ARMES À FEU

Couillard refuse de s’engager à créer un registre

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Couillard aligne le Québec sur les valeurs néoconservatrices de l'Ouest

Le gouvernement du Québec refuse de s’engager à mettre sur pied un registre québécois des armes à feu même s’il obtient gain de cause devant la Cour suprême du Canada.

Le premier ministre Philippe Couillard n’a pas voulu garantir mardi l’utilisation des données de l’ancien registre des armes d’épaule sur lesquelles le procureur général du Québec tente de mettre la main depuis plus de deux ans et demi. « Attendons », a-t-il dit à la veille des audiences du plus haut tribunal du pays sur l’abolition des données québécoises toujours stockées à Ottawa.

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a jugé « un tout petit peu prématuré » de déterminer l’avenir des données pouvant éventuellement être transférées au gouvernement du Québec à la demande expresse de la Cour suprême. « On va d’abord analyser la décision [et ses] impacts », a-t-elle expliqué à des journalistes. « On analysera tout cela, évidemment dans le contexte budgétaire actuel, mais aussi avec les préoccupations qui sont véhiculées par le Québec depuis de nombreuses années. »

La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a aussi fait planer le mystère sur la création d’un registre québécois à partir des informations recueillies par le gouvernement fédéral entre l’adoption de la Loi sur les armes à feu en décembre 1995 et la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule (C-19) en février 2012. « Je ne répondrai pas tant que la Cour n’a pas statué », s’est-elle contentée de dire lors d’un point de presse impromptu dans les couloirs de l’Assemblée nationale. « À ce moment-ci nous demandons à la Cour de forcer Ottawa à nous transférer les données qui nous seraient utiles pour protéger la population », a poursuivi le ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier.

Le gouvernement du Québec cherche à déclarer inconstitutionnelle la loi ordonnant la destruction des données relatives aux armes de chasse et à forcer le gouvernement fédéral de lui transférer toutes les données informatiques provenant du Québec ou concernant des résidants du Québec.

Les « réticences » du chef de gouvernement libéral et de ses ministres à promettre la mise sur pied d’un registre soulèvent des inquiétudes parmi des militants pour le contrôle des armes à feu. « C’est le but du recours juridique ! » lance la porte-parole du collectif PolySeSouvient, Heidi Rathjen, dans un entretien téléphonique avec Le Devoir. « Dans le passé, le gouvernement libéral a toujours été clair : il voulait les données relatives au Québec pour constituer un registre québécois. »

La diplômée de l’École polytechnique de Montréal n’ose pas croire que le gouvernement Couillard puisse songer à mettre en veilleuse le projet de registre québécois pour des raisons budgétaires, d’autant plus que le gouvernement fédéral continue d’« affaiblir » la législation encadrant le contrôle des armes à feu. Le maintien du système d’enregistrement ordonné par la Cour supérieure en avril 2012 — et toujours accessible depuis aux policiers québécois — coûterait environ 100 000 $ par mois au gouvernement fédéral, selon des informations transmises à la Cour d’appel en 2013. « Il y a aussi un coût à ne pas agir. On ne veut pas devenir un Far West comme aux États-Unis », soutient Mme Rathjen.

Le collectif PolySeSouvient invite le gouvernement libéral à faire connaître sans tarder un projet de loi visant à créer un registre québécois des armes à feu 100 % québécois dès un « jugement positif » de la Cour suprême. En février 2013, le gouvernement péquiste avait déposé le projet de loi 20 visant à préparer le terrain en vue d’une victoire du Québec devant la Cour d’appel. Il aurait servi de « récipient juridique » pour recevoir les données de quelque 1,6 million d’armes de chasse détenues par environ 460 000 titulaires de permis différents stockées à Ottawa. « [Il s’agirait d’]une question de jours [entre une victoire à la Cour et le démarrage d’un registre québécois] », avait soutenu le ministre de la Sécurité publique, Stéphane Bergeron. Mais, le projet de loi 20 n’avait jamais été adopté. La Cour d’appel l’avait relevé. « Le gouvernement du Québec n’ayant pas fait diligence pour être en mesure d’assumer l’enregistrement des nouvelles cessions d’armes de chasse […], il demande néanmoins que j’oblige […] le gouvernement fédéral à maintenir des opérations d’enregistrement pourtant interdites par une loi », a fait remarquer le juge Pierre J. Dalphond.

« Changement de discours »

Nathalie Provost, survivante de Polytechnique, a perçu un « changement de discours » des membres du gouvernement Couillard au fil des dernières semaines. « Plus les jours passent, plus l’austérité marque les ministres. On les voit changer de discours. [Dès qu’il est question de dépenses ou d’investissement] ils font moinspreuve d’ouverture qu’au mois d’août », souligne-t-elle au Devoir.

L’ingénieure mécanique exhorte le premier ministre Philippe Couillard à clarifier ses intentions. À l’approche du 25e anniversaire des événements du 6 décembre 1989 de Polytechnique, « ça serait assez incroyable que le gouvernement Couillard n’aille pas jusqu’au bout », fait-elle valoir à l’autre bout du fil.

« Liberté d’agir »

Le professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, Jean Leclair, souligne que le gouvernement Québec aurait « la liberté d’agir comme il le veut avec les données », si la Cour suprême lui donne raison. « Si la Cour suprême reconnaît qu’il y a une obligation pour le fédéral de livrer les données, les provinces étant souveraines dans l’exercice des compétences qui leur sont reconnues par la Constitution, le gouvernement du Québec, dans une frénésie de coupures, peut décider de ne pas se servir de ces données-là », explique-t-il.

Malgré cela, la décision de la Cour suprême pourrait se révéler d’une grande importance. Les juges pourraient mettre fin au bras de fer Ottawa-Québec en faisant une leçon de « moralité fédérale » au gouvernement Harper. « La Cour suprême pourrait dire quelque chose qui ressemblait à ça : “ Selon le texte formel de la Constitution, le fédéral est pleinement compétent en matière de droit criminel, donc il peut détruire les données. […] Il n’en reste pas moins que dans un esprit fédéral, il serait de bon à loi que le fédéral respecte la volonté d’un des partenaires ” », suggère-t-il.

Le porte-parole de l’opposition officielle en matière de Sécurité publique, Pascal Bérubé, a invité la ministre Thériault à obtenir « les moyens d’appliquer les consensus québécois en matière de contrôle des armes », et de « s’assurer que les corps policiers ont toutes les informations nécessaires pour prévenir des crimes ».


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