En pleine Guerre froide, la CIA a dépensé presque 350 millions de dollars pour tenter de voler un sous-marin soviétique avec l'aide du milliardaire excentrique Howard Hughes.
Dans son nouveau livre intitulé La Prise du K-129 (The Taking of K-129), en librairies le 5 septembre, l'écrivain Josh Dean décrit en détail l'une des opérations secrètes les plus étonnantes de l'histoire américaine.
La Guerre froide s'intensifiait au fur et à mesure que les deux camps renforçaient leur potentiel nucléaire pour le rendre de plus en plus meurtrier.
A la fin des années 1960, les militaires soviétiques patrouillaient déjà dans l'océan Pacifique avec une flottille réduite de sous-marins diesels dotés de l'arme nucléaire.
Ces sous-marins pouvaient plonger, attaquer et occuper des positions leur permettant de détruire des villes sur la côte ouest des USA en cas de guerre nucléaire.
Le sous-marin K-129 a quitté la péninsule du Kamtchatka en février 1968 avec trois missiles nucléaires à son bord. Il était censé se rendre dans une région éloignée du Pacifique au nord-est d'Hawaï.
Le 9 mars, un navire de reconnaissance américain a rapporté une activité sans précédent près du littoral du Kamtchatka: une flottille de sous-marins en est sortie en mettant le cap sur le Pacifique sans prendre la peine de passer inaperçue.
Le K-129 a finalement disparu — supposément après un naufrage dans l'océan. Les partisans de la Guerre froide à Washington y ont vu l'opportunité de mettre la main sur de nombreux renseignements importants concernant aussi bien les technologies nucléaires que le décryptage des codes militaires.
La CIA a alors conçu le projet Azorian, une mission ultrasecrète ayant pour objectif de construire un immense navire capable d'accueillir le sous-marin soviétique naufragé dans sa partie inférieure.
Cependant, la CIA avait besoin d'une couverture pour construire ce navire sans pour autant révéler sa mission. L'agence ne pouvait pas utiliser une société anonyme comme couverture pour une ruse à 350 millions de dollars.
Howard Hughes, 64 ans, se cachait alors au dernier étage de l'un de ses hôtels à Las Vegas. Ce milliardaire connu pour son agoraphobie vivait à l'époque son long et étrange déclin.
Il a accepté de servir de couverture pour ce plan. Quand les principaux acteurs se sont rencontrés à l'hôtel de Las Vegas pour élaborer le «contrat noir», l'avocat de Hughes est sorti plusieurs fois de la pièce pendant les moments critiques.
L'un des représentants du gouvernement était stupéfait que Hughes se trouve à proximité et, d'une manière mystérieuse, soit au courant de tous les détails des négociations.
Les interlocuteurs ont mis au point la légende suivante: la compagnie de Hughes devait financer la première étape des travaux de reconnaissance pour lancer l'exploitation des ressources de l'océan. Prochaine étape: raconter ces faux plans à la presse qui ne se doutait de rien.
Même si on pouvait facilement présenter cette histoire comme une nouvelle idée folle de Hughes, l'opération nécessitait une mise au point minutieuse pour ne pas éveiller les soupçons de l'Union soviétique.
Manfred Krutein, expert de l'exploitation des ressources minières en mer, a été spécialement engagé pour élaborer plusieurs arguments convaincants afin de justifier la construction de ce navire gigantesque.
Les particularités techniques du navire Glomar Explorer demandaient une montagne d'explications. Ce navire devait être suffisamment grand pour contenir une cargaison de 3,93 millions de livres et la transporter aux USA en passant inaperçu.
Quelques mois plus tard, Krutein écoutait déjà un représentant de Hughes parler de la naissance d'un «secteur complètement nouveau» d'exploitation des ressources en profondeur en conférence de presse à Hawaï.
Aucune des particularités du navire n'a éveillé le moindre soupçon. Mission accomplie.
Le navire pouvait donc être ouvertement construit, mais il fallait encore concevoir le dispositif de capture dans le secret absolu.
Le secret a été gardé pratiquement jusqu'à la mise à l'eau du navire.
L'irruption illégale constatée dans le dépôt de Hughes pendant l'été 1974 aurait dû provoquer bien plus d'inquiétude. Mais quand il s'est avéré que les voleurs étaient de simples délinquants, la CIA a laissé tomber l'affaire.
Le 4 juillet, l'Explorer est arrivé à destination: 40° de latitude et 180° de longitude. Plusieurs semaines se sont écoulées à cause de problèmes techniques avant que le compartiment du navire s'ouvre pour sortir un dispositif de pinces gigantesques baptisé Clementine.
A peine Clementine avait-il plongé suffisamment pour ne pas être visible qu'un remorqueur de sauvetage — comme celui généralement utilisé par les autorités soviétiques pour une observation cachée — s'est lancé à la poursuite de l'Explorer.
Ce remorqueur s'approchait très près, puis s'éloignait, puis revenait en suivant le géant au moment précis où Clementine s'est emparée de sa proie.
Le 4 août, le lent processus de remontée du sous-marin naufragé a commencé. Tout l'équipage sentait que le navire éprouvait la tension liée au début d'une grande épreuve.
Mais tout à coup, la tension s'est évaporée.
Les caméras de surveillance ont constaté une panne de Clementine et ont transmis les informations au poste de commandement. A 9.000 pieds du fond marin, Clementine, retenant le sous-marin est tombé en panne. Désormais, la plus grande partie du sous-marin se retrouvait à nouveau au fond de la mer.
John Parangosky, développeur du projet Azorian pour la CIA, a transmis cette nouvelle à son patron, Carl Duckett.
Ce dernier a consterné tout le monde en envoyant l'ordre de redescendre et de s'emparer de l'objectif. Puis il a exigé d'ouvrir une fréquence non protégée pour transmettre personnellement cet ordre à l'équipage de l'Explorer.
Il a fallu persuader Parangosky que c'était impossible. Premièrement, la partie du sous-marin resté au fond avait probablement éclaté en plusieurs morceaux à cause du choc. Il était temps de rapporter à Washington que la mission avait partiellement échoué.
Pendant ce temps, le navire soviétique mentionné plus tôt suivait l'Explorer à la trace. La partie volée du sous-marin s'approchait déjà de la surface quand le remorqueur s'est approché suffisamment près pour que le capitaine de l'Explorer lance un avertissement.
Une réaction turbulente s'en est suivie: tous les membres d'équipage du navire soviétique se sont réunis sur le pont pour baisser leur pantalon et montrer leurs fesses à l'Explorer. Ayant fait ainsi ses adieux, le remorqueur est enfin parti.
A bord de l'Explorer, les Américains ont retrouvé six corps et un seul missile.
La CIA planifiait déjà une nouvelle opération mais au début de l'année suivante le Los Angeles Times a publié un article affirmant que les USA avaient réussi à remonter une partie du sous-marin soviétique.
Deux policiers de Los Angeles chargés de l'affaire de l'effraction dans le dépôt d'Howard Hughes ont déclaré à la presse que la CIA les avait avertis d'un éventuel vol d'informations confidentielles. Et le journal a lancé sa propre investigation.
La CIA a réussi à convaincre les grands journaux qu'il ne fallait en aucun cas avertir l'Union soviétique de l'opération à venir car les enjeux étaient trop élevés. Ce scandale a été étouffé.
Par la suite, un fonctionnaire ambitieux du fisc de Los Angeles a présenté à la compagnie Summa appartenant à Hughes une note astronomique s'appuyant sur le coût de l'Explorer.
Les tentatives de plusieurs hauts fonctionnaires de raisonner l'agent du fisc ont échoué.
Puis la commission publique du trésor et de la bourse a ouvert une enquête sur les liens avec les infractions financières présumées de la société Global Marine chargée de la conception du navire. La CIA a réussi à étouffer cette affaire également.
Mais tous ces efforts ont été vains. En mars, le détenteur du prix Pulitzer Jack Anderson a publié un article sur les 350 millions de dollars gaspillés par la CIA.
Le secrétaire d'État Henry Kissinger a suggéré au président Ford de ne rien avouer. Toute tentative de remonter le sous-marin soviétique a été définitivement abandonnée. En fin de compte, aucune réaction n'a suivi de l'Union soviétique.
Ce qui s'est passé dans l'océan est resté dans l'océan, et le sous-marin soviétique K-129 gît toujours au fond du Pacifique.
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