Antipropagande

Chapitre 2 - Un record de tous les temps

Canada - Propagande Canada

À La Presse, barque amirale de Propagande Canada, il y a eu pendant un certain nombre d’années un responsable du courrier des lecteurs et des textes d’opinion, Pierre-Paul Gagné. On ne savait pas exactement quelle était la fonction de M. Gagné, mais à la lecture des articles qu’il rédigeait sous le titre « Post-scriptum », on constatait qu’il avait, entre autres, la tâche de donner l’impression que les lettres publiées étaient représentatives de l’opinion des Québécois. Par exemple, le 22 avril 2003, il écrivait : « Il se trouvait bien peu de lecteurs pour nous parler de façon positive de la souveraineté… les chefs politiques auraient peut-être intérêt à s’y fier (au courrier des lecteurs de La Presse) à l’avenir. » Le message ne pouvait pas être plus clair : la sélection des lettres publiées dans son journal représentait l’opinion des Québécois.
La vérité est toute autre. Du 3 novembre 2000 au 23 février 2009, j’ai adressé 59 lettres à La Presse sans qu’aucune ne soit publiée. C’est là tout un record ! À titre de comparaison, le record pour le plus grand nombre de joutes consécutives avec au moins un coup sûr dans les ligues majeures de baseball, détenu par le regretté Joe DiMaggio, est de 56 joutes. Le record pour le plus grand nombre de joutes consécutives avec au moins un point (but ou assistance) dans la LNH, détenu par Wayne Gretsky, est de 51 joutes. N’allez pas croire que je me compare à ces glorieux athlètes, car tout le mérite pour cette série ininterrompue de lettres non publiées revient à l’équipe éditoriale de La Presse, qui a su se montrer vigilante à mon endroit.
Mes amis me reprochaient de persister à envoyer des lettres à ce journal de Gesca. Il y avait longtemps qu’eux avaient abandonné. Je leur répondais qu’il fallait que les éditorialistes et chroniqueurs de La Presse se fassent mettre sur le nez ce qu’ils font et qu’ils ressentent un peu de nausée en se regardant dans le miroir le matin.
La commandite de lettres antisouveraineté
Pendant cette période où ce journal établissait son record de lettres refusées contre moi, elle publiait à répétition des textes de plusieurs fédéralistes hargneux. Certains auteurs étaient publiés sept ou huit fois par année. Pour faire le plein, on allait chercher des lettres d’ex-ambassadeurs et autres personnages « objectifs » ». Prenons l’exemple de M. Denis Laprès, qui nous a gratifiés longtemps de sa prose. Sous le blogue de M. Paul-Henri Frenière, on apprenait le 3 avril 2008 que ce collaborateur du journal était rémunéré 350 $ par mois pour ses contributions, toutes publiées sous la rubrique « Opinions » de La Presse. Tous des articles antisouveraineté, on le devine. On se demande alors combien il y en a de ces collaborateurs qui publient leurs opinions dans ce journal, et dont nous ignorons qu’ils sont rémunérés. Tel professeur qui nous offre régulièrement des textes contre la souveraineté du Québec est-il à la solde de Power Corporation ? Si c’est le cas, est-ce que cela ne devrait pas être indiqué sous sa signature ? N’est-il pas plus important de donner cette information, plutôt que le fait qu’il soit professeur de ceci ou de cela dans telle institution de haut savoir ?
300 millions par année, une aubaine pour Propagande Canada !
Parlant de professeurs qui rédigent des textes pour La Presse, il y en a qui s’identifient comme titulaires d’une « chaire de recherche du Canada ». Sait-on ce qu’est une chaire du Canada ? Voici ce que l’on apprend sur le site web de ce programme :

« Le Programme des chaires de recherche du Canada se situe au cœur d’une stratégie nationale visant à faire du Canada l’un des meilleurs pays en matière de recherche et de développement. »

***
En 2000, le gouvernement du Canada a créé un nouveau programme permanent dans le but d’établir 2 000 professorats de recherche - ou chaires de recherche du Canada – dans les universités du pays d’ici 2008. Le Programme investit 300 millions par année afin d’attirer et de retenir certains des chercheurs les plus accomplis et prometteurs du monde.
Les titulaires de chaires visent à atteindre l’excellence en recherche dans les domaines des sciences naturelles, des sciences de la santé
On n’est pas surpris d’apprendre que le gouvernement fédéral cherche ainsi à s’introduire directement dans le domaine de l’éducation. C’est la nature même du fédéralisme canadien que d’envahir constamment les domaines de compétence provinciale. Cependant, il y a un but particulier à ce programme. Car si on a vu des articles contre la souveraineté du Québec de la part de tels professeurs subventionnés par Ottawa, on n’en voit pas qui appuient la souveraineté.
Si on regarde les détails du programme, on voit qu’il y a des chaires établies pour le domaine « Sciences humaines ». Dans ce domaine, il y a au Québec dix chaires dans la discipline « Sciences politiques ». Sûrement que ces chercheurs vont grandement aider les Québécois « à améliorer leur qualité de vie et à renforcer la compétitivité du Canada sur la scène internationale ». Il y a aussi six chaires au Québec pour la discipline « Philosophie ». Je n’ai rien contre la philosophie, mais quand on voit qu’il n’y a que deux chaires de recherche pour la discipline « Génie des structures », aucune pour la construction et l’entretien des routes et aucune pour le repérage des canalisations d’eau sur le point d’éclater, et que l’on connaît les préoccupations dans ces domaines, on a le droit de se demander si les ratios sont justes.
Au total, il y a 490 professeurs titulaires de chaires de recherche au Québec. Si l’on ajoute à ce nombre ceux qui aspirent à obtenir une telle subvention, cela fait un intéressant bassin de professeurs qui n’écriront jamais d’articles en faveur de la souveraineté, qui ne seront pas tentés d’enseigner à leurs étudiants que l’indépendance est aussi essentielle pour la nation québécoise que pour les autres nations. Parfois, à La Presse, on préfère ne pas révéler que l’auteur d’une lettre est titulaire d’une de ces chaires. Ce fut le cas, par exemple, lorsqu’elle publia une lettre de M. Mario Polèse, le 28 février 2009, sous le titre « La souveraineté imaginaire ». On déclinait les titres de M. Polèse, mais on préférait cacher qu’il était titulaire d’une chaire, donc à la solde du gouvernement fédéral. On doit supposer que Propagande Canada ne voulait pas que le fil à la patte paraisse trop.
M. Polèse nous revient dans le même journal le 27 juin 2009 avec un autre texte contre l’indépendance du Québec. On se dit « Tiens, tiens, c’est peut-être le remplaçant de Denis Laprès ». Dans ce nouveau texte, il nous apprend qu’il était autrefois favorable à l’indépendance du Québec. Il ne nous dit pas si sa conversion a coïncidé avec l’octroi d’une chaire de recherche du Canada. En fait, il ne dit pas qu’il est titulaire d’une telle chaire.
***
Pour gonfler encore le volume de textes d’opinion contre la souveraineté, on a aussi recours à des sénateurs, lesquels, comme chacun le sait, ne sont pas des fédéralistes entretenus par Ottawa, oh non ! Dans la plupart des cas, on cherche à donner de l’importance au texte, l’accompagnant d’une photo et du ou des titres de l’auteur. Là aussi, cependant, on ne révèle pas nécessairement tout. Ainsi, le 6 mars 2009, on publiait un [texte de M. Bernard Amyot, « Le piège de la nation »->18463]. On nous apprenait que M. Amyot était avocat, ex-président de l’Association du Barreau canadien, mais pas qu’il avait été gouverneur du Conseil de l’unité canadienne et président du Groupe des Cent, deux organismes financés en presque totalité par le gouvernement fédéral pour faire de la publicité contre la souveraineté lors du référendum de 1995.
Vive les insultes contre les souverainistes !
À La Presse, on ne refuse jamais une lettre parce qu’elle contient trop d’insultes contre les souverainistes. Au contraire, ces écrits sont accueillis pieusement et offerts aux lecteurs comme une manne. Par exemple, le 17 juillet 1995, un lecteur répliquait à M. Guy Rocher. Voici quelques insultes proférées : « intellos, nationaleux, séparos », avec pour faire bonne mesure, deux références aux « homards de Jacques Parizeau ». Dans une lettre adressée en 2003 à la ministre Pauline Marois, l’auteur l’apostrophait, « Hey la cave ». À la suite de l’élection provinciale de 2003, on put lire une lettre d’un lecteur qui suggérait de faire parader les membres du précédent gouvernement péquiste les mains attachées dans le dos. J’en ai vu une (le 26 septembre 2008) concernant le Bloc Québécois qui contenait les expressions suivantes : « obscurantisme et dogmatisme, séparatisme obsolète qui maintient le Québec dans la pauvreté, jérémiades, doléances, chiâleux. » Pour une petite lettre de 30 lignes, c’était une belle concentration de quolibets. Le lendemain, dans sa chronique, Lysiane Gagnon qualifiait le Bloc de « groupe parlementaire impuissant et braillard ». Les grands esprits se rencontrent.
Mme Gagnon donne toujours le bon exemple. Combien de fois n’a-t-elle pas employé l’épithète « stalinien » à l’endroit des souverainistes. (Dans le temps de Duplessis, c’était « communisse » qui était à la mode). En février 1989, La Presse avait publié un texte de M. Gary Caldwell traitant de démographie. N’ayant pas apprécié, Mme Gagnon lui lançait des flèches : « autodidacte… éleveur de moutons ». J’avais fait la réflexion que la dame devait être bardée de diplômes, puisqu’elle se prononçait régulièrement sur les sujets les plus divers. À moins que l’onction de Paul Desmarais n’accorde automatiquement une science universelle aux heureux élus.
D’autres membres de l’équipe éditoriale ont également appris aux lecteurs fédéralistes les mots qu’il fallait employer. En décembre 1993, M. Marcel Adam utilisait quelques termes choisis contre les souverainistes : « communisme, doctrine subversive, dénaturés ».
Quelques exemples de lettres refusées
Au cas où mes lecteurs seraient tentés de croire que mes lettres étaient refusées parce qu’elles étaient indignes d’être publiées, en voici deux :

15 mars 2001 Les arguments de M. Alain Dubuc

Vous
qualifiez de passéiste le nationalisme de M. Bernard Landry parce qu’il repose sur une réflexion de 40 ans et parce que M. Landry évoque un projet de libre-échange de 1911.
En premier lieu, il faut bien dire que les initiatives économiques du gouvernement fédéral qui ont défavorisé le Québec ont encore des répercussions aujourd’hui, même si elles remontent à plusieurs décennies. La canalisation du St-Laurent permet encore de contourner le port de Montréal au profit de l’Ontario et de l’Ouest canadien.
Par ailleurs, les arguments de M. Landry portent aussi sur des sujets d’actualité tels que la concentration des centres de recherche fédéraux au Canada anglais. Votre journal a publié il y a quelques jours la réplique de Stéphane Dion : « Tous les gouvernements modernes concentrent leurs dépenses de R-D dans la capitale, y compris le gouvernement du Québec. » Voilà une réponse imparable ! Mais elle est fausse. Par exemple, le Centre de recherche industrielle du Québec a un laboratoire à Québec et un autre à Montréal. Hydro-Québec a ses centres de recherche à Varennes et à Shawinigan. Aux États-Unis, l’Argonne National Laboratory a ses installations à Chicago et dans l’Idaho. La NASA a des centres de recherche en Californie, en Ohio, en Virginie et dans l’Oklahoma.
Même en ce qui concerne le Canada, l’affirmation de M. Dion est fausse. Les Laboratoires de Chalk River (1900 employés) sont à 190 km d’Ottawa… mais toujours du côté ontarien de la rivière des Outaouais. L’Institut national de recherche sur les eaux a ses laboratoires à Burlington, en Ontario, et à Saskatoon, en Saskatchewan.
Monsieur Dubuc, combien de fois avez-vous attaqué dans vos éditoriaux ce que vous appelez « le modèle québécois » au cours de ces dernières années ? Quinze fois ? Avec cette constance et avec cette fréquence, ce n’est plus simplement l’expression d’une opinion, c’est de la propagande. Vous avez mentionné une fois « le modèle canadien ». C’était pour le louanger.
Vous faites constamment des comparaisons avec l’Ontario et vous blâmez « le modèle québécois » pour le fait que les impôts sont plus élevés au Québec que dans la province voisine. Vous minimisez toujours la contribution du fédéral à cet écart économique. Vous minimisez aussi les avantages que « le modèle québécois » procure aux citoyens québécois.
Comment se fait-il que vous ne critiquiez jamais « le modèle canadien » ? Après tout, les impôts et le chômage sont plus élevés au Canada qu’aux États-Unis. Pourquoi attaquez-vous toujours le Québec et jamais le gouvernement fédéral ?
Les forces fédéralistes contrôlent la presque totalité de la presse imprimée et électronique. Il n’y a donc personne pour vous donner la réplique, sauf les dirigeants politiques du Québec. Et quand ils le font, c’est toute la batterie des éditorialistes et des chroniqueurs qui ouvre le feu, avec en prime l’aimable prose de M. Stéphane Dion.
Si La Presse a refusé cette lettre, on doit supposer qu’elle juge plus pertinentes les faussetés de M. Dion que les vérités que je cite.

1 mai 2001 - Nation

Pour refuser au Québec le droit de devenir un pays, M. Stéphane Dion (La Presse, 1er mai 2001) ratiocine que le mot « nation » a un sens différent selon que l’on parle en anglais ou en français. Le Québec ne serait une nation qu’en français et donc…
M. Dion voudra-t-il répondre à certaines questions ?
Quand Lord Durham, dans son fameux rapport, écrivait : « I found two nations warring in the bosom of a single state », écrivait-il en français ? Quand il décréta que, pour éviter que la nation québécoise (appelée à l’époque la nation canadienne) ne survive, il fallait la mettre en minorité en l’unissant de force à une population anglophone plus nombreuse, écrivait-il en français ?
Autre question pour M. Dion. Quand les juristes des procès de Nuremberg formulèrent l’accusation numéro 12 contre les criminels de guerre nazis (« Les tentatives de dénationalisation des territoires occupés »), donnaient-ils le sens français au terme de nation ?

Pour La Presse, il devait être inopportun de rappeler que le Québec avait été reconnu comme une nation 160 ans plus tôt.
Bien sûr, la plupart de mes lettres étaient embarrassantes pour ce journal. Mais au lieu de les cacher, l’équipe éditoriale aurait pu les publier et répliquer en montrant la faiblesse de mes arguments. Si elle ne le faisait pas, c’est qu’elle ne la trouvait pas, cette faiblesse.
Avant d’être mis à l’index par La Presse, j’avais eu quelques lettres publiées dans ce journal. Le traitement accordé à celle qui suit mérite d’être signalé. Le contexte : lors de la crise du verglas en 1998, plusieurs journaux du Canada anglais avaient fait des gorges chaudes sur le dos des Québécois dans leurs éditoriaux et leurs caricatures. Alain Dubuc avait répliqué dans un éditorial intitulé « Inélégance », dans lequel il écrivait, entre autres, « Ce que l’on sent dans cette attitude, c’est le passage, dangereux, de l’antiséparatisme vers la francophobie… » J’avais envoyé cette lettre au journal :
16 janvier 1998 La guerre contre le Québec
« Inélégance » déplore M. Alain Dubuc, au sujet des caricatures dans The Globe and Mail se moquant des Québécois aux prises avec les conséquences de la tempête de verglas. Il parle d’un « passage, dangereux, de l’antiséparatisme vers la francophobie ».
Quel passage ? Il y a des décennies que les médias anglophones mènent une campagne stridente, non seulement contre l’indépendance du Québec, mais contre le Québec et contre les Québécois. N’importe quel prétexte est bon pour comparer le Québec à l’Allemagne nazie, qu’il s’agisse des lois pour protéger la langue française ou pour empêcher la vente de la margarine colorée. Tandis qu’ils trouvent tout à fait normales des lois fédérales qui imposent des droits de 80 % aux revues américaines qui n’ont pas 80 % de contenu canadien.
À la radio de CIQC, avec Howard Galganov, c’est tous les jours trois heures de propagande débridée. Quand Gord Logan remplace Joe Cannon, le « hate-in » dure cinq heures.
Cette campagne de haine contre les Québécois rapporte des dividendes précieux. Au Québec, on s’assure que ceux qui s’alimentent aux médias anglophones voteront contre la souveraineté. Et il ne faut pas croire qu’il ne s’agit que d’anglophones. Nous avons entendu, entre autres, M. Pierre Moisan, député du Parti libéral du Québec, s’acoquiner avec Galganov.
Au Canada anglais, on s’assure que la population sera toujours opposée à quelque changement que ce soit qui irait dans le sens des revendications du Québec. Sur le plan économique, si l’on peut nuire au Québec, on s’en félicite. Après tout, n’est-ce pas M. Stéphane Dion qui prêchait qu’il fallait faire souffrir le Québec pour que l’appui à la souveraineté diminue ? C’est un geste patriotique que l’on pose en suivant cette directive !
Quand un Canadien anglais a accès à une publication américaine, que ce soit The New York Times ou The New Yorker, avec quelle délectation ne s’empresse-t-il pas de dépeindre le Québec sous les pires couleurs ! Et les médias canadiens-anglais d’applaudir.
M. Dubuc ne peut pas prétendre qu’il n’était pas au courant de tout cela. Jusqu’à présent, il s’en est fait le complice. Par exemple, quand en 1994, M. Jacques Parizeau a réclamé un traitement plus juste pour le Québec de la part des médias anglophones, M. Dubuc a donné de l’espace dans La Presse à M. John Honderich pour qu’il pourfende M. Parizeau. Il a refusé de publier toute lettre à son journal qui donnerait la réplique à M. Honderich et qui prouverait que M. Parizeau avait raison.
Quand M. Derek Henderson de The Toronto Star, déplorant l’installation à Montréal de la Commission sur l’environnement de l’ALÉNA, a décrit cette ville comme une île au milieu d’un égout à ciel ouvert, M. Honderich a pu défendre son journaliste dans La Presse. M. Dubuc a déclaré que l’argument de M. Henderson était « de bonne guerre ». (C’est une expression qu’il affectionne.)
Quand, il y a quelques mois, Howard Stearns et Howard Galganov se virent chacun offrir un poste, le même jour, à la radio anglophone de Montréal, M. Dubuc a cru bon de « calmer les esprits ». Après tout, n’avons-nous pas André Arthur et Gilles Proulx ? Oui, mais André Arthur est fédéraliste à tout crin. Ce n’est pas lui qui va donner la réplique à Galganov. Quant à Gilles Proulx, si démagogique que soit son émission, il ne la consacre pas entièrement à faire de la propagande contre toute une province.
Avec cette complaisance de la presse francophone, les médias du Canada anglais peuvent se livrer à la guerre la plus plaisante qui soit, celle où l’on peut asséner des coups sans jamais en recevoir. Et ce n’est pas le coup de mouchoir qu’administre M. Dubuc à The Globe and Mail qui va les convaincre de renoncer à leur petit jeu.

Ma lettre fut publiée avec certains paragraphes (ceux montrés ci-dessus en plus foncés) retranchés et le titre changé pour « Une guerre contre le Québec ». M. Dubuc a dû se dire que, convenablement charcuté, cela pourrait passer pour un simple appui à son éditorial.
Ménager les propagandistes
Quelques jours après la publication de ma lettre modifiée, La Presse publiait un petit entrefilet :
Précision
En page B3, édition du 26 janvier, La Presse a publié un texte d’opinion de M. Claude Boulay intitulé « Une guerre contre le Québec ». L’auteur du texte, qui est de la Mauricie, n’est pas M. Claude Boulay, président du Groupe Everest.
Ainsi, mon homonyme, président du Groupe Everest, ne voulait d’aucune façon être associé à une lettre qui dénonçait la campagne de salissage contre le Québec. J’avais été touché de la sollicitude de La Presse envers mon homonyme et son entreprise. Sollicitude bien justifiée. Cette agence de publicité s’apprêtait à décrocher un beau contrat avec le gouvernement fédéral dans le cadre du Programme des commandites, devenu célèbre depuis. (On sait aujourd’hui que, suite au Rapport Gomery, Claude Boulay-président-d’Everest a été poursuivi en justice par le gouvernement du Canada et que le gouvernement et l’accusé s’entendirent hors cour pour un remboursement de 1 000 000 $ des sommes facturées en trop par Everest.
Est-il raisonnable de tirer les conclusions suivantes de cette mise au point du journal ?
* Qu’une entreprise négociant avec le gouvernement fédéral voyait ses chances d’obtenir un contrat diminuées si son président prenait la défense des Québécois contre une campagne de salissage.
* Que le gouvernement fédéral voyait d’un mauvais œil qu’un citoyen proteste contre la campagne de salissage.
* Que La Presse était consciente de ce qui précède et voulait conserver à Claude Boulay-président-d’Everest toutes ses chances d’obtenir un contrat dans le cadre du Programme des commandites.
Le Nouvelliste moins étanche
Je dois à la vérité de dire que, pendant la période pendant laquelle La Presse a établi son record de tous les temps contre moi, j’ai eu des lettres publiées dans Le Nouvelliste de Trois-Rivières.
Entendons-nous bien. L’équipe éditoriale de ce journal ne dévie pas de la ligne anti-souveraineté dictée par Gesca. On y reproduit consciencieusement des épîtres d’Alain Dubuc, on donne la préférence aux lettres de lecteurs qui se prononcent contre les souverainistes. Et, comme à La Presse, on accepte de publier des lettres qui sont des concentrés d’injures. Par exemple, le 30 mars 1994, un lecteur s’en prenait à MM. Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, qui avaient protesté contre la fermeture du Collège militaire de St-Jean : « odieux spectacle… la population doit se sentir outragée… geste grossier… hypocrisie absolue… ». En juin 1998, un lecteur, croyant avoir découvert une nouvelle insulte à asséner, écrit coup sur coup deux lettres où il traite les souverainistes de « cuistres », sans savoir ce que le mot signifie. (Il écrira plus tard (août 1998), après avoir été pris en défaut, « J’emploie le mot « cuistre » en prenant des libertés qui servent mal le génie de la langue de Molière ». (Qu’en termes élégants ces choses sont dites !) Le plus extraordinaire, c’est qu’à quelques jours d’intervalle, un autre lecteur utilisait, encore à mauvais escient, le même qualificatif de « cuistres » envers les souverainistes. Autre exemple, le 19 juillet 2002, pour se plaindre de ne pas avoir reçu du gouvernement péquiste une prestation à laquelle il croit avoir droit, un lecteur rage : « gargarisme retentissant, odieux, fourbe, dégoût, irresponsabilité, détresse narcissique, conscience morale atrophiée ». Dans une autre lettre (3 septembre 2003) contre les souverainistes, les invectives pleuvent : « tordu, vulgaire, mal élevé, guillotineurs, bâtisseurs de goulags, malabars, majorettes, petits caporaux… ». Au cours de la campagne électorale de 2003, un lecteur suppliait les États-Unis de bien vouloir envahir le Québec pour le délivrer de la « dictature » de Bernard Landry. Tous ces bijoux, témoignages d’un niveau intellectuel supérieur, sont dûment régurgités dans les pages éditoriales du Nouvelliste.
Dans ce journal, on aime également laisser le dernier mot aux lecteurs fédéralistes. Voici un exemple de ce genre d’opération. En février 2009, un de mes amis avait réussi à faire publier une lettre, dans laquelle il déplorait, entre autres, l’aliénation culturelle des Québécois par des « radio-poubelles » animées par les André Arthur et Jeff Filion. Quelques jours plus tard, le journal permettait à un adversaire de lui donner la réplique. Son propos était : « Comment peut-on parler d’aliénation culturelle quand il y a Céline Dion, le Cirque du Soleil et l’Orchestre symphonique de Montréal ? » C’est un point de vue. Céline Dion représente peut-être un rempart contre les André Arthur de ce monde. Mais cette réplique est aussi truffée d’insultes : « … une démagogie hallucinante… série d’inepties… le pape des souverainistes, Pierre Falardeau… le Québec souverain serait une société totalitaire… » J’écrivis une lettre pour me porter à la défense de mon ami. Non seulement ne fut-elle pas publiée, mais le journal rappliqua avec une autre lettre d’insultes de la part d’un fédéraliste : « fanatique… folie séparatiste… absurdités… péquistes un peu maso… complexe de persécution incontrôlable… »
On voit le genre. Néanmoins, ils ne m’ont pas banni de façon étanche du courrier des lecteurs, et je dois leur en être reconnaissant. Peut-être que le grand club de Gesca laisse un peu plus long de corde à ses clubs fermes.
Pour en revenir à La Presse, il s’est produit un miracle le 24 février 2009. Ce journal a enfin mis fin à ma traversée du désert, en publiant une de mes lettres, après 3 035 jours de censure. Publier, c’est vite dit. Voici la lettre. Les lignes montrées ci-dessous en caractères plus foncés avaient été supprimées.
Une technique malhonnête
M. André Pratte, votre éditorial d’aujourd’hui (23 février 2009), « Une insulte à l’intelligence », est, disons les choses brutalement, profondément malhonnête. Vous écrivez, et citez en exergue : « Les États-Unis, la Chine, la France ne savent plus quel geste poser pour relancer leur économie. Et un Québec indépendant, lui, trouverait la recette magique ? »
Personne n’a parlé de « recette magique ». Mme Marois a dit qu’un Québec indépendant réussirait mieux. C’est tout. Vous avez le droit d’être en désaccord, mais vous n’avez pas le droit d’inventer des propos pour mieux mépriser l’adversaire. Pendant la dernière campagne électorale, Jean Charest affirmait qu’il lui fallait un gouvernement majoritaire pour faire face à la crise. Vous l’avez appuyé. Personne ne vous a accusés, vous et M. Charest, de proposer des recettes magiques qui constituaient des insultes à l’intelligence.
La semaine dernière (18 février 2009), un de vos lecteurs utilisait la même technique dans une lettre que vous avez publiée en page A25 : « Selon la bible souverainiste, la Nouvelle-France était un jardin d’Éden jusqu’à ce que les Britanniques s’en emparent par traîtrise ». Personne n’a dit que la Nouvelle-France était un jardin d’Éden. C’est là une invention de votre lecteur pour lui permettre de faire de l’ironie facile. La question était la suivante : est-il acceptable qu’une autre nation nous impose chez nous la reconstitution et la célébration d’une défaite ?
Le fait que ce lecteur, professeur d’histoire, utilise cette tactique, de même que son interprétation toute particulière de l’histoire, ne laisse rien présager de bon pour l’enseignement de cette discipline dans son collège.
Quand je parle de « l’interprétation toute particulière de l’histoire » de l’auteur de la lettre, je ne me livre pas à des insultes personnelles gratuites. Ce professeur d’histoire écrivait : « Que leurs leaders politiques (aux Québécois) se sont librement associés aux Canadiens anglais réformistes pour obtenir la responsabilité ministérielle en 1848 ». Ceux qui connaissent un peu l’Histoire savent que, dix ans avant cette date de 1848, suite aux rébellions, des villages entiers furent brûlés, que 108 personnes furent traduites en cours martiale, dont 99 furent condamnées à mort. Parmi les hommes condamnés à la pendaison, 12 furent exécutés, plusieurs virent leur sentence commuée en exil. Il faut un culot rare pour prétendre que les leaders politiques québécois « se sont unis librement… » et que toute autre interprétation de l’Histoire « tient bien davantage du conte d’enfant que du travail scientifique d’historiens ». Dans les journaux de Gesca, on aime bien se livrer à la réécriture de l’Histoire. Cette fois, on s’est servi d’un professeur d’histoire complaisant pour le faire.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé