Contre le serment d’allégeance au roi

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Chronique de David Le Gallant

S’il y a un peuple qui peut s’arroger ce droit sacro-saint de ne pas prêter un serment d’allégeance quelconque au roi Charles III du Royaume-Uni et du Canada, c’est bien foncièrement le peuple acadien. Pour de nombreux élus au pays, le droit de siéger au Parlement canadien ou aux législatures provinciales se paie avec le reniement de leurs convictions. Ils ne croient pas à la monarchie et au roi ; ils ne voient pas là la source de leur légitimité, mais ils se plient néanmoins à une obligation humiliante, celle de faire un faux serment. Partout au pays, le début d’un mandat parlementaire commence toujours par ce que certains ont désigné une « corruption des esprits ».


Pourquoi foncièrement le peuple acadien ? D’abord parce que l’actuelle dynastie britannique, la Maison de Windsor, est issue de la lointaine dynastie allemande, la Maison de Hanovre, celle qui a perpétré le génocide du peuple acadien (1755-1762). L’effet pervers du génocide contre les Acadiens constitue une triple dépossession : dépossession d’un territoire, dépossession de nous-mêmes à qui on a fait longtemps croire qu’il fallait se résigner et dépossession de ce qu’on appelle le souvenir d’une reconnaissance publique qui répare l’injustice, la trahison et les torts causés, source de traumatisme transgénérationnel dû au phénomène de la souillure. L’expression « Grand Dérangement » cache pudiquement sous des mots en apparence anodins une réalité d’une très grande cruauté :


1) nettoyage ethnique fomenté par des forces militaires et politiques britanniques en collusion avec le second fils du roi Georges II, le duc de Cumberland, responsable du massacre des Écossais catholiques (1746) neuf ans avant la Déportation, mais surtout qui avait eu sous ses ordres Lawrence, Monckton, Cornwallis et Amherst, tous au su du roi Georges II ;


2) dispersion de quelque 6 000 déportés dans les colonies britanniques éloignées situées tout le long de la côte américaine jusqu’à des camps d’internement en Angleterre (Liverpool, Bristol, Southampton, Portsmouth, Falmouth et Penryn) où ils furent soumis à la misère et à la maladie ; et plus proche de nous, l’île Georges que l’auteure Dianne Marshall a appelé un Acadian prison camp (camp de détention acadien) ;


3) séparations, dislocations et désunions imposées aux familles par l’embarquement forcé des hommes, des femmes et des enfants sur des navires différents, sans égard aux liens familiaux ;


4) assassinats de ceux parvenus à s’enfuir qu’on pourchassaient ;


5) dévastation et terre brûlée pour affamer ceux qui s’étaient réfugiés dans les bois ;


6) emprisonnements arbitraires dans des conditions souvent inhumaines et dégradantes ;


7) incendie systématique des maisons, des granges, des bâtiments, des dépendances et des moulins des Acadiens déportés ou qui étaient parvenus à s’enfuir, suivi de la destruction de leurs villages ;


8) confiscation au profit de la Couronne britannique de 120 000 têtes de bétail et de toutes les céréales appartenant aux Acadiens « devant être appliquée au remboursement des dépenses que le gouvernement devra faire pour les déporter de ce pays ».


Somme toute, ce « tableau de chasse britannique » décrit par l’historien François Baby est d’une rare brutalité. Il est difficile dans les circonstances de ne parler que de « dérangement », même « grand ». C’est d’un véritable génocide qu’il s’agit, messieurs Justin Trudeau, Stéphane Dion, Dominic LeBlanc, René Cormier, madame Antonine Maillet.


Dans la myriade de mea-culpa entretenus récemment par certains hommes politiques s’autoflagellant à Ottawa, il devrait être dans l’ordre des choses que le Parlement canadien reconnaisse enfin le génocide acadien, sinon ils deviennent les comparses des génocidaires des Acadiens et des Acadiennes.


Feu Sa Majesté la reine Elizabeth II et son fils Charles III (couronnés respectivement le 2 juin 1953 et le 6 mai prochain) auront tous deux promis à leur couronnement de défendre la loi et la justice, ainsi que de faire preuve d’indulgence dans tous leurs jugements. La parole de Leurs Majestés tire sa force de l’ancienne notion selon laquelle le monarque est « roi par la grâce de Dieu ». Alors pourquoi jusqu’alors auraient-ils toujours refusé d’accorder une audience au peuple acadien au sujet de la Déportation ? En refusant, la monarchie et le gouvernement britanniques violent le paragraphe III de la Convention contre le génocide en sanctionnant implicitement la brutalité du passé.


Pendant près de 275 ans, la Couronne britannique a privé le peuple acadien du droit, de la justice et de la clémence. La seule apparence d’une mauvaise foi est un affront au caractère sacré de la Couronne et une souillure de la monarchie britannique. Le roi doit à Dieu et à son pays de demander à son gouvernement de soumettre l’affaire à une sorte d’enquête équitable. Et non simplement se justifier sous le prétexte du « Never explain. Never complain. »


Combien longtemps encore nos sénateurs et députés provinciaux et fédéraux de nationalité acadienne, bien que de citoyenneté canadienne, vont-ils continuer à prêter un serment d’allégeance à Sa Majesté Charles III, certes considéré par plusieurs comme un mode d’initiation à la corruption politique et morale, s’il y en a un au Canada ? Au bas mot, révélateur d’hypocrisie.


David Le Gallant (Î.-P.-É.)


de nationalité acadienne

bien que de citoyenneté canadienne.



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