Chrétien à la rescousse

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Mon'onc Jean en mode {«damage control»}

Le Canada ne devrait pas participer aux frappes aériennes contre le groupe armé État islamique (EI), tranche Jean Chrétien. Généralement discret, l’ancien chef libéral est sorti de sa réserve hier, dans une lettre publiée dans nos pages, afin d’épauler Justin Trudeau qui, depuis une semaine, essuie une cascade de critiques, y compris de ténors libéraux comme Bob Rae et Lloyd Axworthy.

Sans le vouloir, M. Chrétien a cependant fait la preuve, avec cette missive, que l’expérience, qui fait défaut à son successeur, est un atout important quand vient le temps de se prononcer sur une question de cette importance. Sa conclusion est la même que celle de M. Trudeau, mais les raisons qu’il invoque et les propositions qu’il fait sont plus précises.

Alors que M. Trudeau a esquivé le sujet dans ses allocutions, M. Chrétien, lui, a rappelé l’importance de voir une action multilatérale sanctionnée par l’OTAN ou les Nations unies, ce qui n’est pas le cas en Irak et en Syrie actuellement. À son avis, une coalition dominée par les pays occidentaux risque seulement d’attiser un sentiment antioccidental bien enraciné dans la région après des décennies de colonialisme et les dix ans de guerre en Irak. Cette guerre lancée sous de faux motifs a mené au gâchis actuel, dit-il. Avoir refusé d’y participer demeure pour lui une grande source de fierté.

Selon M. Chrétien, il ne fait pas de doute qu’il faut contrer l’EI et ses horreurs, mais pour éviter les dangers qu’il évoque, il faut que la mission de combat soit menée par des pays de cette région, quitte à ce qu’ils bénéficient de l’aide d’un très petit nombre de pays occidentaux, dont les États-Unis, pour mener des frappes aériennes.

La contribution offerte par Ottawa est mal avisée, dit-il, puisqu’elle restera marginale et ne servira qu’à allonger la liste des participants. Il vaudrait mieux miser sur la bonne opinion qu’a inspirée le refus du Canada de participer à la guerre de 2003 pour offrir une aide différente et s’attaquer à d’autres aspects du problème. L’option militaire n’est pas la seule.

Il fait deux suggestions à M. Harper : accepter rapidement 50 000 réfugiés fuyant l’EI et verser immédiatement 100 millions de dollars au Programme alimentaire mondial pour aider à nourrir les réfugiés à la veille de l’hiver.


On pourrait prétendre que tout cela n’est pas si différent de ce qu’a essayé de dire, plus maladroitement, M. Trudeau, mais il est évident que M. Chrétien tente ici de combler certains vides. Des vides qui n’avaient pas de raison d’être puisque le chef actuel du PLC a eu plus d’une occasion de s’exprimer sur le sujet aux Communes. Il n’en a pas entièrement profité, ce qui aurait été inimaginable de la part de MM. Chrétien, Martin, Dion, Ignatieff ou Rae.

Après avoir reproché à Stephen Harper d’avoir annoncé la contribution supplémentaire du Canada lors d’un passage à New York, il a lui-même fait son plus long discours sur la question à l’extérieur du Parlement, devant le groupe de réflexion Canada 2020. Il y a évoqué la guerre de 2003 et ses conséquences. Il a dénoncé le manque de transparence du gouvernement dans ce dossier. Il a souligné que le Canada pouvait contribuer autrement, sans participer aux combats avec des « avions vieillissants ». Il a parlé d’aide médicale, humanitaire et même militaire non offensive, mais il a évité d’être trop précis.

Son propos avait aussi quelque chose d’ambigu. Il disait s’opposer au projet du gouvernement, mais donnait l’impression que la porte restait ouverte si le premier ministre se montrait plus transparent et offrait des réponses « honnêtes ».


« Si nous devons à présent leur demander [aux forces armées] d’en faire encore plus, nous ferions mieux d’avoir une bonne raison. » Mais lui-même n’a pas offert une raison fondamentale, comme celles offertes par M. Chrétien ou encore le chef du NPD, Thomas Mulcair, pour rejeter sans partage l’option des frappes par des avions canadiens.

En Chambre, le chef libéral a répondu à la déclaration que le premier ministre a faite le 3 octobre dernier, mais a offert les mêmes arguments, sans plus. Il aurait aussi pu étoffer son propos lors de deux débats tenus aux Communes, il ne l’a pas fait.

En s’absentant du débat d’urgence, en ne faisant pas de discours lors du débat sur la motion gouvernementale, le chef libéral a raté deux moments cruciaux de s’imposer, d’autant plus que, comme l’écrit Jean Chrétien, « il n’y a pas de décision plus grave pour un élu que d’envoyer des hommes et des femmes dans des conflits », au péril de leur vie. Ce genre d’occasions ne se rate pas, surtout quand on est un chef de parti qui convoite le poste de premier ministre.

Jusqu’à présent, Justin Trudeau a pu surfer sur sa popularité et se contenter d’un message vague mais positif. Malheureusement pour lui, l’heure de vérité arrive. Plus les élections approchent, plus les citoyens voudront savoir s’il a la stature nécessaire pour jongler avec les enjeux les plus fondamentaux, la guerre en étant un.

Il lui revient d’en faire la preuve, car M. Chrétien ne pourra pas toujours sauver les meubles.


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