De la ferveur indépendantiste au brouillard national

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Ce pessimisme qui nous tue






Admirateur du général de Gaulle et de Jacques Parizeau, l’historien Éric Bédard, à qui l’on doit notamment L’histoire du Québec pour les nuls (First, 2012, nouvellement réédité), n’a jamais caché ses convictions indépendantistes. Penseur ouvertement conservateur qui se définit, dans son essai Recours aux sources (Boréal, 2011), comme « un héritier reconnaissant, solidaire des femmes et des hommes qui ont fait ce pays » depuis ses tout débuts et pas seulement depuis 1960, Bédard voit l’indépendance du Québec comme une affaire d’honneur, de dignité, de liberté et de fidélité à l’histoire.


 

Pour lui, qui se situe au centre droit du spectre idéologique (valeurs traditionnelles, capitalisme à papa), rendre l’appui à la souveraineté conditionnel à d’éventuels bénéfices économiques ou à un projet de société de droite ou de gauche est une méprise. « L’indépendance du Québec, écrit-il à raison dans Années de ferveur, est un enjeu strictement politique qui renvoie à la question du régime. Il ne s’agit pas, en premier lieu, de savoir comment on distribuera la richesse au lendemain d’un Oui, mais de déterminer quel peuple exercera la souveraineté et prendra les décisions finales [sic]. » L’incompréhension de ce principe de base, que martelaient en leur temps les Bourgault et Falardeau, continue, malheureusement, de diviser les forces souverainistes.


 

Il y a vingt ans, déjà armé de ces convictions, l’étudiant Éric Bédard, à titre de président du Comité national des jeunes du Parti québécois (PQ), s’engageait avec fougue dans la campagne référendaire de 1995. Issu d’une famille de nationalistes bleus qui trouvaient logique d’être passés de Duplessis à René Lévesque, Bédard était devenu indépendantiste en suivant son cours d’histoire de 4e secondaire. Il avait eu, alors, au contact de la pensée de l’historien Maurice Séguin, la révélation que « notre peuple n’était pas maître de ses choix » et que « son sort dépendait du bon vouloir d’un autre peuple, majoritaire ».


 

Jeunesse militante


 

Captivant et parfois émouvant récit de sa jeunesse militante, Années de ferveur. 1987-1995 raconte un parcours personnel qui éclaire un grand moment collectif. Dans le style classique, c’est-à-dire limpide et élégant, auquel il nous a habitués, Bédard livre un témoignage politique, intellectuel et existentiel qui rend avec force l’intensité du moment référendaire de 1995 et qui incite à la réflexion sur l’état actuel de l’idée indépendantiste et sur son avenir.


 

En 1988, Bédard, étudiant au cégep de Maisonneuve, assiste à un discours de Jacques Parizeau. Il est conquis par le « grand homme » et adhère avec enthousiasme au PQ, même si le projet indépendantiste, alors, n’a pas la cote dans les sondages. Volontariste, Bédard, qui appartient à la génération X, qu’on dit désenchantée, voit dans l’indépendance « une grande cause politique » à même de conjurer la résignation de la jeunesse du temps. « C’est dans le mouvement indépendantiste que j’avais trouvé ce supplément d’âme, cette transcendance qui donnait un sens profond à mon existence », écrit l’historien.


 

Motivé par ses profondes convictions et, confesse-t-il, enivré par les responsabilités que lui confie le PQ, Bédard milite ardemment, fait du porte-à-porte, livre des discours, participe à des débats télévisés et se donne sans compter à la cause, au point de négliger, il le regrette aujourd’hui, sa vie amoureuse et familiale. La courte victoire du PQ, à l’élection du 12 septembre 1994, le déçoit, mais la détermination de Parizeau, qui prépare un référendum décisif sur une souveraineté non conditionnelle à une entente avec le Canada, le réconforte.


 

Aussi, quand Lucien Bouchard se pointe dans le portrait, en avril 1995, avec son insistance sur un nouveau partenariat, Bédard est inquiet. L’entente du 12 juin, entre le PQ, le Bloc et l’Action démocratique, sur la souveraineté-partenariat sera, pour lui, une leçon politique. Nécessaire, reconnaît-il, la pureté doctrinale doit savoir s’allier à la souplesse, dans un souci d’efficacité politique.


 

Après l’échec


 

Le revers du 30 octobre 1995 sera douloureux pour Bédard, comme pour tous les souverainistes. « En l’espace de quelques semaines, écrit-il, je m’étais transformé en “exilé de l’intérieur”. J’errais sans but dans les rues de Montréal, seul ou avec Christine [sa blonde de l’époque]. Un ressort s’était brisé. » Nous sommes nombreux à partager un semblable souvenir.


 

Et maintenant ? « Pour dire vrai, depuis le 7 avril 2014, je suis dans le brouillard le plus complet », confie Bédard. L’indépendance, constate à regret l’historien, cet « acte de liberté, légitime en lui-même et pour lui-même, sans partenariat ni projet de société, ni de gauche ni de droite, cette indépendance-là n’interpelle qu’une minorité de Québécois », n’emballe plus les jeunes comme avant et est délaissée par les membres de la génération X, celle de Bédard et la mienne.


 

Dans ces conditions, continue l’historien qui refuse de renoncer à son rêve de jeunesse, « les indépendantistes seront placés devant un choix difficile : conserver leur idéal intact mais se cantonner dans l’opposition, ou se fédérer avec d’autres forces politiques qui n’acceptent pas d’être dirigées par des trudeauistes pour les prochains vingt ans ». Or, où sont ces autres forces ?


 

Bédard, dans le morose épilogue de son énergique et passionnant témoignage, tente de se consoler en cultivant l’espoir que les Québécois de demain, si on leur enseigne l’histoire, « souhaiteront, eux aussi, assurer la continuité du monde ». Étant donné l’état actuel de l’enseignement de l’histoire au Québec, ce n’est pas rassurant.







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