Contre le projet de loi 94

Laïcité — débat québécois




Qui sommes-nous donc pour vouloir donner des leçons de laïcité aux autres? En vertu de quels principes les immigrés devraient-ils tout à coup être tributaires de vertus que nous n'assumons même pas nous-mêmes? Avec le gros crucifix suspendu à l'Assemblée nationale, où est la neutralité de l'État que l'on prétend vouloir défendre avec ce projet de loi 94?
Ce serait plutôt à nous-mêmes et à notre manque de courage politique que nous devrions nous en prendre. Sans pays et privés d'une identité culturelle reconnue, le Québec n'ayant toujours pas, après 28 ans, adhéré à la Constitution canadienne, nous préférons bêtement nous en prendre cavalièrement aux minorités venant d'ailleurs.
Or, ce ne sont pas tant les immigrants qui ont un problème avec les accommodements raisonnables que les Québécois eux-mêmes qui, devant toutes les pratiques hétéroclites des différentes communautés qui les environnent, se sentent envahis et craignent de perdre le peu qu'ils leur reste de leur identité culturelle.
Nous ne savons même pas qui nous sommes: des Franco-américains? Des Québécois-canadiens? Des Canadiens-français? Des francophones québécois? Bien malin qui pourrait le dire car nous ne le savons pas nous-mêmes. Et nous voudrions faire la leçon aux immigrants en leur disant de suivre notre exemple? Lequel?
Devant un tel vide identitaire, aucun accommodement politique ou juridique ne peut apparaître acceptable à nos yeux et les immigrants n'ont qu'à bien se tenir et à rester, comme on dit, «low profile». S'ils réclament le moindre accommodement, ils se verront vite dénoncés comme mettant en péril l'existence même de notre culture.
Certains bornés en seraient même à préférer un monde totalitaire tant ils se sentent insécurisés à la vision de tous ces étrangers aux différentes coutumes religieuses. Ils voudraient qu'une police des moeurs et coutumes impose aux 45 000 immigrants que le Québec reçoit à chaque année leur vision sectaire de la société. C'est notamment le cas de certains membres du Parti québécois.
Rappelons-leurs que la neutralité de l'État n'a absolument rien à voir avec l'imposition à tous d'un code vestimentaire dénué de tout symbole religieux. En ce moment, le Québec n'est toujours qu'une province parmi d'autres dans un État multiculturel canadien à majorité anglophone. Dans une situation aussi précaire, nous devrions nous montrer particulièrement accueillants et ouverts envers des immigrants qui acceptent de bonne foi, et malgré le contexte linguistique nord-américain anglophone, de venir chez nous vivre en français.
Il faut laisser au temps le temps de faire son oeuvre: c'est sur des générations et en douceur que l'intégration se fera et non pas par la force. On argumente par exemple que les femmes voilées représentent l'aliénation de la femme par rapport aux hommes. Si c'est le cas, il faudrait d'abord agir en empêchant les femmes de se dévoiler complètement dans les clubs de danseuses car, là aussi, me semble-t-il, c'est l'aliénation des femmes qui est en cause.
Si cette loi ridicule passe, le Québec risque d'y perdre ses immigrants à la faveur de la majorité anglo-canadienne plus tolérante et accueillante. Notre poids démographique sera dissous et on sera tous un jour ou l'autre assimilé à l'État multiculturel canadien anglais actuellement en pleine expansion.
Pierre Desjardins, auteur et professeur de philosophie
Montréal


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