel sous la Manche. Quiconque disposant d'un atlas aurait dû le savoir.
L'Irak est situé à l'extrémité nord-ouest du Golfe, à mille kilomètres du détroit d'Ormuz et compte seulement cinquante kilomètres de côtes. Par ailleurs, ses forces navale et aérienne ont été en grande partie détruites dans la guerre du Golfe de 1991. Le pays n'avait pas la capacité stratégique d'aller chercher aussi loin à l'est. Même si l'US Navy n'avait pas été en permanence massivement présente dans le Golfe, l'idée même que l'Irak pouvait constituer une menace militaire pour le détroit d'Ormuz relève de la pure fantaisie.
Le seul pays de la région militairement capable de fermer le détroit d'Ormuz est l'Iran. Comme il est tributaire de ses revenus pétroliers pour soutenir sa croissance intérieure et nourrir sa population, il n'en fera rien, sauf s'il subit une attaque. L'Iran a beau traiter les États-Unis de «Grand Satan», depuis la révolution de 1979, il n'a jamais cessé d'extraire le pétrole à un rythme effréné et de le vendre au prix du marché mondial. Il ne peut pas se permettre de se préoccuper de la destination de son or noir.
Pas seulement pour le pétrole...
C'est vrai pour tous les grands pays exportateurs de pétrole, quelles que soient leurs convictions politiques : ils DOIVENT vendre leur pétrole. Par conséquent, peu importe à l'Occident qui dirige ces pays (même si ce point est évidemment capital pour leurs citoyens). Nul besoin d'envahir un pays pour obtenir du pétrole de lui, un chèque suffit !
Aussi, il est inutile d'envahir l'Irak pour contrôler le prix du pétrole. Celui-ci est fixé par un marché mondial très efficace. Tout le pétrole de l'Irak ne suffirait pas à influencer le cours à la baisse. Qui plus est, pourquoi une administration dont les plus proches amis sont des magnats de l'industrie du pétrole américaine voudrait-elle faire baisser le prix du brut ?
Alan Greenspan pensait sans doute ce qu'il disait, mais cela n'a aucun sens. Il a juste cru au prétexte selon lequel «c'était pour le pétrole», lequel détourne utilement l'attention des électorats occidentaux et dissimule des motivations plus complexes et souvent encore moins défendables de leur gouvernement.
Alors en fin de compte, pourquoi les États-Unis ont-ils envahi l'Irak ? L'une des raisons était sans doute leur souhait d'établir des bases permanentes de l'armée américaine dans le Golfe, à partir desquelles les États-Unis pourraient, si nécessaire, empêcher le pétrole de partir vers la Chine. Car pour les stratèges de Washington, le nouvel ennemi stratégique de l'Amérique s'appelle la Chine. Or, cette dernière devient de plus en plus vulnérable quand on perturbe ses importations de pétrole. (Ces «bases durables» sont encore en construction en Irak.) Mais cela ne suffit pas à expliquer l'invasion de l'Irak.
J'ai écrit des dizaines de milliers de mots sur les motifs qui ont poussé l'administration Bush à envahir l'Irak et, au final, je ne sais toujours pas pourquoi elle l'a fait. Du reste, je soupçonne qu'elle non plus ne le sait pas... Elle a dû trouver que c'était malin, à l'époque.
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Gwynne Dyer
Journaliste indépendant*
L'auteur est un journaliste canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays.
LE SOLEIL - ANALYSE
« C'était pour le pétrole »
Géopolitique — nucléaire iranien
Gwynne Dyer21 articles
Journaliste indépendant L'auteur est un Canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, {Futur Imparfait}, est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
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