LE DEVOIR D’HISTOIRE

Couillard, un Simon-Napoléon Parent ou un Lomer Gouin?

Parallèles et différences entre les libéraux actuels et ceux d’il y a 100 ans

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Un avenir incertain pour Philippe Couillard et le PLQ

Deux fois par mois, «Le Devoir» lance à des passionnés de philosophie, d’histoire et d’histoire des idées le défi de décrypter une question d’actualité à partir des thèses d’un penseur marquant.
Au sujet du caucus extraordinaire du Parti libéral du Québec (PLQ), tenu le 30 mai, le leader parlementaire de la Coalition avenir Québec, François Bonnardel, a affirmé que les députés libéraux tramaient une « fronde » contre leur propre chef, Philippe Couillard.

Le leadership du premier ministre a-t-il été à ce point remis en question par ses députés ? Des critiques de Robert Poëti à propos de la gestion des contrats au ministère des Transports en passant par la législation sur les services de transport par taxi et l’entourage du premier ministre, il n’y a pas de doutes qu’il y a eu beaucoup de débats, voire de tiraillements, dans les rangs du PLQ, dans les derniers mois. Évidemment, ce n’est pas la première fois qu’il y a de la dissension dans le plus vieux parti politique au Québec, mais rarement celle-ci s’est-elle manifestée publiquement sans déboucher sur un départ, comme dans les cas de François Aquin, René Lévesque, Thomas Mulcair et Fatima Houda-Pepin.

Cette discorde entre la tête et une partie du caucus libéral rappelle la fronde de 1905. Ce mouvement avait conduit à la chute du premier ministre Simon-Napoléon Parent. Sans être tout à fait similaires, quelques éléments se recoupent dans les contextes : l’ajout de membres d’autres partis, le combat contre des privilèges corporatifs, mais aussi la crainte de l’effet sur ce que l’on nomme aujourd’hui « la marque libérale ».

Simon-Napoléon Parent : le choix de Wilfrid Laurier

Imposé en 1900 comme premier ministre par le grand chef libéral Wilfrid Laurier, Parent voit son leadership être rapidement contesté. En plus d’être chef du gouvernement à Québec, il est maire de la Vieille Capitale et président de la Compagnie du pont de Québec. Ces apparences de conflits d’intérêts, son soutien prononcé à l’endroit des intérêts des commerçants de bois au détriment des colons ainsi que son autoritarisme finissent par lui créer des inimitiés et ternir sa réputation. Pour la défendre, il poursuit même les sénateurs libéraux Joseph-Hormidas Legris et Philippe-Auguste Choquette, ses deux critiques les plus véhéments. Dans le but de renforcer son autorité, Parent décide de déclencher des élections générales, le 4 novembre 1904, croyant pouvoir profiter du succès électoral des libéraux fédéraux, qui venaient d’être reportés au pouvoir la veille. Au bout du compte, le Parlement québécois conserve la même répartition des sièges qu’à sa dissolution (67 pour le Parti libéral ; 7 pour le Parti conservateur). Pourtant, Parent ne remporte qu’une victoire à la Pyrrhus : la faiblesse de l’opposition ouvrant plutôt la porte à la dissension au sein du caucus libéral.

Lomer Gouin : opportuniste et homme de parti

Nuisible pour Parent, cette dissension devient profitable à Lomer Gouin, député de Montréal No. 2, lui dont la feuille de route et les liens de parenté réussissent à rallier les diverses tendances libérales. Bien que certains craignent chez lui un penchant radical, il est d’abord et avant tout un libéral modéré et foncièrement loyal au parti (ce qui ne veut pas toujours dire au chef !). Gouin fait ses premiers pas en politique à la fin de la décennie 1880 en défendant la stratégie d’intégration des chefs libéraux du moment au Canada et au Québec : Wilfrid Laurier et Honoré Mercier, premier ministre du Québec et… beau-père de Gouin. Cette stratégie vise à intégrer au camp libéral les éléments modérés du Parti conservateur. Afin de refléter cette réalité, de 1885 à 1891 au Québec, le Parti libéral sera même rebaptisé Parti national.

Comme aujourd’hui — alors que la promotion, au sein du conseil des ministres, d’anciens adéquistes et caquistes semble frustrer certains vétérans du PLQ —, l’intégration d’anciens adversaires ne se fait pas sans heurts. Néanmoins, elle rapporte gros aux libéraux. Comme l’explique l’historien René Castonguay, malgré la chute d’Honoré Mercier et du Parti national en 1891, à la suite du scandale de la Baie-des-Chaleurs et la perte du pouvoir, des bleus décident de rester rouges. Ce nouvel alignement des forces politiques permet au Parti libéral du Québec d’établir son hégémonie à partir de 1897, domination qui va durer jusqu’en 1936 (Castonguay, 2000: 31).

Si le clan modéré prend force au tournant du XXe siècle, cela ne signifie pas l’exclusion des éléments jugés plus radicaux. On peut même dire que leur dédain de l’administration Parent leur donne une nouvelle vigueur. Ceux que l’on désigne alors comme radicaux — ou progressistes — veulent favoriser l’action de l’État pour humaniser le système et mettre fin à l’exploitation des ressources naturelles par des investisseurs étrangers. Ils cherchent aussi à insuffler des principes démocratiques au libéralisme et prônent la séparation de l’État et de l’Église. En 1905, ils croient que Lomer Gouin est l’homme qui réussira à faire triompher leurs idées. Après tout, ce dernier a collaboré à quelques reprises avec l’un des principaux ténors radicaux, Godfroy Langlois. Ce sont toutefois deux dossiers qui contribuent à donner une opinion favorable au camp radical à l’égard de Gouin. En premier lieu, on retrouve son appui à la création d’un ministère de l’Éducation. Après l’échec, en 1898, de la création d’un ministère de « l’Instruction publique » (comme on le disait à l’époque), Gouin a effectivement continué de marteler que les libéraux accompliraient leur promesse : « Le Parti libéral a promis un ministère de l’instruction publique et qu’il tiendra sa promesse, en dépit de certaines remarques qui ont pu être faites. […] C’est une question de progrès et notre parti ne peut pas reculer. […] Le Parti libéral doit à ses traditions et à son histoire de donner au peuple de la province de Québec, la réforme scolaire dans toute sa plénitude. » (La Patrie, 20 avril 1899)

Cet appui reflète toutefois l’homme de parti qu’est Gouin plus que le progressiste. Il ne fait alors que défendre le programme qui a été défendu par son parti lorsqu’il a été élu en 1897. Après les élections de 1900, il ne défend plus une telle idée, bien que ses opposants se fassent un plaisir de lui remettre constamment sous le nez ses déclarations passées à ce sujet.
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