Québec — Jacques Parizeau, qui estime que la Charte des valeurs québécoises va trop loin, est en contradiction avec la position qu’il défendait au moment de la publication du rapport Bouchard-Taylor en 2008. Dans un texte qu’il signe dans les journaux de Québecor, Jacques Parizeau se dit en accord avec la position du célèbre duo Gérard Bouchard et Charles Taylor sur la question du port des signes religieux, l’enjeu le plus litigieux du projet de charte du gouvernement Marois.
« Je pense qu’on devrait se limiter aux recommandations du rapport Bouchard-Taylor, c’est-à-dire de l’appliquer aux policiers, aux procureurs, aux juges et généralement à ceux qui ont le pouvoir de contraindre. Je n’irais pas plus loin pour le moment. »
Il est d’accord, toutefois, avec les autres propositions du gouvernement Marois, soit d’inscrire le principe de neutralité de l’État dans la Charte des droits et libertés et de baliser les accommodements raisonnables. « Je pense qu’il serait préférable de se limiter, dans la Charte, à l’affirmation des principes de la neutralité de l’État à l’égard des religions. Il faut aussi maintenir et peut-être encore préciser les règles applicables par toutes les administrations publiques à l’égard des accommodements pour raisons religieuses, en particulier celle en vertu de laquelle rien ne doit porter atteinte au principe de l’égalité des hommes et des femmes. »
«Abstrait et fumeux»
Pourtant, il y a quelques années à peine, l’ancien premier ministre avait une opinion beaucoup plus tranchée. En 2008, il affirmait que le rapport Bouchard-Taylor était « abstrait et fumeux » et qu’il fallait l’envoyer « dans la filière 13, le mettre dans un tiroir et l’oublier ». Il voyait, dans ce rapport, « une sorte de mépris du Canadien français qui [lui faisait penser] à Pierre Elliott Trudeau ».
Questionné à cet effet à l’émission 24/60 en fin de journée jeudi, Jacques Parizeau s’est défendu d’avoir changé d’idée. « Je suis d’accord avec une proposition de ce rapport qui me paraît utile pour essayer de régler le problème. Je ne veux pas revenir sur tout le rapport Bouchard-Taylor, c’est une autre paire de manches. Je prends un morceau, j’essaie de l’introduire dans une proposition générale raisonnable. »
Dans cette même entrevue, il a nié que sa sortie était une tentative de se racheter pour sa déclaration de 1995 sur l’argent et le vote ethnique, éclatant de rire lorsque la question lui a été posée. « Ça, c’était une déclaration. Mais je n’ai jamais été associé, ni comme ministre des Finances ni comme premier ministre, à une démarche pour interdire quoi que ce soit de religieux au Québec. »
Jacques Parizeau dit vouloir offrir une porte de sortie honorable au gouvernement Marois, qui s’empêtre dans une situation qui dégénère. « Il me paraît important de calmer le jeu, on s’excite un peu trop », a-t-il affirmé. Plus tôt jeudi matin, il affirmait sur les ondes du 98,5 que « le feu a commencé à prendre dans notre société ».
Contrairement au gouvernement du PQ, il estime que le crucifix n’a pas sa place au Salon bleu. Il croit enfin que le projet de charte, comme présenté par Bernard Drainville, nuira au mouvement souverainiste. « Pendant ce temps, à Ottawa, tous partis confondus, on proclame son appui aux minorités du Québec. En fait, le fédéralisme se présente comme leur vrai défenseur », écrit-il dans sa lettre ouverte.
Le citoyen Parizeau
À Québec, les députés du Parti québécois, Pauline Marois en tête, ont tenté de minimiser l’importance de la critique de l’ancien premier ministre. « M. Parizeau est un citoyen québécois, il a le droit de prendre position comme tous les citoyens du Québec et de contribuer au débat, a affirmé Pauline Marois. Alors, c’est dans ce sens que j’accueille son point de vue. »
Bernard Drainville nie être embarrassé par la position de Jacques Parizeau, qui s’éloigne de celle du gouvernement sur un certain nombre de points. « Il [M. Parizeau] a un poids certain, il a toute la crédibilité que lui donne son titre d’ancien premier ministre du Québec, mais encore une fois, je pense que c’est une participation qui est constructive, qui est positive, et on va prendre en considération ses commentaires, mais on va prendre en considération également les commentaires des autres citoyens, de tous les citoyens québécois qui nous ont écrit. »
Le ministre Drainville s’est dit ouvert à bouger sur un certain nombre de points, dont la clause de retrait, la présence du crucifix et la prière dans les assemblées municipales, mais « il n’est pas question de reculer sur les grands principes sur lesquels s’appuie la Charte », a-t-il affirmé.
Son collègue, responsable de la métropole et ancien conseiller de Jacques Parizeau, Jean-François Lisée, s’est amusé de la situation. « On pourrait dire que c’est non seulement une tradition, c’est presque une valeur québécoise contemporaine que de voir M. Parizeau donner son opinion. »
Selon lui, les positions de son ancien patron « transcendent les familles politiques » sur la question de la Charte. « Sur la question du balisage des accommodements religieux, il est d’accord avec le PQ. Sur les questions du port des signes religieux, il est plus ambitieux que les libéraux et moins ambitieux que la CAQ. Sur la question du crucifix, il est plutôt Femen. »
Oppositions
Du côté des oppositions, tous se réjouissaient de cette nouvelle sortie de l’ancien chef du Parti québécois et tentaient de faire des rapprochements avec la position de leur propre parti. « Lorsqu’on est en ces matières, on doit rechercher l’unanimité de la Chambre,a soutenu le chef de l’opposition officielle, Jean-Marc Fournier. Il y a là quand même beaucoup de matières avec lesquelles on s’entend, matières dans lesquelles M. Parizeau semble donner le signal qu’elles sont importantes. »
Nathalie Roy, de la CAQ, se disait pour sa part « ravie de constater que cet homme, ce matin, embrasse la totalité de [leur] position, outre les enseignants [qu’ils ajoutent]. »
Même du côté de Québec solidaire, Françoise David affirmait que « ce que M. Parizeau propose est exactement la position défendue par QS ».
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