De Londres à Ottawa, le terrorisme d'État dans l'histoire du Québec

Crise d'octobre 70 - FLQ

Invitée à témoigner de ses méfaits sur plusieurs tribunes, à l’occasion du trentième anniversaire de la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre, Andrée Ferretti, elle-même arrêtée et emprisonnée pendant 51 jours, préfère livrer cette analyse de l’événement et la donne à L’Action nationale pour publication.
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Le 16 octobre 1970, à quatre heures du matin, Pierre-Elliot Trudeau, premier ministre du Canada proclamait la Loi des mesures de guerre et avant même le lever du jour, l’armée canadienne qui la veille avait subrepticement commencé à envahir le Québec, l’occupait officiellement en vertu de cette loi. À la même heure et en vertu de cette même loi, 242 personnes dont plusieurs écrivains et artistes, syndicalistes et candidats du PQ aux élections précédentes étaient arrêtées et conduites en prison. La journée n’était pas terminée que des dizaines d’autres connaissaient le même sort. En quelques jours, 465 personnes avaient été emprisonnées, leurs maisons fouillées et quelques fois saccagées, leur famille apeurée et dans certains cas, leurs enfants laissés seuls. Elles furent presque toutes libérées sans même avoir été interrogées. Le 21e jour de cette manifestation de force, seules 32 personnes furent mises en accusation, détenues encore pendant plusieurs semaines pour être enfin libérées sans avoir subi de procès, la Cour déclarant qu’il n’y avait pas matière à procéder (nolle prosequi).
L’opération déclenchée sous le prétexte de l’urgence à contrer une montée subite des actes illégaux et de la violence politique du FLQ, alors que les membres des cellules du mouvement qui l’exerçaient étaient déjà connus et filés par la police et auraient pu être arrêtés aux seuls moyens des techniques policières habituelles, ce qui est d’ailleurs arrivé quelques semaines plus tard, s’avère à l’évidence, avec le recul, une entreprise soigneusement planifiée. Elle avait pour véritable but de terroriser le peuple québécois et d’écraser par ricochet le mouvement indépendantiste qui portait à un niveau encore inégalé sa conscience nationale et sa volonté d’autodétermination.
Car il s’agit bien de cela. La promulgation et l’application simultanées de la Loi des mesures de guerre en octobre 1970 qui permit à l’armée canadienne d’envahir le Québec et aux effectifs de la Gendarmerie royale du Canada, de la Sûreté du Québec et des différents corps de police municipaux d’arrêter sans mandat et d’emprisonner sans accusations spécifiques des centaines de partisans de l’Indépendance du Québec n’est pas un accident de parcours, un acte exceptionnel qui aurait été provoqué par la violence politique du FLQ. Dans les dizaines de livres et les centaines d’articles publiés depuis trente ans, consacrés à l’histoire et à l’analyse de la Crise d’octobre (1), il est démontré de manière irréfutable que les membres des diverses cellules se réclamant de leur appartenance au FLQ étaient tous, non seulement bien connus des autorités politiques et policières, mais qu’ils avaient depuis plusieurs mois et même, dans certains cas, depuis quelques années, fait l’objet d’une constante filature et autres formes de surveillance.
D’où il ressort clairement que les actions illégales du FLQ, en particulier les enlèvements de James Cross, attaché commercial à Montréal du Haut-Commissariat de la Grande-Bretagne et de Pierre Laporte, ministre du travail et vice-premier ministre dans le gouvernement libéral québécois de Robert Bourassa, n’ont été que l’occasion désirée et attendue par le gouvernement canadien, alors sous la férule de Pierre Elliot-Trudeau, de passer à l’action afin de frapper, à travers la prétendue nécessité de combattre un prétendu mouvement clandestin, toutes les forces indépendantistes du Québec. Celles-ci venaient de manifester leur puissance d’attraction de manière éclatante, lors des élections du 29 avril précédent, en amenant 24 % des électeurs à accorder leur suffrage au Parti Québécois, malgré la campagne de peur menée par les establishments qui n’hésitèrent pas à recourir aux tactiques les plus malhonnêtes, dont le célèbre « coup de la Brinks », pour faire croire à l’électorat qu’une élection du PQ entraînerait une chute vertigineuse de son niveau de vie. René Lévesque à juste titre qualifia cette menace de « terrorisme économique ». À juste titre aussi, au soir de l’élection, il clama avec fierté devant des milliers de militants qui accueillirent ses propos avec enthousiasme : « Cette défaite ressemble à une victoire ». Cette compréhension de l’événement était entièrement partagée par toute la classe politique et économique du Canada et du Québec fédéraliste. Quelques mois plus tard, elle en donna le signe en promulguant la Loi des mesures de guerre, passant du terrorisme économique au terrorisme politique et militaire qui est une des constantes de la logique interne de l’histoire canadienne depuis la Conquête anglaise. Ce terrorisme fait partie des nombreux processus de répression de la nation conquise. L’État y a recours chaque fois qu’il prend celle-ci en flagrant délit de volonté d’existence autonome et avant qu’elle ne devienne en mesure d’assumer sa souveraineté, même quand le rapport des forces en présence ne le justifie aucunement. Terrorisme qui, déjà, signait le passage de l’armée britannique sur la rives du Saint-Laurent, pendant la guerre de conquête.
Au commencement était le terrorisme, peut-on dire.
Tout a en effet commencé dès la fin de l’été 1759, quand les troupes de Wolfe débarquées sur la Côte de Beaupré en incendièrent les villages sous les regards atterrés de leurs habitants sans armes, impuissants à les défendre. En face, sur la Côte Sud, de Saint-Vallier à Lévis, d’autres soldats envahissaient ces villages derrière leur canons, placardaient sur les portes des églises la Proclamation décrétant la chute de la Nouvelle-France et pendaient devant leur maison les quelques audacieux qui protestaient, tel, le capitaine Nadeau de Saint-Michel (2), « pour avoir essayé de soulever ses concitoyens contre nous », comme le rapporte dans son journal de campagne un dénommé Knox, capitaine d’escadron dans l’armée de Sa Majesté britannique qui menait ainsi dans les règles habituelles au genre sa guerre de conquête de la Nouvelle-France.
(Car il y a bel et bien eu guerre de conquête. Toutes les dénégations à la Jacques Godbout et autres colporteurs sur nos grands et petits écrans d’une cession sans coup férir du Canada par la France à la Grande-Bretagne n’y changeront rien. Elle a eu lieu et a elle duré près de quatre ans. Elle a commencée en 1757, avec l’arrivée au pouvoir à Londres de William Pitt, francophobe avoué. Cet homme d’État, déterminé à étendre l’hégémonie de l’Empire britannique, aussi bien en Amérique qu’en Asie, s’empressa de céder aux pressions des colonies anglo-américaines qui supportaient mal le voisinage d’un Canada français et catholique et qui se montraient prêtes à engager la lutte contre lui, considéré comme un important et importun concurrent sur les marchés. Elle s’est poursuivie pendant plus de deux ans au cours de nombreux affrontements remportés de haute lutte par les forces françaises et canadiennes pourtant considérablement inférieures en nombre, jusqu’à ce que l’armée britannique forte de 63 000 hommes prennent définitivement le dessus à la fin de l’été 1759 et leur fasse, après un long siège, subir la défaite sur les Plaines d’Abraham. La guerre de conquête ne s’est pourtant terminée qu’un an plus tard, en septembre 1760, avec la capitulation de Montréal et la reddition de tout le pays. Ce n’est que trois ans plus tard, le 10 février 1763, que le traité de Paris ratifiera la situation de fait créée par la défaite des soldats et miliciens de Montcalm et de Vaudreuil aux mains de l’envahisseur britannique).
La guerre de conquête achevée et l’acte de cession ratifiée, les Parlements britannique, d’abord, puis canadien ne furent pas constamment dans la nécessité de déployer leurs forces militaires et policières contre la nation conquise puis annexée pour l’assujettir et l’aliéner. Ils leur suffirent le plus souvent d’avoir recours à des mesures législatives et à des politiques économiques qui lui étaient défavorables pour maintenir leur domination, de même qu’à des coups de force constitutionnels : l’Union des Haut et Bas-Canada, en 1840 ; le Rapatriement de la Constitution en 1982, par exemple. Pourtant, sous le régime britannique, l’État par deux fois au moins, en 1810 et en 1837-1838, réprima par la violence les tentatives des Canadiens - qui ne s’identifieront comme Canadiens français qu’avec l’Union, obligés d’ainsi se spécifier, le conquérant s’étant alors approprié jusqu’au nom du peuple conquis - d’exercer leurs droits et de prendre leur destin en main. Sous le régime fédéral canadien, l’État fera appel par trois fois, en 1870-1885, en 1918 et en 1970, à l’armée pour mater les mouvements rebelles à ses politiques impérialistes et centralisatrices.
1810. Bien qu’à compter des années 1800, elle fut majoritaire à l’Assemblée, la députation canadienne demeurait impuissante à vraiment exercer le pouvoir détenu, en fait, par le Conseil exécutif et le Conseil législatif, tous deux entre les mains du Parti anglais. Les députés canadiens ne pouvaient que faire obstruction aux projets de loi défavorables aux intérêts de la majorité du peuple. En 1810, les députés du Parti canadien refusèrent de voter le budget. Afin de contrer cette opposition, le gouverneur Craig dissout l’Assemblée législative pour la deuxième année consécutive. Sous la poussée du Parti anglais, il fait saisir le journal Le Canadien, principal support de l’action parlementaire des députés canadiens, fait arrêter et emprisonner ses rédacteurs. Il convoque de nouvelles élections et pour éviter que la population renvoie les mêmes élus à l’Assemblée, il déploie, les jours de votation, avec l’intention de la terroriser, des contingents de soldats dans les rue de Montréal et de Québec.
1837/1838. Est-il besoin de rappeler comment, après avoir militairement écrasé les mouvements de rébellion actifs dans ses colonies du Haut et du Bas-Canada qui réclamaient un gouvernement responsable, l’État mena sa guerre de répression dans le seul Bas-Canada, en incendiant quelques villages dont ceux de Saint-Eustache et de Saint-Benoît, en pillant et incendiant, ailleurs, les fermes des habitants favorables au mouvement, en confisquant les biens des combattants, en violant de nombreuses femmes trouvées seules au foyer, sans oublier les exils, les déportations et les pendaisons. Est-il besoin de souligner la cause de cette différence du traitement appliqué aux rebelles des deux colonies. Qui ignore que les revendications politiques des patriotes anglo-saxons du Haut-Canada étaient principalement fondées sur des griefs d’ordre économique, tandis que celles, tant économiques et sociales que politiques, des patriotes canadiens étaient toutes déterminées par la question nationale. C’est parce que l’objectif majeure des patriotes canadiens était l’indépendance du Bas-Canada, considérée comme seul moyen de libérer leur nation de la domination politique et économique des industriels, des marchands et des financiers anglais de la colonie soutenus par toutes les instances de l’État colonial, que cet État se livra à des actes terroristes inutiles pour assurer sa victoire militaire, mais nécessaires pour briser chez le peuple conquis toute volonté de continuer la lutte.
(Pourtant, bien que ces rébellions aient échoué et que son mouvement bas-canadien ait été complètement écrasé, la révolte des Canadiens n’en continuait pas moins d’apeurer les autorités britanniques qui ordonnèrent une vaste enquête sur ses causes et dépêchèrent Lord Durham sur les lieux pour la mener à bien. Dans son rapport publié en janvier 1839, l’enquêteur non seulement reconnaît l’existence de la nation canadienne française, mais attribue à sa conscience nationale et à son désir d’autodétermination la responsabilité des troubles. Pour l’empêcher de nuire à nouveau, il propose la mise en vigueur de politiques propres à la rendre minoritaire et à l’assimiler. Et c’est le coup de force : l’Union des Haut et Bas-Canada sanctionnée par la reine Victoria, le 23 juillet 1840. Inauguration du processus d’annexion et d’enfermement de la nation canadienne française dans un engrenage constitutionnel, juridique, politique, démographique et économique qui la marginalise, la soumet à des intérêts étrangers et l’aliène. Prélude de l’union fédérative de 1867 qui, sous le nom de « Confédération » - dénomination abusive puisqu’elle n’a jamais eu pour but l’association de collectivités politiquement souveraines -, préside aux destinées de la nation canadienne française qui, aujourd’hui, au Québec, constitue la majorité du peuple québécois, majorité qui aspire à l’indépendance et lutte pour son avènement.)
1870-1885. L’histoire est longue qui conduit à la répression sanglante de la deuxième rébellion des Blancs et des Métis du Nord-Ouest, et à la pendaison de Louis Riel. Elle commence en 1868, quand le Canada achète à la compagnie de la Baie d’Hudson le vaste territoire qui comprend aujourd’hui les trois provinces de l’Ouest et les territoires du Nord-Ouest, pour en faire une colonie d’Ottawa. Les habitants qui n’avaient pas été consultés réagirent mal à cette annexion. Les Métis et les Blancs, en majorité catholique et de langue française, s’unirent pour revendiquer des lois et des pouvoirs qui leur garantiraient leurs droits territoriaux, linguistiques et religieux. Sous la direction de Louis Riel, ils établirent à Rivière-Rouge un gouvernement provisoire, établirent une « liste des droits », exigèrent l’ouverture de négociations avec Ottawa. Cette première lutte mena, après bien des péripéties violentes, à la création de la province du Manitoba, en juillet 1870. La population québécoise avait soutenu le mouvement et avait exigé du gouvernement d’Ottawa qu’il négocie avec Riel des clauses qui inscriraient dans la liste des droits l’égalité linguistique et scolaire du français et de l’anglais. Les Britanniques de la région, appuyé par les Ontariens ne l’entendirent pas de la même manière. Il n’était pas question pour eux de laisser se développer une province francophone et catholique au coeur des Prairies et d’ouvrir ainsi la porte de l’Ouest à l’émigration canadienne française du Québec. Ils s’opposent à l’amnistie de Louis Riel qu’ils accusent de meurtre, mettent sa tête à prix, après qu’il se fut exilé. Ils s’attaquent sans répit aux Métis qui, dépossédés de leur terre et sans chef, quittent le Manitoba pour s’établir plus à l’Ouest où ils sont victimes des mêmes ennuis et persécutions. En 1885, Ceux-ci rappellent Louis Riel et l’histoire se répète. Mais face à une armée de 8000 hommes appuyés par des canons et des mitrailleuses, les troupes de Riel succombèrent rapidement, les villages et les fermes des Métis furent pillées et incendiées et les habitants refoulés encore plus à l’Ouest. Riel se rendit, subit un procès devant un jury anglais et protestant qui le trouva coupable de haute trahison et le condamna à la pendaison. Toute l’opération encore une fois, au delà de ses causes immédiates, fut menée contre le Canada français. Il s’agissait de faire comprendre à la population du Québec que l’expansion vers l’Ouest devait être le fait du Canada anglais et servir ses seuls intérêts de tous ordres.
1918. Quand en 1917, de retour de Londres où il avait participé à une séance du Cabinet anglais de guerre, Robert Borden, alors premier ministre du gouvernement canadien, décida d’imposer la Conscription, les Canadiens français firent immédiatement connaître leur farouche opposition à l’adoption d’une telle mesure. Ils ne voyaient pas pourquoi ils serviraient de chair à canon à l’armée de sa Majesté britannique, certainement pas parce que le Canada anglais s’était engagé à lui fournir des soldats, alors qu’ils venaient de perdre coup sur coup les batailles de l’enseignement du français en Ontario et des écoles séparées au Manitoba. Borden tenta alors de former un gouvernement d’Union nationale et d’y faire entrer Laurier. Celui-ci refusa. Le premier ministre réalisa néanmoins son projet et forma un cabinet composé de treize conservateurs et dix libéraux dont deux Canadien français qui s’en retireront bientôt, puis il déclencha des élections qui auront lieu le 17 décembre. Deux semaines avant ce jour, Borden, inquiet de l’opposition grandissante à la conscription, tant au Canada qu’au Québec, fit publier un décret ministériel qui en exemptait les fils des agriculteurs. Manoeuvre qui lui permet de remporter une victoire éclatante, mais non de faire taire l’opposition à la conscription qui, au Québec, est presque unanime, très active et parfois violente. La situation atteignit son point culminant au printemps 1918. Suite à l’arrestation dans la rue, le 29 mars, à Québec, d’un homme qui ne pouvait pas fournir sur le champ son certificat d’exemption du service militaire, la révolte des témoins se répandit comme une traînée de poudre et des émeutes éclatèrent qui durèrent jusqu’au 2 avril. La police fit appel à l’armée, un bataillon canadien anglais basé à Toronto fut dépêché à Québec, la loi martiale appliquée. Dans la soirée du premier avril, les soldats tirèrent sur la foule désarmée, firent cinq morts et des dizaines de blessés, en plus d’emprisonner sans mandat et sans cautionnement de très nombreux citoyens. L’État, une fois de plus, tentait de mater par la force la résistance du peuple conquis à ses politiques impérialistes.
1970. Les événements immédiats et officiels qui ont déclenché la Crise d’octobre remontent longuement mais directement à la naissance, à la fin des années 1950, du mouvement indépendantiste contemporain. C’est un mouvement révolutionnaire qui, à l’instar de mouvements similaires à l’oeuvre partout dans le monde, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, appelle le peuple à lutter contre toutes les formes d’assujettissement : domination politique, exploitation économique, oppression sociale et culturelle. Les forces indépendantistes québécoises d’alors conçoivent l’indépendance non seulement comme une lutte politique ayant pour objectif essentiel la création d’un État souverain, mais aussi comme un projet de libération nationale, c’est-à-dire une remise en question globale du système colonial canadien et une prise en main par le peuple de tous les instruments de son développement collectif. La réalisation d’un tel projet nécessite la formation d’une véritable conscience nationale, plutôt que nationaliste, qui amène la nation conquise puis annexée à affirmer et à défendre tous les attributs de son identité, dont son droit inaliénable à l’autodétermination, de même qu’à croire à sa capacité de l’assumer.
Les enjeux du combat s’avèrent ainsi colossaux. En effet, l’indépendance du Québec en tant que préalable indispensable à une véritable libération nationale menacent objectivement les intérêts capitalistes de la grande bourgeoisie canadienne dont l’État canadien est non seulement le représentant mais, plus fondamentalement, le noyau institutionnel et le soutien inconditionnel (3). Il s’agit donc en premier lieu de fissurer ce noyau. Toutes les organisations qui composent le mouvement indépendantiste, poursuivent cet objectif. Malgré la diversité des discours qu’elles tiennent et des stratégies qu’elles adoptent, inspirés par des idéologies et des intérêts sociaux plus ou moins différents, elles s’attaquent donc avec une même détermination aux institutions, aux symboles et aux entreprises de cette classe dominante qui possède alors la presque totalité des ressources naturelles, financières et industrielles du Québec et en contrôle ainsi le développement économique et l’organisation politique, en plus d’imposer à la main d’oeuvre québécoise sa langue et ses conditions de travail. Engagés dans une lutte à finir avec le colonialisme et ses séquelles, les mouvements et partis engagés dans la lutte pour l’indépendance basent leur action sur la nécessité de politiser et de mobiliser le peuple, conscients que sa détermination constitue la seule force susceptible de renverser les pouvoirs établis. Tous sont animés par ce même souci démocratique, y compris le FLQ. Seul, cependant, celui-ci agira dans la clandestinité et aura recours à des actions violentes (si l’on excepte la dizaine de membres de l’ALQ et de l’ARQ dont l’existence sera de courte durée et dont les actions d’éclat seront confondues dans l’opinion publique avec celles du FLQ), tous les autres n’auront toujours recours qu’à des moyens légaux, bien que non conventionnels, pour convaincre les Québécois de la nécessité de l’indépendance et de l’urgence de la réaliser.
De plus, jamais, jusqu’à la création du Mouvement Souveraineté-Association, ils ne tenteront d’occulter l’ampleur et la difficulté de la tâche à accomplir, en diluant l’objectif de liberté dans celui d’égalité, en diluant la revendication d’une autodétermination pleine et entière à celle d’un partage de la souveraineté du Québec avec l’État canadien dominant et ennemi.
Pourtant, en 1970, deux ans après la fondation du Parti québécois, issu du MSA, et l’ascendant hégémonique qu’il exerce sur le mouvement indépendantiste qu’il finira par réduire à la marginalité, les bourgeoisies canadienne et québécoise au pouvoir à Ottawa et à Québec et dont les intérêts sont intégrés, s’opposent aussi farouchement au compromis lévéquiste de réaménagement de la Constitution qui accorderait à l’État québécois un pouvoir politique égal à celui de l’État canadien, qu’à celui de l’indépendance du Québec. Elles jugent irrecevable cette proposition de partage de leurs lieux de pouvoir et de décision, même si le projet ne remet aucunement en question les tenants et aboutissants du développement global du capitalisme nord-américain. Et ces puissantes bourgeoisies ont peur. Malgré tous les moyens qu’elles ont mis en oeuvre pour manipuler l’élection du 29 avril, les résultats se sont avérés plus importants que prévus et lui font craindre que le Parti québécois puisse prendre le pouvoir dès l’élection suivante. Ainsi averties et affolées, elles somment leurs gouvernements et leurs médias d’utiliser toutes leurs ressources pour empêcher cette éventualité de devenir réalité, leur enjoignant de ne reculer devant aucun moyen. Elles se sentent d’autant plus menacées que l’agitation ouvrière ne cesse de prendre de l’ampleur partout au Québec et qu’elle est soutenue par plusieurs groupes et groupuscules indépendantistes et socialistes et par le FLQ, d’une part. D’autre part, un parti progressiste qui épouse la plupart des revendications populaires de tous ces mouvements voit le jour au début de l’été, à Montréal. Le Front d’action politique (FRAP) a pour objectif de merer la lutte, lors des élections prévues pour le 25 octobre, à l’administration Drapeau-Saulnier qui les représente sur la scène municipale montréalaise.
C’est dans ce contexte que les Partis au pouvoir, particulièrement le Parti libéral du Canada par la voix de son chef, Pierre Elliot-Trudeau, ennemi juré du nationalisme québécois, a fortiori de l’indépendantisme, opposant farouche à toutes les revendications nationales du peuple québécois exigeant des pouvoirs accrus pour le Québec, entreprirent de discréditer le Parti québécois en associant souverainisme et terrorisme. Il s’agissait, comme les en a accusé René Lévesque « de condamner le Québec à l’impuissance ». La mise en vigueur de la Loi des mesures de guerre en octobre 1970 n’avait pas d’autre but.
En 1970, comme aujourd’hui, comme jadis et naguère, le Canada anglais refuse l’existence nationale du peuple québécois et, aujourd’hui comme autrefois, il est prêt à utiliser tous les moyens pour le réduire à néant ou, tout au moins l’empêcher de nuire au développement de ses intérêts nationaux. Il est le peuple conquérant qui trouve justifiée sa domination sur le peuple conquis, qui trouve justifié de déployer son armée contre lui, chaque fois qu’il a l’impudence de s’affirmer. En 1970, pour préserver l’intégrité de son pouvoir mal acquis et mal conservé, bien que le rapport des forces en présence ne l’exigeait pas, il a sauté sur l’occasion que lui offrait le FLQ. pour écraser la démarche éminemment légitime et démocratique et l’action politique légale du Parti québécois, représentant alors à ses yeux la menace indépendantiste.
Car, il est important de le souligner, les moyens de la lutte employés par les forces indépendantistes importe peu à l’État canadien, seule compte à ses yeux leur efficacité réelle ou appréhendée. Et le terrorisme fait partie des armes à sa disposition pour la contrer.
Tant qu'en grande majorité nous n'aurons pas une conscience aigüe que nous sommes en guerre et tant que nous ne serons pas vraiment déterminés à vaincre l'ennemi, nous serons victimes de ses coups de force et de ses actes de terrorisme. Il faut espérer que nous développerons ces qualités avant qu'il ne soit trop tard pour que les luttes de nos parents et aïeux pour la reconnaissance de nos droits et pour notre souveraineté n'aient pas été menées en vain.

Notes
1. Pour écrire cet article, je me suis toutefois principalement référée à l’ouvrage de Louis Fournier : FLQ histoire d’un mouvement clandestin, réédité en 1998 par Lanctôt éditeur, et, pour l’histoire générale, parus chez le même éditeur, en 1999, les 2 tomes de Robert Lahaise et Noël Vallarand : La Nouvelle France (1524-1760) et Le Québec sous le régime anglais (1760-1867), de même qu’à Le Canada pourquoi l’impasse, de [Kaye Holloway->archives/auteurs/h/hollowayk.html], publié à Montréal, en 1984 par les éditions Nouvelle-Optique.
2. Bulletin des Recherches Historiques, vol. III, p.64, cité dans une monographie consacrée à l’histoire de Saint-Michel de Bellechasse.
3. Voir à ce sujet l’ouvrage de l’historien Stanley Bréhaut-Ryerson : Capitalisme et Confédération.
***
De Londres à Ottawa, le terrorisme d’État dans l’histoire du Québec. par Andrée Ferretti
L’Action nationale, vol. 90, no 8, octobre 2000, pp. 67-79.

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Andrée Ferretti124 articles

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"Rien de plus farouche en moi que le désir du pays perdu, rien de plus déterminé que ma vocation à le reconquérir. "

Andrée Ferretti née Bertrand (Montréal, 1935 - ) est une femme politique et
une écrivaine québécoise. Née à Montréal dans une famille modeste, elle fut
l'une des premières femmes à adhérer au mouvement souverainiste québécois
en 1958.Vice-présidente du Rassemblement pour l'indépendance nationale, elle
représente la tendance la plus radicale du parti, privilégiant l'agitation sociale
au-dessus de la voie électorale. Démissionnaire du parti suite à une crise
interne, elle fonde le Front de libération populaire (FLP) en mars 1968.Pendant
les années 1970, elle publie plusieurs textes en faveur de l'indépendance dans
Le Devoir et Parti pris tout en poursuivant des études philosophiques. En 1979,
la Société Saint-Jean-Baptiste la désigne patriote de l'année.
Avec Gaston Miron, elle a notamment a écrit un recueil de textes sur
l'indépendance. Elle a aussi publié plusieurs romans chez VLB éditeur et la
maison d'édition Typo.





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