Et pourtant, elle bouge ! — Galilée

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L’âme des peuples se trouve dans leur histoire

Le Département de physique de l'Université de Rome (La Sapienza) s'est mobilisé contre la venue du pape Benoît XVI. (Photothèque Le Soleil)



Les mots du pape lui ont fait du tort, mais il le mérite. Les autorités de l'Université de Rome (La Sapienza) l'avaient convié, cette semaine, à venir faire un discours à l'occasion de la nouvelle année universitaire. Mais le Département de physique s'est mobilisé contre sa venue. Car c'est précisément à La Sapienza, il y a 17 ans, que le pape Benoît XVI, (alors cardinal Joseph Ratzinger) avait déclaré que le procès et la condamnation de l'astronome Galilée par l'Inquisition, en 1633, pour avoir affirmé que la Terre tournait autour du Soleil étaient «rationnels et justes».
Aux yeux des scientifiques, cette remarque voulait dire que Ratzinger considère l'autorité religieuse supérieure aux recherches scientifiques. En apprenant que le souverain pontife s'apprêtait à leur rendre une nouvelle visite, ils ont décidé de lui signifier leur mécontentement à grand bruit. Les étudiants radicaux se sont alors ralliés à leur cause, placardant des messages contre le pape sur tout le campus. Mardi, le Vatican a fait savoir que la visite du pape était annulée. Une tempête dans un verre d'eau, me direz-vous. Oui mais voilà : des tempêtes de ce genre, il en a provoquées une bonne série.
L'an dernier au Brésil puis à Ratisbonne
L'année dernière, lors d'une visite au Brésil, le pape Benoît XVI a déclaré que les populations natives des Amériques avaient «langui en silence» après la foi chrétienne que leur ont apportée leurs conquérants et colonisateurs. Et que, en aucun cas, cela ne représentait l'imposition d'une culture étrangère. Offensés, des groupes d'indigènes ont protesté contre ces propos, ce qui n'a pas empêché le pape de camper sur sa position.
En 2006, dans son discours à l'Université de Ratisbonne, il a apparemment exprimé une opinion en citant un empereur byzantin du 14e siècle : «Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté de nouveau. Tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines, comme le droit de défendre par l'épée la foi qu'il prêchait.»
Devant le courroux des musulmans, le souverain pontife a prétexté qu'il citait simplement ce qu'avait dit quelqu'un d'autre, pas lui. (C'est bien connu, les citations d'empereurs byzantins nous viennent à l'esprit de manière intempestive.) Sa défense de l'Église et du traitement qu'elle a autrefois infligé à Galilée s'inscrit dans une logique invariable : des propos outrageants dont – apparemment – il croit avoir fait comprendre qu'il les condamne.
Galilée avait un télescope
Galilée est le premier Italien à avoir fabriqué un télescope, ce qui lui a permis de découvrir les lunes de Jupiter. À la suite de cette découverte et de la constatation que ces dernières gravitaient autour de leur planète — bien plus grande — il fait le rapprochement avec la Terre et le Soleil. Copernic avait publié, plus de 50 ans auparavant, son livre dans lequel il explique que la Terre tourne autour du Soleil. Cependant, en 1600, un «copernicien» avait été brûlé sur le bûcher à cause des ses opinions hérétiques. Galilée choisit donc d'aborder l'affaire avec prudence. Mais, rappelons-le, il disposait d'un télescope et, par conséquent, il pouvait VOIR comment les choses se passaient.
En 1616, Galilée est convoqué à Rome et se voit intimer l'ordre de ne plus écrire sur la théorie copernicienne. Mais en 1623, un homme qu'il considère comme un protecteur et un sympathisant est désigné à la fonction pontificale : Urbain VIII. Galilée se rend alors à Rome une nouvelle fois en croyant que le pape l'avait autorisé à aborder la théorie de Copernic en public, à condition qu'il la présente comme une simple hypothèse. Hélas, soit la balance politique au Vatican s'est mise à pencher de l'autre côté, soit Galilée a mal compris ce qu'on lui avait dit.
Lorsqu'il publie son livre en 1632, l'ouvrage est interdit. En 1633, on l'interroge à Rome, sous la menace de la torture, et il est condamné pour avoir «suivi la position de Copernic, ce qui est contraire au vrai sens de l'autorité de l'Écriture Sainte». Pour sauver sa peau, il tente de se rétracter, sans succès. Il est condamné à une peine de prison à perpétuité.
Conflit entre la foi et la raison
On raconte qu'au moment où Galilée se faisait conduire hors de la ville, il a marmonné comme en signe de défi «Eppure si muove» («Et pourtant elle bouge»). Légende ou réalité, les scientifiques considèrent cette scène comme le moment historique qui symbolise le conflit entre l'autorité et la vérité ou, si vous préférez, entre la foi et la raison. Manifestement, Joseph Ratzinger aussi. C'est sans doute pourquoi il s'est senti obligé, dans les années 1990, de s'en prendre une fois de plus à Galilée.
Dans un discours prononcé à La Sapienza, l'université la plus prestigieuse d'Italie, il a déclaré que l'Église n'a pas eu tort de juger et de punir Galilée. Ou, plus exactement, fidèle à ses typiques entrées en matière, Joseph Ratzinger a cité le philosophe autrichien rebelle Paul Feyerabend : «Au temps de Galilée, l'Église est restée bien plus fidèle à la raison que Galilée lui-même». Dieu seul sait ce que Feyerabend voulait vraiment dire par cette phrase, mais c'est bien elle que Ratzinger a choisi de citer.
En regardant de près ce que le pape Benoît XVI a pu dire, il est évident qu'il considère la religion catholique comme supérieure aux autres confessions et qu'il estime que la foi est supérieure à la raison. Pas de quoi être surpris, dans la mesure où c'est le chef de l'Église catholique. Parmi les catholiques les plus religieux, un grand nombre (si ce n'est la majorité) sont d'accord avec ces principes.
Mais il va un peu plus loin que les autres en croyant que l'«erreur n'a pas de droits» (selon cette ancienne expression catholique) et que l'«erreur», c'est tout ce que l'Église a jugé comme telle dans l'histoire. À la lumière de ces éléments, on comprend mieux pourquoi les scientifiques de l'Université de Rome n'étaient pas tout à fait enjoués à l'idée d'une nouvelle visite du pape.
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Gwynne Dyer
Journaliste indépendant*
*L'auteur est un journaliste canadien, basé à Londres. Ses articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, «Futur Imparfait», est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.
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