Il est curieux et drôle à la fois de constater comment certains commentateurs de la scène politique s’empressent de diluer le mouvement de contestation aux États-Unis, « Occupons Wall Street », en lui attribuant toutes les vertus et leurs contraires. Ni de gauche, ni de droite, ce sont simplement de joyeux lurons, des rebelles sans cause qui s’adonnent au plaisir favori de la jeunesse : contester l’autorité, quelle qu’elle soit. Rien de plus normal, clament-t-ils de façon condescendante, eux qui n’ont jamais risqué quoi que ce soit, qui n’ont jamais osé, qui n’ont jamais manifesté dans la rue. Leurs revendications sont floues, ils n’ont rien de concret à proposer, ils ne font que dresser les Américains les uns contre les autres, ajoutent-ils.
Pourtant, lorsque les indignés de Wall Sreet disent représenter 99% de la population étasunienne, ils posent nettement un geste politique, anticapitaliste, car ils font référence à la concentration des revenus entre les mains d’une poignée de financiers, ce 1% de la population, et aux profondes inégalités sociales. C’est dire n’importe quoi lorsqu’on dénonce un régime d’injustice et de corruption qui a tout à voir avec le capitalisme?
Avec l’argent qu’on a donné aux banquiers pour les sauver de la faillite, on aurait pu nourrir tous les affamés de la Terre jusqu’à la fin des temps, en incluant même le dessert, affirme l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano. Aucun de ces banquiers ratoureux et corrompus n’est allé en prison, alors qu’on a arrêté, il y a quelques jours, des centaines de personnes qui manifestaient paisiblement en exigeant un monde meilleur, qui refusent de payer pour les pots cassés des banquiers, des spéculateurs pétroliers et des milliardaires qui ne paient pas suffisamment d’impôts, qui rêvent que le mot démocratie ne soit pas une nouvelle marque de yogourt. Cette fois-ci, ces manifestations d’indignés ne sont pas associées à un sommet quelconque, comme le G8, qui ont toujours un caractère éphémère. Il semble bien qu’elles sont là pour durer et pour s’incruster dans le paysage quotidien, en se radicalisant davantage si la police continue de réprimer sauvagement les protestataires pacifiques.
Mais, curieusement, les dirigeants de ce pays, Obama en tête, semblent ignorer que quelque chose de nouveau est en train de naître sous leurs yeux. D’ailleurs, pour le président des États-Unis, il ne s’agirait que de protestations contre les milliardaires comme Warren Buffett qui ne paient pas suffisamment d’impôts. Pourtant le mouvement, qui s’est étendu à plus de 60 villes des États-Unis réparties dans 45 États, ne peut être réduit à cette seule question d’impôt. C’est à une remise en question d’un système d’injustice que nous assistons en ce moment, alors que chaque minute, 15 enfants meurent de faim ou de maladies guérissables dans le monde, tandis que les dépenses militaires, elles, ne cessent d’augmenter.
Il est à prévoir que ce mouvement va durer jusqu’aux élections présidentielles de 2012, forçant une troisième option, à gauche du Parti démocrate. Si auparavant, près de 50% des personnes aptes à voter ne le faisaient pas, comment le manque de confiance envers les partis traditionnels se traduira-t-il cette fois, alors qu’on imagine facilement que ces millions de personnes, que Fox News qualifiaient, hier encore, de socialistes et d’anticapitalistes et qui avaient avec enthousiasme donné leur appui et leur vote à Obama, hésiteront très certainement avant de le faire une seconde fois?
Et nous? Serons-nous nombreux, ce samedi 15 octobre, à manifester notre ras-le-bol de la corruption, des scandales, des politiciens sans scrupules et de Jean Charest?
P.-S. Aux dernières nouvelles, le maire de New York s’apprêtait à demander à la police de déloger les manifestants qui campent sur la petite Place de la Liberté.