L’homme discret qui sortait promener son chien tous les matins avait l’allure d’un directeur de banque de province. Peu de gens le connaissaient à Cochabamba, où le climat est d’une fraîcheur idéale.
Il appréciait sa vie tranquille, avec sa famille, dans cette ville de Bolivie. Ici, la richesse était un mode de vie. Dans un pays où la pauvreté côtoyait le plus ostentatoire des luxes, Cochabamba semblait un eldorado. Des voitures neuves klaxonnaient au coude-à-coude dans les rues, des restaurants hors de prix étaient partout, des appartements de luxe sortaient de terre presque quotidiennement et la vie nocturne était la plus débridée du pays.
La raison ? La cocaïne. Et l’un des principaux architectes de la prospérité de la ville était l’homme discret qui promenait son labrador noir. En le croisant, vous n’auriez jamais deviné qu’il s’agissait de Klaus Barbie – ancien officier SS, nazi fanatique et chef de la Gestapo dont la brutalité lui avait valu le qualificatif de « Boucher de Lyon ».
Et au delà – c’était l’un des acteurs-clé de l’industrie de la cocaïne du pays, une affaire qui se chiffrait en multi-millions de dollars. Ce lien, à lui tout seul, avait dissuadé l’actrice britannique Helen Mirren de consommer de la cocaïne dans les années 80. Dans une interview, elle avait dit, « J’ai vu comment mon sniff, dans une soirée, avait un lien direct avec cet homme horrible en Amérique du Sud, et à dater de ce jour, je n’ai jamais retouché à de la cocaïne. »
Mais l’histoire de Klaus Barbie et de sa cocaïne est très loin de s’arrêter à ces détails. Le personnage était également l’un des acteurs vitaux de la lutte anticommuniste de l’Amérique et un agent des USA très important pour l’agence de renseignement du pays, la CIA, qui utilisait la cocaïne comme une arme dans les années cinquante.
A la fin de la guerre, Barbie s’était enfui en Allemagne, où il avait rapidement été recruté par les Britanniques avec d’autres chefs nazis. Mais en avril 1947, il avait été repéré par les Américains, qui étaient impressionnés par ses capacités d’organisation et d’interrogatoire.
L’un des officiers qui l’avaient recruté l’avait décrit comme « un homme franc, que ce soit intellectuellement ou personnellement, sans le moindre état d’âme ou de peur. C’était un anticommuniste ferme et un idéaliste nazi qui pensait que ses idéaux avaient été trahis par la hiérarchie nazie au pouvoir. »
De fait, les Américains étaient enthousiastes à l’idée d’utiliser ses talents et tout à fait prêts à négliger son horrible bilan en tant que chef de la Gestapo. On disait qu’il avait été responsable de la torture et de la mort de plus de 26 234 personnes en France. Et il avait personnellement torturé le plus grand Résistant français, Jean Moulin. Il avait fait cela avec le plus grand plaisir et avait été personnellement récompensé par Hitler pour la cruauté de ses efforts.
Mais rien de tout cela n’avait dissuadé les Américains. Son anticommunisme ardent était ce qui les intéressait et le 22 mars 1951, il avait été exfiltré d’Allemagne par les USA, à travers l’Autriche vers l’Italie. De là, il avait été envoyé en Argentine, puis en Bolivie.
Au cours des années 50, il avait été condamné à mort par contumace, mais il avait continué à jouir de la protection de la communauté du renseignement américaine, et en 1957, il avait obtenu la nationalité bolivienne sous la fausse identité Klaus Altmann.
A cette époque, les USA étaient au bord de l’hystérie à cause de la monté du communisme en Amérique du Sud. Étant donné le nombre de militants de gauche virtuellement sur son palier, les USA étaient prêts à dépenser des millions de dollars en opérations et accords secrets destinés à soutenir des régimes de droite.
L’immense industrie de la cocaïne faisait partie intégrante de ces mesures et Klaus Barbie avait prouvé son utilité dans les opérations américaines. Dans les années 60, il avait démarré la compagnie qui, à part la vente de pâte de coca, distribuait aussi des armes à des éléments violents de droite dans plusieurs pays d’Amérique du Sud.
Barbie faisait partie d’une cabale de criminels nazis qui s’étaient réfugié en Amérique du Sud à la fin de la guerre, et dont nombre étaient financés par la CIA pour leur efforts contre le communisme.
Barbie collaborait également avec la hiérarchie d’une importante compagnie maritime qui générait des millions de dollars en profits du business de la cocaïne.
A la suite d’un coup d’État en Bolivie en 1970, Barbie était resté avec la nouvelle dictature qui dirigeait le pays et percevait 2000 dollars par mois pour ses services de « consultant ». Un an après, des agents français l’avaient formellement identifié comme le Boucher de Lyon, mais le régime bolivien avait refusé de l’extrader au prétexte de sa nationalité bolivienne.
Dans le cadre de la lutte anticommuniste des USA, Barbie avait également été impliqué dans des opérations de la CIA comme l’Operation Condor. Et c’était l’un des personnages centraux du « coup d’État bolivien de la cocaïne » en 1980.
Il se tenait au coeur d’un flot d’argent de la drogue dans les coffres de la droite – à une époque, 30 millions de dollars avaient été envoyés pour financer des opérations paramilitaires en Amérique Centrale et du Sud.
Les capacités d’organisation de Barbie lui valaient nombre de louanges. Un combattant de droite en avait dit, « Il était très utile parce qu’il jouait un rôle très important dans toute la lutte anticommuniste de l’Amérique Latine. Il avait de très grandes capacités administratives. »
Et en 1980, Barbie menait un groupe néofasciste appelé « les fiancés de la mort ». Un agent infiltré de la division américaine anti-drogue (la DEA), Michael Levine, avait dit du groupe : « ces bandits masqués n’étaient pas boliviens. Ils parlaient espagnol avec des accents allemand, français et italiens. Il n’y avait aucune marque de nationalité ou d’identification sur leurs uniformes, mais nombre d’entre eux portaient des insignes et des brassards frappés de la croix gammée nazie. »
Barbie était si profondément impliqué dans le business de la cocaïne – et à partir d’une position de pouvoir clairement approuvée par la CIA – que la Bolivie était rapidement devenue le fournisseur principal de la drogue aux tous nouveaux cartels colombiens. Et dès le début des années 80, la Bolivie était devenue un des principaux fournisseurs de drogue des USA.
L’anticommunisme de Barbie était toujours aussi obsessionnel, et il se sentait protégé grâce au soutien de la CIA.
Certains pensent aussi qu’il avait orchestré la capture du guérillero marxiste Che Guevara [NdT: menée à bien avec l’aide d’autres amis de la CIA, des exilés cubains anti-castristes employés par l’agence dans l’opération de la Baie des cochons et divers attentats terroristes contre Cuba.]
Ce dernier avait aidé Fidel Castro à prendre le pouvoir à Cuba et était resté son homme de confiance jusqu’à sa capture par la CIA dans les forêts de Bolivie en octobre 1967.
La possibilité d’une implication de Barbie dans l’organisation de la capture de Che Guevara a été suggérée dans un documentaire du réalisateur britannique détenteur d’un Oscar Kevin Macdonald, « L’ennemi de mon ennemi ».
La CIA recherchait le Che et, selon le film, elle s’était tournée vers Barbie pour sa connaissance des techniques de contre-guérilla.
Barbie s’était signalé à l’attention d’Hitler au cours de la guerre avec ses tentatives pour mater la Résistance française et Alvaro De Castro, l’un de ses collaborateurs de longue date, avait dit dans le film : « Nous avions rencontré le major Shelton, le commandant de l’unité américaine. Aucun doute sur le fait qu’Altmann (Barbie) lui avait donné des conseils sur la façon de mener ce type de guerre de guérilla. Il utilisait l’expertise qu’il avait acquise pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont tiré pleinement profit de son expérience. »
D’autres affirment dans le film que Barbie se vantait souvent d’avoir conçu la stratégie de l’assassinat de Che Guevara.
Le réalisateur Kevin Macdonald, qui a également réalisé The Last King Of Scotland, une biographie fictionnelle du dictateur ougandais Idi Amin Dada, a dit qu’il voyait des parallèles entre Amin et Barbie.
« L’autre facette de Barbie était son charme, un des aspects qui le rendaient fascinant. Il était un peu comme Amin, quelqu’un de charmant mais d’également profondément maléfique, et qui n’avait pas la moindre considération pour la vie humaine. »
Mais au début des années 80, le passé sanguinaire de Barbie commençait à le rattraper, et un nouveau gouvernement bolivien a finalement autorisé son extradition vers la France. En 1984, à Lyon, il a été jugé pour crimes de guerre.
Les témoignages contre lui étaient souvent horrifiants et l’un des témoins, Ennat Léger, en a dit, « Il avait les yeux d’un monstre. C’était un sauvage, mon Dieu, un sauvage. C’était inimaginable. »
Barbie torturait personnellement des prisonniers et jouissait du sadisme de ses collaborateurs et des souffrances qu’il infligeait, avec des méthodes trop écoeurantes pour être retranscrites dans un journal.
Au cour du procès, des spectateurs et des journaliste sortaient souvent quand les descriptions des tortures infligées au prisonniers de Barbie devenaient insupportables. Malgré tout, Barbie restait généralement impassible. Parfois, il discutait avec son avocat et quand il a finalement été condamné à la prison à perpétuité, il a gardé son arrogance d’ancien officier SS.
Après les récits nauséabonds de ses brutalités, il semble étrange que la CIA ait été aussi enthousiaste à l’idée de l’utiliser dans sa bataille contre la communisme. [NdT : Nous dirions que précisément, c’était tout à fait logique.] L’éthique ne jouait visiblement aucun rôle dans le choix des guerriers anticommunistes de la CIA.
Klaus Barbie est mort en 1991 – vieux, seul et brisé dans sa cellule de prison française. Et, comme on pouvait s’y attendre, la CIA ne lui a envoyé ni fleurs, ni couronnes.
Traduction Entelekheia
Photo : Saisie d’un stock de cocaïne frappé d’insignes nazies par la douane bolivienne. Date inconnue.
Note de la traduction : Les démêlés de la Bolivie avec les USA ne sont en rien terminés :
En 2015, Wikileaks faisait état d’un complot américain pour assassiner le président bolivien Evo Morales.
WikiLeaks: US Government Plotted to Assassinate Bolivian President,
http://theantimedia.org/wikileaks-us-government-plotted-to-assassinate-bolivian-president/
Il y a deux jours, le président Morales dénonçait des financements américains de groupes terroristes séparatistes en Bolivie en 2008. Encore cette fois, l’affaire a été révélée par Wikileaks.
US Funds ‘Terrorist’ Separatist Groups in Bolivia: Evo Morales
http://www.telesurtv.net/english/news/US-Funds-Terrorist-Separatist-Groups-in-Bolivia-Evo-Morales-20170725-0018.html
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