Construction et crime organisé: des accusations déposées «d'ici peu»

«d'ici peu»... "après" les élections, peut-être "plus tard"... ou "jamais"!

Denis Lessard et Tommy Chouinard - (Québec) La Sûreté du Québec a terminé son enquête dans certains dossiers sur les liens entre l'industrie de la construction et le crime organisé. Ses conclusions ont été transmises au bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui aura à décider s'il y aura des poursuites, a appris La Presse de sources proches de la SQ.
On estime avoir toutes les chances d'obtenir le dépôt d'accusations formelles «d'ici peu». Des procureurs de la Couronne ont accompagné les enquêteurs des escouades des crimes économiques et des fraudes fiscales durant tout leur travail.
Le printemps dernier, la division des crimes économiques et des fraudes fiscales avait mené plusieurs perquisitions chez des entrepreneurs en construction, à Montréal et en périphérie. C'était pour faire avancer une enquête amorcée deux ans auparavant sur la pénétration de l'économie légitime par les motards criminels, le blanchiment d'argent par l'entremise des chantiers de construction.
La Presse avait révélé au début du mois de mars l'existence de ces enquêtes policières. Ces informations avaient notamment mis en relief les relations étonnantes du directeur de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis, avec des membres actifs et passés des Hells Angels. Les projecteurs s'étaient trouvés braqués aussi sur l'entreprise Grues Guay, qui avait fait l'objet de perquisitions. En juin, un entrepreneur de Montréal, Paul Sauvé, avait accordé une longue entrevue, dévoilant le témoignage qu'il avait déjà fait à la SQ quelques mois auparavant. Il a été impossible de savoir si c'est ce dossier en particulier qui a été transmis au bureau du Directeur général des poursuites.
D'autres sources, proches de la police, indiquent aussi que, dans certains dossiers, celui de la Société d'habitation de Montréal notamment, la SQ s'est retrouvée rapidement avec, entre les mains, les résultats d'une enquête très détaillée du vérificateur général de la Ville. Ce dernier avait fait enquête le printemps dernier sur cet organisme paramunicipal et avait conclu qu'il valait mieux confier tout le dossier à la police.
Mercredi, derrière les portes closes, plusieurs députés libéraux ont fait savoir au premier ministre Jean Charest leurs inquiétudes devant la pression croissante dans la population en faveur d'une large enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction. La préoccupation des élus a bondi depuis deux semaines, et cette question de l'intégrité a monopolisé l'essentiel de la réunion d'mercredi, a-t-on appris.
En privé, Jean Charest a eu une position similaire à celle qu'il a adoptée publiquement. Il vaut mieux donner le temps à la SQ de terminer ses enquêtes et attendre que le Directeur des poursuites criminelles et pénales décide de porter des accusations s'il juge la preuve suffisante.
Quelques minutes plus tard, à l'Assemblée nationale, le débat sur la tenue d'une enquête publique a viré à la foire d'empoigne, libéraux et péquistes faisant une série d'allégations au sujet de l'adversaire. Jean Charest a fait un séjour au Mexique en 2000 «sur le bras» d'un lobby de l'industrie de la construction, a lancé Pauline Marois, qui a mis en doute la neutralité du premier ministre. Selon M. Charest, la chef péquiste devrait faire preuve de «prudence» puisqu'elle «vit dans une maison de verre».
En 2000, l'Association canadienne de la construction a en effet invité M. Charest, alors chef de l'opposition officielle, à prononcer une conférence dans le cadre de son congrès à Puerto Vallarta. Elle a payé son billet d'avion et son séjour de quatre nuits à l'hôtel. Cette affaire avait fait l'objet d'articles dans des journaux.
Son ministre Claude Béchard a reproché au PQ de «se lancer dans une opération de qui va lancer le plus de bouette», avant de se prêter lui-même à ce «jeu». Il a brandi des articles de journaux au sujet du Groupe Réflexion Québec, créé par Mme Marois en 2004 afin de se préparer à une éventuelle course à la direction du PQ et à faire mousser sa candidature. Ce groupe a recueilli des fonds privés, et l'identité des donateurs, des «amis» de Mme Marois, est restée secrète, a-t-il souligné. Mme Marois a dit avoir respecté la loi électorale.
Elle se demande pourquoi Jean Charest refuse de tenir une enquête publique «si son gouvernement est blanc comme neige». Elle soupçonne le premier ministre d'avoir «des choses à cacher». «Pourquoi le premier ministre est-il en politique ? Pour servir ses intérêts ou pour servir la population du Québec? À qui est-il redevable ?» a-t-elle lancé.
Jean Charest a riposté : «Plutôt que de se prêter à ce type d'accusation, qui est gratuit, qui n'a rien à voir justement avec le fond des choses, elle devrait plutôt, au contraire, se concentrer sur les faits.»
De son côté, la critique adéquiste en matière de sécurité publique, Sylvie Roy, a laissé entendre que le gouvernement ou des proches du ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, aurait fait de l'ingérence dans les enquêtes policières.
«Ce que j'entends, c'est qu'il y a des suspects qui sont prévenus qu'il y a des enquêtes qui se déroulent sur eux», a affirmé la députée au cours d'un point de presse. Elle reconnaît toutefois ne détenir aucune preuve. «Si elle a des faits qu'elle veut citer, qu'elle les cite. Il n'y a aucune ingérence politique dans le travail policier», a rétorqué M. Dupuis.


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