Le 4e pouvoir

Ce sont les médias qui ont mis la CAQ au pouvoir

La fabrication du consentement en faveur de la CAQ

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Tribune libre

Quant on envisage l'avenir pour le Québec, il est impératif de comprendre ce qui s'est passé lors des dernières élections qui ont placé la CAQ au pouvoir. Avec une mauvaise analyse des causes de la défaite du Parti québécois, on fait comme ma députée Catherine Fournier de Marie-Victorin qui a accompagné son retrait du caucus des députés du PQ d'une déclaration injuste et malavisée qu'elle a repris à la fin de son livre: "Le projet ambition Québec" (Somme toute, 2019)


Je crois que les médias ont joué un rôle décisif dans la victoire caquiste. Certes on peut blâmer le Parti québécois comme l'a fait Catherine Fournier pour justifier sa décision de quitter. Mais rien ne l'obligeait à descendre en flammes le Parti québécois: elle aurait pu partir simplement en disant qu'elle voulait être plus libre d'agir. Elle n'a pas compris que sa déclaration dénigrante compromettait gravement sa crédibilité pour l"avenir.


Elle a mal répondu à la question suivante: comment les Québécois qui voulaient du changement en sont-ils venus à choisir la CAQ de François Legault pour remplacer le Parti libéral du Québec de Jean Charest-Philippe Couillard-Gaétan Barrette? En théorie, deux partis pouvaient aspirer à former le gouvernement: le Parti québécois et la Coalition avenir Québec.


Objectivement, on peut dire que le Parti québécois avait un bon chef, un bon programme (sur le prolongement du REM par exemple), une bonne équipe et que Lisée a fait une bonne campagne. C'est mon opinion et je pourrais la prouver.


Comment le consentement en faveur de la CAQ et en défaveur du PQ a-t-il été fabriqué? Par les médias.


Après 15 ans de pouvoir presqu'ininterrompu, le Parti libéral du Québec était rendu au bout de sa corde déconsidéré qu'il était pas les mensonges, la collusion, la corruption et l'arrogance anti-identitaire. Un an avant les élections et pendant les mois qui ont précédé la campagne électorale proprement dite ont paru des sondages qui désignaient la CAQ comme le parti politique pouvant remplacer les Libéraux. L'élection partielle de Louis-Hébert, le comté de Sam Hamad, dans la région de Québec où la candidate Guilbault de la CAQ a battu le Libéral annonçait l'avenir car des électeurs péquistes avaient voté pour la CAQ puisque leur priorité était de battre le parti de Philippe Couillard.


Les sondages qui plaçaient la CAQ en avant ont eu une conséquence désastreuse pour le Parti québécois. En effet, pendant des mois et surtout pendant la campagne électorale, le message de Lisée ne passait pas car pendant les reportages et pendant les entrevues, on lui demandait constamment d'expliquer le fait que les sondages plaçaient le Parti québécois après la CAQ. Les sondages le donnaient perdant et les journalistes n'ont manqué aucune occasion de le souligner. Cette attitude négative et même hostile empêchait le message péquiste de passer.


Deux exemples typiques parmi cent. Une animatrice des nouvelles de TVA dialogue avec Jean-François Lisée. Comme c'est arrivé de multiples fois, elle regarde Lisée de haut et lui demande de commenter les sondages. Lisée répond que rien n'est décidé que c'est pour ça qu'il y a une campagne électorale. l'animatrice insiste comme si elle n'avait pas entendu la réponse. Lisée dit: "Si au lieu de parler des sondages, vous me posiez des questions sur mon programme, peut-être que les choses pourraient changer." L'animatrice réplique: "C'est ça, si vous êtes en difficulté, c'est la faute aux médias." A Radio-Canada, lors d'un talk show, l'animateur pose une question fleuve typique qui insiste sur les sondages qui placent le PQ en troisième position. Lisée prend son élan pour répondre: la co-animatrice le coupe et lui dit: soyez bref.


Dans la fabrication du consentement en faveur de la CAQ, les sondages ont joué un rôle capital. Parmi tous les événements de la campagne électorale, je retiens le débat de TVA-LCN comme décisif. En effet, avec la volatilité de l'électorat, tout était encore possible avant le débat. Le but premier était de battre les libéraux mais, de très nombreux électeurs n'avaient pas encore définitivement choisi la CAQ et comptaient sur le débat pour prendre leur décision finale. Le choix devait se faire entre la CAQ et le PQ. Si François Lisée avait gagné ce débat, le vote aurait été différent.
 Mais à cause du manque de professionnalisme et de la partialité de l'animateur Pierre Bruneau qui a coupé huit fois la parole à Jean-François Lisée, celui-ci est apparu comme une quantité négligeable. Il a donc perdu un débat qu'il ne devait pas perdre. Lisée lui-même ne s'est pas aidé en posant la question sur le vrai chef de Québec solidaire. Pierre Bruneau s'est comporté comme un pion de collège mais cette question maladroite a laissé supposer que Lisée était menacé dans son comté et qu'il le savait, et même que Québec solidaire était menaçant pour le Parti québécois. QS a obtenu 649,503 votes soit 16.1% du vote ce qui en fait la troisième parti d'opposition derrière le Parti québécois: ce n'était pas à Catherine Fournier de sa propre initiative individuelle de contrecarrer la volonté des électeurs


Les derniers espoirs du Parti québécois se sont éteints avec ce débat de TVA-LCN. Ce débat fait partie des médias.


Pour obtenir du changement et remplacer les Libéraux, il ne restait plus que la CAQ. C'est ce que 1,509,455 Québécois ont décidé soit 37.42% du vote. Leur consentement a été fabriqué par les sondages et par les médias, Pierre Bruneau a été l'exemple extrême d'une attitude hostile généralisée qui s'est manifestée pendant toute la campagne électorale principalement à Radio-Canada-RDI et à TVA-LCN. François Legault était le candidat tout désigné lui qui n'exigeait aucun dépassement et aucun effort et qui proposait de mettre plus d'argent dans les poches des Québécois par des coupures de taxes scolaires et des politiques favorables aux plus démunis, pour les aînés et les familles avec enfants. Avec une semi-laïcité à laquelle aspirent une majorité de Québécois depuis trop longtemps.


Par ailleurs, la stratégie de Lisée sur la souveraineté ne lui a apparemment pas donné beaucoup de votes: il a obtenu 687,995 votes soit 17.06% du vote. Le Parti québécois était le seul qui laissait la question de l'indépendance ouverte. Cela ne l'a pas empêché de passer de 30 à 10 députés et de perdre 386,125 votes par rapport à 2014. N'acceptant pas sa défaite à la chefferie du PQ, Martine Ouellet a saboté la stratégie de Lisée: il a fallu un référendum parmi les membres du Bloc québécois pour la désavouer. Par sa façon de présenter l'indépendance, elle avait donné le triste spectacle de la division et de la chicane qui a horripilé les Québécois pendant un an. La profession de foi fédéraliste de François Legault de développer le Québec à l'intérieur du Canada était une façon de dire: les chicanes et les divisions que vous venez de voir au Bloc, vous n'aurez pas ça avec moi comme premier ministre. Pour 1,509,455 Québécois, François Legault et la CAQ étaient un bon choix pour remplacer les Libéraux, ce qui était leur objectif premier, il ne faut jamais l'oublier puisque tel était l'enjeu de cette élection. Comme Le Devoir l'avait prévu en publiant le 30 mars 2017 ma libre opinion: "Battre les libéraux est une priorité". (J'ajouterais: l'indépendance n'était pas une priorité pour la majorité des électeurs).


Quelle leçon tirer des élections du premier octobre 2018? Entre autres, c'est que l'indépendance n'est pas rentable électoralement…en ce moment. Si vous voulez avoir beaucoup de votes des Québécois, insistez pour dire que vous n'êtes pas indépendantiste: c'est ce que François Legault a compris. Ou dites que vous êtes indépendantiste mais pas tout de suite comme Lisée l'a fait: ce qui n'a pas donné grand chose. Ou comme Québec solidaire qui se dit indépendantiste pour arracher des votes au Parti québécois, ce qu'il a réussi à faire.


Pour obtenir le consentement d'une majorité des Québécois en faveur de l'indépendance, les volontaristes qui prônent d'en parler le matin, le midi et le soir ne semblent pas avoir réfléchi aux résultats de l'élection du premier octobre 2018 et à la principale cause de la défaite du Parti québécois: les médias.


Robert Barberis-Gervais, Vieux-Longueuil, 8 janvier 2020



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1 commentaire

  • Robert Barberis-Gervais Répondre

    12 janvier 2020

    Je remercie Vigile d'avoir illustré mon article avec les chiffrres d'un sondage. Ça nous  rappelle bien des souvenirs. RBG