Chapitre 3 Au commencement était Trudeau
Recette d’un grand démocrate
On entend et on lit parfois le commentaire « C’est normal que dans La Presse, journal fédéraliste, on favorise le fédéralisme ». Un argument en apparence raisonnable, mais qui ne l’est pas. Dans les démocraties, il faut une presse libre, que l’on appelle parfois le quatrième pouvoir. C’est ainsi qu’aux États-Unis et en Europe, par exemple, il y aura des médias reflétant les principales tendances du spectre politique. L’équilibre entre ces différents médias assure une information et des commentaires politiques relativement équilibrés pour éclairer les électeurs. L’équilibre n’est pas parfait mais, comme on le sait, la démocratie n’est pas parfaite. Comme le disait Churchill, c’est seulement le système le moins imparfait de tous.
Ce qui est arrivé au Québec, et ça s’est étendu aux médias du Canada anglais, c’est qu’on a délibérément faussé l’équilibre nécessaire à une presse libre, pour tordre le cou à la démocratie.
Pierre Elliott Trudeau a énoncé sa recette dans Le fédéralisme et la société canadienne-française en 1967 :
« Un des moyens de contrebalancer l’attrait du séparatisme, c’est d’employer un temps, une énergie et des sommes énormes au service du nationalisme fédéral. Il s’agit de créer de la réalité nationale une image si attrayante qu’elle rende celle du groupe séparatiste peu intéressante par comparaison. Il faut affecter une part des ressources à des choses comme le drapeau, l’hymne national, l’éducation, les conseils des arts, les sociétés de diffusion radiophonique et de télévision, les offices du film. »1
Remarquons qu’au début de cet énoncé, il y a une admission. Trudeau parle de « l’attrait du séparatisme », admettant implicitement qu’en l’absence de mesures extraordinaires, les Québécois choisiraient l’indépendance. C’est admettre que l’indépendance a quelque chose de naturel. En effet, avec l’avènement de l’ère de la décolonisation, les peuples ont choisi de devenir libres les uns après les autres. Cette évolution naturelle, Trudeau a décidé de la contrer en dépensant des « sommes énormes ».
On peut mettre en parallèle ce que Trudeau prêchait et les déclarations triomphales de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande d’Adolf Hitler, au lendemain des élections de 1933, qui avaient porté les nazis au pouvoir en Allemagne. :
« Maintenant, ce sera facile de mener le combat, car nous pourrons recourir à toutes les ressources de l’État. La radio, la presse sont à notre disposition. Nous allons organiser un chef-d’œuvre de propagande. Et, cette fois, l’argent ne manquera pas ». 2
Qu’on se rassure, je n’ai pas l’intention de copier, dans le sens inverse, les méthodes de propagande anti-québécoises, qui cherchent toujours à comparer le nationalisme québécois au nazisme. Le Canada n’est pas un pays fasciste. On y pratique la démocratie et il s’y exerce une presse libre, sauf en ce qui concerne la question de l’indépendance du Québec. On n’y prêche pas la supériorité d’un peuple sur un autre, sauf chez certains extrémistes de la presse anglophone. On ne recherche pas la disparition d’un peuple. Même l’objectif de l’assimilation, qui était à la base de la fondation du Canada, n’est poursuivi ouvertement que par un petit nombre. Tout au plus, la nation dominante tient-elle mordicus au maintien du moyen prévu, un Canada uni, pour parvenir à cet objectif. Les fédéralistes canadiens n’ont pas eu recours au terrorisme d’état depuis la répression des rébellions de 1837-38 et celle des Métis de Louis Riel en 1985. L’application de la Loi des mesures de guerre ne constitue pas une action comparable aux exactions des nazis, sauf peut-être dans l’opinion des personnes qui furent emprisonnées sans procès en 1969. Cependant, ce programme visant à corrompre la démocratie par la propagande est quelque chose que Trudeau et ses collaborateurs ont en commun avec le régime hitlérien. Il y a aussi des affinités de pensée qui se manifestent par des formules-chocs dans les discours. Je ne vois pas pourquoi je ne les mettrais pas en lumière.
Aussitôt dit, aussitôt fait
Trudeau voulait donc dépenser des sommes énormes en propagande. Mais comment ? Bien sûr, il se proposait de devenir premier ministre du Canada et, à ce titre, il allait pouvoir dépenser des sommes importantes en propagande directe dans les médias. Il allait pouvoir contrôler Radio-Canada et en faire un instrument de sa politique. Par l’entremise du Conseil de la radiodiffusion, de la télévision et des communications canadiennes (CRTC), il aurait également son mot à dire sur la propriété des postes de radio et de télévision et sur le contenu de leur programmation. Mais c’était encore loin des dépenses en propagande que Trudeau avait en tête.
Pour Paul Desmarais, président de Power Corporation, les mots « sommes énormes », en quelque sorte un appel d’offres, constituaient une fort belle musique. Dans Derrière l’État Desmarais, Robin Philpot nous décrit comment l’élément clé de Propagande Canada, c’est-à-dire la cohabitation très étroite de Power Corporation avec les pouvoirs publics canadiens, a pris naissance.
« Claude Frenette (adjoint de Paul Desmarais) a été élu président de l’aile québécoise du Parti libéral fédéral en vue du congrès au leadership et, dans les bureaux mêmes de Power Corporation, avec Pierre Trudeau, il a établi le plan qui mènerait celui-ci à la direction du Parti libéral et au poste de premier ministre du Canada le 25 juin 1968. » 3
C’était le début d’une collaboration étroite entre le gouvernement fédéral et Power Corporation. D’une part, Trudeau allait dépenser sans compter : au cours de ses 16 années au pouvoir, la dette fédérale allait augmenter de quelque 500 milliards. D’autre part, Paul Desmarais allait accumuler une fortune énorme. Bien sûr, il n’y allait pas avoir des transferts directs de fonds du gouvernement fédéral à Power Corporation. Mais comment ce holding financier pouvait-il manquer son coup alors qu’il était en position d’influencer le gouvernement de toutes les manières possibles ? Voici quelques exemples des liens étroits entre le gouvernement et Power Corporation :
* Après sa carrière en politique active, Pierre Elliott Trudeau est devenu conseiller de Paul Desmarais ;
* Paul Martin dirigeait Canada Steamship Lines pour Power Corporation. Il allait devenir ministre des Finances, puis premier ministre fédéral ;
* Le sénateur Michael Pitfield, ancien greffier du Conseil privé et secrétaire du cabinet de Trudeau, a par la suite occupé le poste de vice-président de PC ;
* Gérard Veilleux, ancien secrétaire du cabinet fédéral, ancien président de Radio-Canada, est au service de PC depuis 1994 ;
* John Rae, ancien adjoint parlementaire de Jean Chrétien du temps où ce dernier était ministre des Finances, collectionneur de fonds du Parti libéral fédéral, est vice-président exécutif de PC.
Les liens avec la famille libérale fédérale sont les plus serrés ; après tout, la fille de Jean Chrétien n’a-t-elle pas épousé le fils de Paul Desmarais ? Mais cela ne veut pas dire que PC a négligé ses rapports avec les autres instances politiques :
* Gilles Loiselle, ex-ministre sous Brian Mulroney et sous Kim Campbell, est passé au service de PC après sa défaite électorale ;
* Brian Mulroney lui-même, après son départ de la politique active, est devenu l’avocat de Desmarais ;
* Daniel Johnson fils est passé directement des bancs d’université à PC, puis est devenu membre du gouvernement Bourassa, pour ensuite lui succéder comme premier ministre du Québec en 1994 ;
* La famille Desmarais et les hauts dirigeants de PC, utilisant tout ce que permettent les lois québécoises en matière de financement des partis politiques, sont les principaux bailleurs de fonds du Parti libéral du Québec.
Paul Desmarais est un honnête homme. Il a respecté ses engagements envers Trudeau. (Un peu comme le gars qui avait promis son vote à un candidat de l’Union nationale en retour d’une caisse de bière, au temps de Duplessis. À un ami qui lui suggérait qu’il pouvait tout aussi bien voter pour un autre candidat, personne n’en saurait rien, il répliqua d’un ton indigné : « Mais voyons, ça ne serait pas honnête ! ») Donc, Paul Desmarais, à mesure que sa fortune grossissait, se mit à faire l’acquisition des journaux du Québec pour faire la propagande voulue par Trudeau. Par l’entremise de sa filiale Gesca, Power Corporation est devenue propriétaire de la majorité des organes de presse écrite :
Quotidiens :
La Presse (Montréal)
Le Soleil (Québec)
Le Quotidien (Chicoutimi)
Le Nouvelliste (Trois-Rivières)
La Tribune (Sherbrooke)
Le Droit (publié à Ottawa, distribué à Ottawa, Gatineau et la région)
La Voix de l’Est (Granby)
Hebdomadaires :
Progrès Dimanche (Chicoutimi)
La Voix de l’Est Plus (Granby)
La Nouvelle (Sherbrooke)
La propriété de ces journaux permet à Power Corporation de s’acquitter de ses engagements envers Trudeau et de diffuser une stridente propagande antisouveraineté du Québec.
À titre de comparaison, en France occupée, la Propaganda-Abteilung avait chargé le trust Hibbelin de regrouper un certain nombre de publications pour assurer un meilleur contrôle du lectorat. À la fin de l’Occupation, le trust regroupait 8 sociétés anonymes, 49 publications et 3 maisons d’édition. 4
Qu’est-ce au juste que Propagande Canada ?
Propagande Canada, c’est d’abord la presse écrite propriété de Gesca (Power Corporation), soit 70 % des journaux francophones du Québec. Mais attention, cela ne signifie pas un avantage antisouverainiste de 70 à 30. Car les autres journaux ne sont pas pour autant souverainistes. Au mieux, on pourrait dire qu’ils sont neutres. Donc, pour ce qui est du débat sur la question nationale et de l’influence de la presse écrite, c’est 70 à 0.
Propagande Canada, c’est aussi Radio-Canada. En 2002, j’écoutais Edgar Fruitier présenter des chefs-d’œuvre de musique classique à la Chaîne culturelle. Je fus surpris quand Fruitier interrompit la musique et ses commentaires pour lire un billet de Lysiane Gagnon, de La Presse. Le sujet était le dada de Gagnon à l’époque, c’est-à-dire le système de santé et sa mauvaise gestion par le gouvernement du Parti Québécois. (Elle est beaucoup moins diserte depuis que les libéraux ont pris le pouvoir au Québec en 2003). J’adressai une lettre de protestation à Edgar Fruitier, où je disais, en résumé :
« J’écoute la radio à 104,3 pour entendre de la belle musique, pas pour me faire seriner les propos partisans de Mme Lysiane Gagnon ». Je ne reçus aucune réponse de M. Fruitier.
Ce n’est que plus tard que j’appris que Radio-Canada avait conclu une entente secrète avec La Presse, entente en vertu de laquelle on pouvait entendre à la radio et à la télévision la prose d’André Pratte, Lysiane Gagnon, bref tous les propagandistes du journal. Du point de vue des participants, évidemment, c’est très lucratif ; manger à deux râteliers, ça arrondit les fins de mois. Il faut que ce soit payant, le rôle d’agent de Propagande Canada !
Les directives données à Radio-Canada par des politiciens fédéraux et des hauts dirigeants de la SRC ont été nombreuses. Trudeau avait menacé la Société de la forcer à ne plus afficher que des vases chinois sur les écrans de télévision si ses journalistes ne marchaient pas au pas. En voici d’autres exemples :
* « Je ne veux pas voir Radio-Canada prendre une position neutre. Les employés, au moment du référendum, doivent être sans équivoque du côté de Pro-Canada ». 5
* « Radio-Canada a le mandat de faire la promotion de l’unité nationale ». 5
* « Mme Sheila Copps, vice-première ministre, estime que la SRC devrait jouer un rôle important dans la promotion de l’unité canadienne ». 7
« Permettez-moi de récapituler les objectifs du ministère du Patrimoine : Façonner l’expression de notre fierté à l’égard du Canada ». 8
On peut comparer ce qui précède avec une Note d’orientation émise par le gouvernement de Vichy aux journaux français le 22 novembre 1940 :
« Le sort de notre pays se joue et dépend, dans une certaine mesure, de l’attitude de la presse. Comment pourrait-il échapper au directeur du journal, à moins qu’il ne soit délibérément ou sourdement hostile à la politique pratiquée par le gouvernement du maréchal Pétain, que le thème essentiel est à l’heure présente celui de la collaboration ?... Pas une journée ne doit être perdue. En d’autres termes, pas un numéro du journal ne doit paraître sans apporter de contribution personnelle à l’œuvre du salut du gouvernement. » 9
Plusieurs seront sans doute choqués par ces parallèles entre la situation du Québec d’aujourd’hui et celle de la France occupée. Je répète donc qu’il y a de très grandes différences entre les deux situations. Même en ce qui concerne la propagande, les propriétaires fédéralistes, s’ils n’acceptent pas que leurs éditorialistes et columnists publient des arguments pro-souveraineté, n’imposent pas un contrôle absolu sur la nouvelle. Mais il faut reconnaître que c’est le seul autre moment dans l’Histoire où tant d’agents des médias ont écrit à répétition des réquisitoires contre l’indépendance de leur propre peuple.
Et voici maintenant quelques exemples de la façon dont la SRC s’acquitte de son mandat de propagande :
* Au cours de la campagne référendaire de 1995, on aurait juré que des consignes précises avaient été données aux journalistes de la SRC ;· Présenter les tenants du Oui en trop gros plan ou de trop loin ;
· Toujours interrompre celui qui parle pour le Oui, jamais celui qui parle pour le Non ;
· Toujours accorder plus de temps au Non ;
· Ajouter une perfide petite note éditoriale à la fin d’une déclaration pour le Oui ;
· Toujours utiliser des expressions négatives pour présenter les points de vue du Oui : « Parizeau tente de… », « Le camp du Oui admet… »
· Une nouvelle défavorable au Oui doit être amplifiée. Une nouvelle défavorable au Non doit être escamotée ou ignorée.
* Toujours pendant ce même référendum, le 8 octobre 1995, Jean-François Lépine interviewe Mario Dumont, du camp du Oui. Plus hostile que ça, tu meurs ! Il tape sur la table, apostrophe Dumont : « Qui êtes-vous pour nous dire comment voter ? » Tout de suite après, c’est Bernard Derome qui interviewe Jean Charest, du camp du Non. C’est de la flagornerie à l’état pur. Derome a le ton tendre qu’il prendrait pour parler à un enfant, tiens comme les animateurs de l’émission de radio 275 Allô.
* Le 8 octobre 2002, en plein cœur de la campagne de Propagande Canada contre le gouvernement du Parti Québécois dans le dossier de la santé, une journaliste de Radio-Canada nous fait part de ceci : l’Association médicale du Québec a fait faire un sondage qui révèle qu’un grand nombre de médecins du Québec songent à émigrer. Et que les médecins sont unanimes contre la loi qui les oblige à fournir des services dans les urgences. Pour donner du poids à cette nouvelle, la journaliste prend la peine de rappeler aux auditeurs que l’AMQ « n’est pas un syndicat ». Ce qu’elle ne dit pas, c’est qu’une des principales fonctions de cette association est de servir de lobby pour les médecins. Devant la Commission Romanow, ses représentants ont déclaré : « L’AMC continuera à appuyer la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (deux syndicats) dans leurs demandes pour faire relever les plafonds salariaux ».
* Le 21 mai 2003, j’écris à René Homier-Roy, animateur de C’est bien meilleur le matin : « … accueillir les commentaires de The Gazette sur la Fête des Patriotes, comme vous l’avez fait ce matin, vous permet d’atteindre un nouveau niveau d’abjection. Votre ton facétieux était d’une pusillanimité exemplaire. La répression des Patriotes, M. Homier-Roy, ne fut pas une petite cocasserie dont vous avez le droit de vous gausser ».
* Il y avait, à Radio-Canada, un reporter qui interprétait à sa manière le mandat de la SRC. Il déblatérait à tort et à travers contre tout ce qui était québécois. Sur Vigile, on pouvait lire, le 24 janvier 2002, ce que ce journaliste trouvait à dire sur Hydro-Québec : « S’il est vrai que les Québécois paient leur électricité beaucoup moins cher qu’en Ontario, Hydro-Québec n’en est pas moins la moins sûre et la moins bonne de tout le continent ». Aucune preuve à l’appui de cette affirmation, bien entendu. Les propagandistes ont le droit et le devoir de parler ex cathedra. (Ce journaliste a depuis été nommé au CRTC par le gouvernement fédéral. Comme quoi on récompense les âmes dévouées.)
Sur le site www.voxlatina.com, on peut lire une lettre de Mme Manon Berthelet au médiateur de presse de Radio-Canada en date du 17 septembre 2001. J’invite les lecteurs à prendre connaissance de cette lettre. Mme Berthelet a beaucoup plus de patience que moi pour regarder cette chaine de télévision et faire état de ses déformations.
Et les autres chaînes ?
Comme pour les journaux autres que ceux de Gesca, on peut dire que les postes de radio et de télévision autres que ceux affiliés à Radio-Canada sont, au mieux, neutres. Je dirais plutôt neutres avec tendance antisouveraineté. Évidemment, il faudrait être tout un comité d’observateurs munis d’enregistreurs pour confirmer cette tendance. Je me contenterai ici de faire état de mes observations personnelles pou illustrer mon évaluation :
* Une lectrice principale de nouvelles à TVA, qui parle d’un petit ton méprisant du « sacro-saint virage ambulatoire » ;
* Semaine du 25 mars 2001. La ministre des Finances Pauline Marois annonce que, dans son prochain budget, elle se montrera reconnaissante envers les Québécois. Le scribe de TVA change le mot « reconnaissante » pour « généreuse », ce qui permet à Simon Durivage de faire des gorges chaudes : « Imaginez, elle dit qu’elle va se montrer généreuse, comme si c’était son propre argent ! »
* À la mort de Jean Drapeau, un de ses amis a obtenu d’être interviewé à la télévision par un journaliste de TVA. Il semble qu’il avait une crotte sur le cœur depuis longtemps et qu’il a sauté sur l’occasion pour s’en soulager. Son propos ? De Gaulle, lors de son discours sur le balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal, n’a jamais voulu dire « Vive le Québec libre ». Ceci, à l’encontre de ce qu’a écrit le ministre Alain Peyrefitte dans son ouvrage, De Gaulle et le Québec. Évidemment, il n’y avait personne pour donner la réplique à l’ami de Drapeau si pressé de donner son interprétation si fantaisiste à l’Histoire.
* Le 19 septembre 2009, sur LCN. C’est l’avant-veille d’une élection partielle dans la circonscription de Rousseau. Le reporter est sur le terrain. (À moins que les images lui ait été données par le PLQ). On voit Jean Charest et on entend un bout de son discours : si le Québec est moins frappé que d’autres par la récession, il le doit à son gouvernement. Nous ne voyons ni n’entendons Pauline Marois lui donner la réplique. Le lendemain, c’est encore pire. On ne voit que Charest qui serre des mains. Encore un organe d’information qui se transforme en agence de publicité du PLQ.
* La présence sur les ondes de la radio d’animateurs de lignes ouvertes comme André Arthur ou les différents clowns de CIQC, farouchement antisouveraineté (mais jamais un animateur prosouveraineté).
Pourquoi donc les chaînes indépendantes copieraient-elles Radio-Canada, elles ne sont pas propriétés du gouvernement fédéral ? D’abord à cause du CRTC, qui a son mot à dire sur le contenu de leur programmation. Deuxièmement, le pouvoir de la fortune colossale de Power Corporation, appuyée par les « sommes énormes » du gouvernement fédéral, exerce un attrait puissant sur ceux qui ont les moyens de s’acheter ces chaînes dites indépendantes et sur les journalistes qu’ils embauchent. Et finalement, il y a les revenus obtenus directement du gouvernement fédéral pour ces publicités qui se terminent par « un message du gouvernement du Canada », quand ce n’est pas « la monnaie royale canadienne, nos valeurs d’ici ». (La mode dans la publicité est à l’humour, voire l’autodérision, mais je ne crois pas que les agents de Propagande Canada avaient cette idée en tête quand ils ont pondu cette dernière perle. Pour eux, l’agence d’impression de la monnaie est vraiment une « valeur d’ici »).
Ne rien négliger
Il n’y a pas que la presse écrite et parlée. Propagande Canada fait sentir son influence d’une multitude de façons. Trudeau avait prêché d’intervenir par le biais de « l’éducation ». Un jour, un de mes petits-fils me rapporte fièrement un cadeau qu’il a reçu à l’école. C’est une petite boîte métallique entourée d’un bandeau portant drapeau rouge et couronnes royales. La boîte affiche 37 fois le mot « Canada ». On y trouve un petit carnet pour noter ses « émotions canadiennes et une médaille du « millénaire », avec en grosses lettres le mot « Canada ».
En 1997, la ministre du Patrimoine Sheila Copps avait fait distribuer une « trousse pédagogique » dans 16 500 écoles. Ladite trousse avait nécessité le concours de six maisons de production, 10 organismes, 12 ministères et plus d’une quarantaine de spécialistes. La trousse comprenait un guide de l’enseignant, un disque compact, une bande vidéo, un cahier pour les élèves, une centaine de drapeaux autocollants et un message du premier ministre Jean Chrétien. Mme Copps déclarait dans un communiqué de presse : « Nos enfants doivent pouvoir ressentir eux aussi cette joie que nous procure à tous notre identité canadienne ». Elle précisait que chaque école avait le droit de recevoir deux drapeaux, un pour déployer en public et l’autre pour les activités en classe. Elle incitait aussi les enfants « de quatre à sept ans » à porter des vêtements aux couleurs du Canada. « Encouragez-les à porter autant de rouge et de blanc qu’ils le peuvent », conseillait-elle aux enseignants. Enfin, elle suggérait de fabriquer « un drapeau vivant », en « demandant à la moitié des élèves et des professeurs de porter des chemises blanches et à l’autre moitié des chemises rouges ».
Lors du référendum de 1995, le camp du Non a organisé pour les enfants un concours de lettres d’amour pour le Canada. À Chicoutimi, des adultes incitèrent des enfants à confectionner des pancartes pour le Non, puis les firent parader. La Presse publia une photo de cette parade le 10 octobre 1995, avec le titre « Une vision mondiale ».
Il y a eu d’autres cas dans l’Histoire où des propagandistes ont dirigé leurs efforts vers les enfants d’écoles. En France occupée, on faisait chanter Maréchal nous voilà ! aux élèves. Et le 8 novembre 1943, pour mousser le Service de travail obligatoire, le gouvernement de Vichy lançait le concours de la plus belle lettre. Les enfants étaient invités à écrire à un proche parent parti travailler en Allemagne. Comme le disait le secrétaire d’État à l’Éducation nationale, « Il est très bien que des enfants interviennent, à l’âge où la sensibilité a toute sa force et avec la puissance irrésistible qu’ils ont sur les grandes personnes ».
Trudeau voulait que la propagande se fasse également par « les offices du film ». Un jour, une de mes petites-filles m’avait conscrit pour regarder un film avec elle. Il s’agissait de La championne, une mignonne petite œuvre relatant les aventures d’une jeune gymnaste. Le film est roumain et tous les acteurs et gymnastes sont roumains. Cependant, on aperçoit tout à coup, comme un cheveu sur la soupe, le symbole olympique surmonté de la feuille d’érable canadienne. On se demande qu’est-ce que ça vient faire là ! À un autre moment, dans une classe, le professeur parle du Canada, où « vivent des populations anglaises, françaises et autochtones ». C’est quand même une belle coïncidence que l’on parle justement du Canada et de ses « populations » dans ce petit film roumain. Le mystère s’éclaircit lorsqu’on regarde le générique à la fin. Radio-Canada a participé à la production ! Évidemment, cela n’a pas l’envergure des trousses dans les écoles. C’est juste une petite propagande subliminale à l’intention des enfants. Toutefois, je dois préciser que je ne passe pas mon temps à regarder des films d’enfants. Si le hasard m’a fait découvrir ce cas-là, il est permis de croire qu’on pourrait en révéler des douzaines si on se réunissait à plusieurs pour faire part de ce qu’on a observé.
Quelques autres façons de dépenser
Le gros des « sommes énormes » est dépensé via les médias, mais il ne faudrait pas passer sous silence les autres mécanismes. On connaît, bien sûr, le programme des commandites. Mais si tant de monde en a entendu parler, c’est seulement parce que des participants à ce beau programme, trop pressés de s’enrichir, ont triché à qui mieux mieux. Il y a bien d’autres programmes. Le Bloc Québécois avait fait un inventaire des sommes dépensées en propagande par le gouvernement fédéral de 1995 à 2003. En voici un résumé. J’ai exclu le programme des commandites, qui est déjà suffisamment documenté merci, ainsi que les sommes reliées à la création d’un guichet unique pour les services du gouvernement, même si on a profité de l’opération pour y introduire de la propagande.
1995-96
30e anniversaire du drapeau 1,1 M$
Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses) 5,6
Minutes du patrimoine 7
Option Canada (propagandes diverses) 4,8
Opération Unité 11
Campagne « Un million de voix » 0,5
Promotion de la capitale fédérale dans le cinéma 0,5
Promotion des services fédéraux 5
1996-97
Bureau d’information du Canada (propagandes diverses) 19,5
Opération « Un million de drapeaux » 15,5
Dépliant sur une motion sur la société distincte 0,6
Campagne « Une affaire de cœur » 0,5
Chandails avec feuilles d’érable pour les athlètes aux Jeux du Québec 0,1
Stages de jeunes pour promouvoir l’unité nationale 7,5
Bureaux régionaux du Conseil de l’unité canadienne (CUC) 2,5
1997-98
Bureau d’information du Canada (propagandes diverses) 20
Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses) 3,8
Fête du Canada 3,4
1998-99
Bureau d’information du Canada (propagandes diverses) 20
Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses) 6,2
Fête du Canada 4,7
1999-2000
Bureau d’information du Canada (propagandes diverses) 21,2
Conseil de l’unité canadienne (propagandes diverses) 6
Fête du Canada 5,4
Programme « 1-800-Ô-Canada » 1,2
Forum des fédérations 2,6
Recherches sur le fédéralisme 1,8
Publicité sur le budget fédéral 3,6
Institut sur le fédéralisme et les fédérations 10,5
2000-2001
Bureau d’information du Canada (propagandes diverses) 31
Fête du Canada 6,9
2001-2002
Bureau d’information du Canada (propagandes diverses) 31
Bureau d’information du Canada (propagandes diverses) 31
Dans son document, le Bloc Québécois fait état d’autres initiatives et sommes dépensées, en tout ou en partie, pour faire de la propagande fédéraliste ou antisouveraineté. Bien sûr, toutes ces informations proviennent d’un parti politique et sont donc sujettes à caution, mais elles n’ont pas été réfutées par le gouvernement fédéral.
***
NOTES DU CHAPITRE 3
1. Pierre Elliott Trudeau, Le fédéralisme et la société canadienne-française, Les éditions Hurtubise HMH, Montréal, 1967.
2. William L. Shirer, Le Troisième Reich, des origines à la chute, Tome 1, Stock, Paris, 1959-60.
3. Robin Philpot, Derrière l’État Desmarais : POWER, Les Éditions des Intouchables, Montréal, 2008, p. 15
4. L. Charliet, Histoire Générale de la Presse française, Presses universitaires de France, 1979.
5. Le ministre André Ouellet à Peter Gzowski, en avril 1977, rapporté par Graham Frazer dans e Parti Québécois, Libre Expression, Montréal, 1984, p. 147.
6. Jean Chrétien, 14 novembre 1995.
7. Sheila Copps, 15 novembre 1995.
8. Guylaine Saucier, présidente du Conseil et Perrin Beatty, PDG, Radio-Canada, 7 mai 1999.
9. Henri Amouroux, La grande histoire des Français sous l’occupation, Partie 3, Les beaux jours des collabos, juin 1941-juin 1942, Robert Lafond, Paris 1978, p. 20.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
5 mars 2011Excellent article très bien documenté. Falardeau avait écrit sur la propagande de R.-C., mais Jacques Godbout (monsieur peut-être ben qu'oui, peut-être ben qu'non) avait refusé de le publier.
La propagande du fédéral est tellement insidieuse que c'en devient décourageant.
J'ai toujours été étonné du nombre de fois où on dit le mot "pays" (lequel?) au Téléjournal, comme si on voulait nous l'imprimer dans le cerveau.
Le parti pris de la plupart des journalistes est évident et ils penchent tout le temps du même bord, du côté de la main qui les nourrit.