Le CETA est «le signal d’alarme qu’il faut arrêter de faire du commerce débridé en bradant nos secteurs économiques», estime le député européen belge Marc Tarabella.
RT France : Pourquoi la Wallonie s'oppose-t-elle au CETA ?
Marc Tarabella (M. T.) : Le CETA est un cheval de Troie du TTIP. Le traité transatlantique et le CETA prévoient d’ailleurs dans leurs corps des mesures qui sont menaçantes par rapport à la démocratie européenne. Ce ne sont pas seulement des traités de libre-échange. On est pour le libre-échange, il faut juste y mettre des règles et ne pas échanger n’importe quoi. Le problème est que l’Union européenne est devenue ultra-libérale. Elle met le commerce au-dessus de toutes les autres politiques et n’a plus de politique stratégique industrielle ni de politique stratégique agricole. Dans le cas du CETA, c’est aussi un accord de partenariat pour l’investissement. Au sein de ce partenariat, il y a des mesures, telles que le Tribunal privé, censé régler les conflits entre les sociétés multinationales et les autorités publiques. C’est quand-même un tribunal privé chargé de trancher des conflits que souvent entament des multinationales avec les autorités publiques, quand certaines lois ne leur plaisent pas. Ce sont souvent des lois environnementales, de santé publique, ou des lois sociales qui sont attaquées par les multinationales. Je suis désolé, mais les démocraties occidentales doivent arrêter de s'auto-mutiler au niveau de leur pouvoir de faire des lois, de légiférer, au profit des multinationales, dont le seul intérêt est de faire le maximum d’argent sur le dos des citoyens. Voilà pourquoi quand certains prétendent que ces accords servent à favoriser les PME, c’est du verbiage. Et donc, nous devons être attentifs à ne pas abraser la possibilité qu’ont les Etats-membres et l’UE de voter des lois protectrices pour les citoyens et pour les consommateurs, notamment.
Les ultra-libéraux de la Commission européenne, y en a marre
RT France : La décision sur le CETA est reportée jusqu'au 21 octobre. Pensez-vous que l'opposition de la Wallonie, et par conséquent de la Belgique, va effectivement empêcher la signature du CETA, ou la cause est perdue ?
M. T. : La Belgique est un pays fédéral, ce qui fait en sorte que l’avis et les idées des institutions fédérées, dont les régions, sont respectées. Ce n’est pas uniquement la Wallonie, il y aussi la région de Bruxelles, une région bilingue. Il y a deux régions en Belgique, on ajoute la communauté de Wallonie-Bruxelles, ça fait donc trois entités qui s’opposent au CETA, donc la Belgique ne peut pas le ratifier, s'il n’entre pas en vigueur. Je pense que vouloir contourner ces règles serait évidemment dommageable pour la démocratie. Aujourd’hui on n’a pas mal de citoyens qui ont des doutes par rapport à l’UE et à ces politiques. Selon les règles bien établies, la Belgique consulte ces régions, ce qu’on n’est pas obligé de faire dans certains autres pays, tels que l’Allemagne, l’Italie ou la France. Ils veulent changer les règles. Ce n’est pas démocratique. S’ils veulent que les citoyens se désintéressent de l’UE, ils peuvent continuer comme ça. Les ultra-libéraux de la Commission européenne, y en a marre. Aujourd’hui l’Europe souffre de son ultra-libéralisme, de son incapacité à protéger ses secteurs clés, que sont l’agriculture, l’industrie est un brin de tout. Et évidemment, aujourd’hui on s’étonne que les taux de croissance en Europe soient plus faible qu’ailleurs, que des entreprises quittent et émigrent vers ailleurs.
Les Européens doivent d’arrêter d’être naïfs, et aujourd’hui l’ultra-libéralisme est en train de tuer l’esprit européen. Si on veut continuer comme ça, l’Europe n’existera plus dans dix ans.
Toute une série d’autres socialistes et démocrates d’Europe oublient un peu leurs valeurs au profit du commerce
RT France : Pourquoi la Belgique est-elle seule à résister au CETA au plus haut niveau, alors qu’il y a eu des manifestations massives en France et dans d'autres pays européens ?
M. T. : Quand on dit la Belgique, c’est la Wallonie, c’est Bruxelles, c’est la partie sud du pays, où habitent souvent des familles socialistes-démocrates européennes, qui ont souvent été le fer de lance de toute une série de combats. C’était vrai pour la directive sur la libéralisation des services, qu’on appelait la directive de Bockel. Ce sont des socialistes belges et notamment francophones qui ont été les lanceurs d’alerte à ce moment-là. Et donc, je suis fier d’être partie de cette famille politique, et je ne suis pas fier des autres socialistes européens qui sont davantage des businessmen qui pensent que le business doit primer sur toutes les autres valeurs. Je pense qu’il faut des échanges, bien entendu, mais vouloir se priver de la capacité à légiférer au profit de la société multinationale, c’est coupable. Je pense que toute une série d’autres socialistes et démocrates d’Europe oublient un peu leurs valeurs au profit du commerce. Ce n’est pas le cas des socialistes belges francophones. Même si on donne l'impression d’être un village qui fait de la résistance au sein de l’Europe, nous, on a lu les textes, et on voit que c’est le danger par rapport aux services publics, par rapport à l’intérêt des citoyens et des consommateurs. Et d’autres seraient inspirés de faire la même chose.
Le CETA est un signal d’alarme qu’il faut arrêter de faire ce commerce débridé en bradant nos secteurs économique
RT France : Pour vous, quelles sont les perspectives du CETA actuellement ?
M. T. : Le CETA est un signal d’alarme qu’il faut arrêter de faire ce commerce débridé en bradant nos secteurs économiques, tels que les services, arrêter d’être naïfs. Les européens sont ouverts en ce qui concerne les marchés publics, par exemple, mais d’autres grands acteurs, je pense aux Etats-Unis notamment, ils n’ouvrent pas leurs marchés publics, parce qu’ils ont le «buy american act» ; et ce n’est pas la même chose. Nous sommes les naïfs du monde. Le résultat c’est que notre économie souffre, nos jeunes trouvent difficilement du travail. Je crois qu’il faut changer ça, il faut être beaucoup plus fermes au niveau des négociations. Malheureusement, les commissaires, ils n’ont pas fait l’Europe, les fonctionnaires ultra-libéraux dirigent depuis des années, et ils continuent de faire beaucoup de mal au sein des institutions européennes. Les gouvernements européens sont dans cette logique que je ne peux pas comprendre, logique de l’ultra-commerce sans règles. Le commerce – oui, mais avec des règles, pas ce que nous faisons aujourd’hui.
Si l’Europe veut continuer d’être mal vue et finalement être détestée des citoyens, on continue avec des accords bilatéraux de libre-échange
RT France : Cet accord, va-t-il être effectivement adopté par l’Europe ?
M. T. : J’espère qu’il ne va pas être adopté, cela n’a rien à voir avec le Canada. J’espère qu’on va mette le holà à ces traités qui ne sont même pas des traités de libre-échange, qui comportent un volet sur les investissements. Ce qui est très dangereux par rapport au fait d’attaquer des gouvernements, c’est de donner aux multinationales le droit d’attaquer les lois protectrices pour les citoyens. Je peux donner des exemples de multiples accords bilatéraux signés auparavant. Il y a des lois souvent sociales, de santé publique et des lois environnementales qui ont été attaquées par les multinationales en prétextant que pour elles ça va nuire à leur business. C’est inacceptable, on ne peut pas laisser faire. Le temps est venu de se révolter, ça suffit. Arrêtons de poursuivre la même voie. Les citoyens se mobilisent aussi. Si l’Europe veut continuer d’être mal vue et finalement être détestée des citoyens, on continue avec des accords bilatéraux de libre-échange, qui comportent aussi des volets dangereux par rapport à la capacité démocratique de voter les lois.
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