Copenhague, tout est permis pourvu que ça rapporte!

Un système corrompu et inhumain a déréglé le climat d’espoir de Copenhague

Tribune libre

En suivant les différents discours prononcés à Copenhague, j’ai été marqué par les interventions d’Hugo Chavez du Venezuela et de Mahmoud Ahmadinejad d’Iran. Ils ont critiqué de manière acerbe le système capitaliste actuel. Selon eux, ce système est à l’origine de la crise financière actuelle et de tous les dérèglements climatiques de la planète. Mais comment ce système capitaliste est-il arrivé à être si corrompu et inhumain pour l’humanité? Plusieurs pseudos conseillers financiers affirment que personne ne pouvait prédire la crise financière actuelle? C’est une mauvaise passe, rien de plus!
"A bas le capitalisme et l'économie libérale qui ont détruit la nature et les économies nationales", ont clamé et répété à satiété plusieurs dirigeants des pays en voie de développement. Il est nécessaire, selon eux, de créer un nouveau système économique qui s'inspire de la dignité humaine, où la consommation repose sur les besoins réels de leur population. Ce nouveau système économique doit donner accès aux nouvelles technologies pour diminuer leur dépendance au pétrole et diversifier leurs sources d'énergie afin d’être en mesure d'utiliser des énergies propres et renouvelables telles que le vent, le soleil, les marées, la géothermie et les énergies nucléaires, etc.
Étant attentif à leurs désirs de se prendre en mains et de vouloir changer le système capitaliste, je me suis posé une foule de questions. Doit-on changer le système capitaliste? Y a-t-il une autre alternative? Le socialisme est-il une autre voie viable? Pendant 70 ans, le socialisme soviétique a tenté de détrôner le capitalisme occidental et spécialement nord-américain. Ce système socialiste n’a pas su s’autoréguler à temps et a implosé. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, c’est au tour du système capitaliste non régulé (sauvage et impérialiste) qui est en train de s’effondrer et d’imploser. Existe-t-il un autre système économique mondial de libres échanges capable de s’autoréguler? Je ne le crois pas. On a tous en nous une petite âme capitaliste, gagner plus d’argent, financer une maison, louer une voiture, envoyer nos enfants dans les meilleures écoles, faire des voyages, en d’autres mots, élever notre niveau de vie, notre bien être et notre confort, etc. L’idéal de notre vie n’est pas de devenir pauvre!
Cependant on ne peut pas garder le système capitaliste actuel, tel qu’il a évolué jusqu’à aujourd’hui. Avec les subprimes, les produits toxiques des banques, les pertes d’emplois, les fonds de retraite partis en fumée et on n’a qu’à penser à la Caisse de dépôt et de placement du Québec. La loi du marché n’a pas d’âme et se comporte en empire mondial au-dessus des États-Nations. Les Nations Unies, avec leurs grandes institutions capitalistes comme le FMI et la Banque mondiale ne sont pas étrangères au chaos financier actuel et à l’endettement généralisé des pays à travers le monde. Le problème réside dans le fait qu’on a laissé le système capitaliste naturel devenir un système sauvage basé sur la corruption et la spéculation.
Comment est-on arrivé là? Le système capitaliste actuel s’est corrompu à cause de sa dérèglementation continue depuis la seconde guerre mondiale. On doit en prendre conscience et on doit le charger, tout en sachant qu’on ne pourra pas le remplacer! Mais attention, tout système socialiste ou capitaliste, bon au départ, peut devenir rapidement oligarchique et impérialiste, s’il n’est pas soumis à des règles de régulation stricte. Je vais tenter maintenant de décrire ce qui est arrivé avec la dérèglementation du système capitaliste actuel.
En 1932, trois ans après la crise de 1929, le système bancaire américain (et par voie de conséquence mondial) s’est retrouvé au bord du précipice et allait imploser. Le président américain Franklin Delano Roosevelt s’est dressé, à ce moment-là, contre la puissance financière de Wall Street. Dans le cadre du New Deal, il a fait voter la loi Glass-Steagall de 1933 qui lui a permis de mettre de l’ordre dans le système financier des banques et à encadrer l’oligarchie financière de Wall Street. Dorénavant, cette loi ne permettrait plus aux banques de spéculer et elles devraient être un endroit sûr pour les épargnants et pour les emprunteurs un endroit où ils pouvaient obtenir des prêts raisonnables et des crédits garantis. Et la FDIC, la nouvelle Federal Deposit Insurance Corporation garantirait tous les dépôts de tous les clients.

Mais que sait-il passé par la suite? À partir des années 70, les tenants de la liberté économique sans limites, ont commencé à contester la rigidité des marchés et sont parvenus petit à petit à déstructurer l’économie au nom de la libéralisation et contre tout protectionnisme. Cette libéralisation a eu comme conséquence une triple déréglementation, monétaire avec des taux variables d’échange, commerciale en enlevant les barrières tarifaires et financière en laissant libre cours à spéculation des bourses à travers le monde. C’est ainsi que les barrières douanières sautèrent, les accords commerciaux se signèrent, les grands projets d’exploitation des ressources naturelles des pays pauvres s’établirent et que la libre circulation des biens et le libre commerce furent assurés. Ce système, en 30 ans, a produit trois récessions importantes : celle de 1981-1982, celle de 1990-1991 et celle dans laquelle nous sommes présentement, 2008-2010. Dans les années 80, on voit une accélération de la déréglementation financière à un point tel que l’économie mondiale reposait sur un système monétariste spéculatif (n’oublions pas que les taux d’intérêt montèrent jusqu’à 20-22%) qui permettait des échanges financiers spéculatifs 50 fois plus importants que ceux de l’économie réelle de biens, de marchandises et d’équipements. Le coup fatal à la dérèglementation fut donné par Bill Clinton, en octobre 1999, quand il a abrogé la loi Glass-Steagall de 1933. Le bar de la spéculation et du commerce s’ouvrit à l’échelle mondiale, et le thème était : servez-vous, il y en a pour tout le monde.

Cette déréglementation a eu quatre conséquences majeures:
1) Cela a permis aux institutions financières de créer toujours plus de monnaie que leur avoir en capitaux. En complexifiant leur fonctionnement, les institutions financières, privées et indépendantes, se sont permises, en dehors de tout contrôle et impunité, de prêter ou de placer davantage d’argent de ce qui leur était autorisé selon leur bilan financier. À cause du manque d’encadrement de leurs pratiques financières, elles ont incité les individus comme les États à s’endetter royalement. Tout le monde a eu droit au crédit facile, (individus, entreprises, États) même s’ils n’étaient pas solvables. On n’a qu’à penser aux cartes de crédits distribuer sans réserve aux jeunes et aux étudiants. Les conseillers financiers ont fait miroiter de hauts rendements à la bourse sans trop se préoccuper des risques encourus. Les excès de cette libéralisation ont conduit aux subprimes non remboursables du marché de l’immobilier aux États-Unis.
2) La deuxième conséquence de la déréglementation a été la collusion entre les banques, les différentes institutions financières et les firmes de notation. Il existe plusieurs agences de notation financière qui sont spécialisées dans certains marchés, par exemple la Canadian Bond Rating Service, l’ICRA (Investment Information and Credit Rating Agency of India), la MicroRate (notation de micro-crédits). Mais il y a trois agences de notation globale très connues, Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings, toutes les trois détenues par des actionnaires privés américains et contrôlées par la Securities and Exchange Commission (SEC). Ces agences privées-publiques exercent une grande influence sur les marchés en notant les entreprises et les pays sur la base de leur PIB.

Ce qui est questionnable, ce n’est pas tant qu’elles appartiennent à des intérêts privés, mais c’est leur indépendance par rapport aux institutions financières et aux banques commerciales. La crise financière actuelle a mis en évidence la collusion entre ces agences de notation et les grandes banques d’affaires qui ont émis des « actifs toxiques » dont la notation trois AAA était définitivement défaillante. C’est ce que notre ami Jean-Claude Pomerleau (Vigile, 20 février 2009, dans son article intitulé [Québec sink->18074]) a démontré, en référence à la Caisse de dépôt et placement du Québec, comment celle-ci est devenue une "victime consentante". Soyons honnêtes, si les agences de notation se sont laissées corrompre, c’est que le corrupteur était à l’intérieur du système bancaire mondial, sans régulation, sans loi ni conscience. Le système capitaliste, laissé à lui-même, ne pourra jamais se réguler lui-même, en suivant la loi du marché et en se pliant à l’avidité infinie des investisseurs. Il faut que les quatre États-Nations, qui dominent l’économie mondiale, les États-Unis, la Chine, l’Inde et la Russie, mettent en faillit le système capitaliste, monétariste, spéculatif actuel, discréditent les agences de notation et redémarrent le système à partir d’un capital basé sur les économies réelles et sur de vrais crédits bancaires destinés au développement et à l’équipement de l’Homme.
3) En 2008, au plus fort de la crise financière, les gouvernements ont renfloué les grandes banques d’affaires. Selon le quotidien The Observer, December 13 2009, le responsable du Bureau de Drogue et Crime de l’ONU, Antonio Maria Costa, a affirmé avoir des preuves que les recettes du crime organisé ont été « les seuls liquidités investies dans le capital » disponible de certaines banques sur le point de faire faillite l’année dernière. Il a dit qu’en conséquence la majeure partie des profits du trafic de la drogue, soit 352 milliards de $, ont été absorbés dans le système économique. Voilà jusqu’où a conduit la dérèglementation du marché financier, à blanchir de l’argent obtenu frauduleusement et à le cacher temporairement dans les 41 paradis fiscaux, selon le reportage de Radio Canada du 3 avril 2009, « Une liste qui suscite la grogne ». Cela soulève le problème de l’influence du crime organisé sur le système capitaliste abandonné aux mains de brigands inhumains et sans conscience sociale. Ils sont difficiles à identifier puisqu’ils n’ont pas de visages ni d’adresses fixes.
4) Le libre-échange non régulé, promu par l’empire britannique, l’empire américain et l’Union européenne, a provoqué dans leur propre pays une déflation salariale et une hausse du chômage sans précédent. Les faillites et les pertes d’emplois ne se comptent plus. Voilà la troisième conséquence de la dérégulation. Et que dire des pays émergeants? Le système capitaliste déréglementé a provoqué une hausse criante des inégalités entre les pays riches et les pays pauvres. Ce système non règlementé a mis à genoux les pays pauvres (par le FMI et la Banque mondiale) en les soumettant au diktat du marché. Il y a de l’espoir, cependant, quand on voit des économies émergeantes comme le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud et même le Venezuela prendre leur place et penser l’économie en fonctions des besoins de leur population, du progrès technologique et du développement durable.
En terminant, je crois que les tenants du système capitaliste sauvage ont gagné une bataille et non la guerre, en maquillant la réalité de la déréglementation économique issue de l’après-guerre, de belles expressions comme la mondialisation, la globalisation, la loi du marché, l’offre et la demande, les zones de libre échange, etc. Ils ont su nous faire peur avec les pluies acides, la vache folle, les trous dans la couche d’ozone, la grippe aviaire, la fonte des glaciers, le réchauffement climatique actuel, etc. En effet, comment être contre ces phénomènes, porteurs de valeurs positives ? Notre combat doit s’attaquer à la main invisible qui détruit notre planète et notre humanité, le capitalisme sauvage, la loi de la jungle, la loi du plus fort, l’empire monétariste, l’oligarchie néolibérale, le diktat du libre échange par delà les frontières nationales. N’oublions pas qu’il y aura toujours cette main insensible veillant sur le marché pour promouvoir l’avidité, la tricherie et la corruption. Voilà la nouvelle logique économique du : « Pas vu, pas pris, pas coupable ». Tout est permis pourvu que ça rapporte.
Marius MORIN
mariusmorin@sympatico.ca

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  • Archives de Vigile Répondre

    19 décembre 2009

    M. Morin soulève la question d’un capitalisme renouvelé, mieux réglementé, qui relèverait une autre fois le défi du socialisme dont l’échec est encore bien vivant. « Doit-on changer le système capitaliste ? Y a-t-il une autre alternative ? Pendant 70 ans, le socialisme soviétique a tenté de détrôner le capitalisme occidental et spécialement nord-américain. Ce système socialiste n’a pas su s’autoréguler à temps et a implosé. » Le diagnostique que fait l’auteur d’un capitalisme déréglementé et sauvage conduit à deux constats : le premier est que le capitalisme par sa nature même trouve pleinement sa vie dans la déréglementation ; le second, conséquence directe du premier, est qu’à partir du moment où l’État intervient pour le réglementer, il y perd de lui-même.
    J’aurais aimé que M. Morin aborde ce qu’on nomme en Amérique Latine, le socialisme du XXIème siècle dont la principale caractéristique est que l’ensemble des activités économiques, sociales, politiques et culturelles ainsi que les outils qui leurs sont rattachés servent prioritairement le BIEN COMMUN. Il n’est pas question, dans ce socialisme, de mettre fin à tout ce qui est privé dans les secteurs économiques, mais de subordonner les intérêts privés aux intérêts de la collectivité. L’État, en qui la population et les organismes sociaux ont droit de parole et d’action (démocratie participative), est l’instance toute désignée pour arbitrer cette subordination. Le jour où les entreprises, qu’elles soient financières, entrepreneuriales ou de toute autre nature, accepteront de subordonner leurs activités aux priorités du Bien Commun dont l’État a la responsabilité constitutionnelle, le capitalisme et le socialisme du XXIème siècle deviendront deux mots signifiant une même réalité. Le capitalisme domestiqué, humanisé dont parle l’auteur et le socialisme du XXIème siècle deviennent, dans cette perspective, deux grands alliés au service du BIEN COMMUN de la collectivité. Lorsque les intérêts des oligarchies s’ajusteront aux intérêts des peuples, les discussions entre capitalisme et socialisme deviendront quelque peu dilettantes. En 2008, j’avais suivi les interventions des Présidents de l’Amérique du Sud à l’Assemblée générale des Nations Unies. J’avais écrit, à l’époque, mes réflexions et commentaires. Dans le contexte des propos de M. Morin, elles gardent toute leur actualité.
    http://humanisme.blogspot.com/2008/09/semaine-du-21-au-26-septembre.html