Déclaration du Millénaire et lutte à la pauvreté: où en est-on?

17. Actualité archives 2007


À mi-chemin et devant les résultats peu reluisants des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), l'ONU et les grandes institutions internationales, notamment la Banque mondiale, la Commission européenne, le FMI et l'OCDE, en appellent à une autre mesure du «bien-être» ou du «mieux-être» dans le monde. Pourquoi et quelle contribution peut-on apporter à cet exercice complexe?
En septembre 2000, lors de sa 55e session, l'Assemblée générale des Nations unies adopta la Déclaration du Millénaire comportant huit grands Objectifs du millénaire pour le développement à atteindre en 2015 (OMD). Le premier de ces Objectifs est d'éliminer l'extrême pauvreté et la faim dans le monde. Sept ans après cette déclaration, l'ONU fait les constatations suivantes: 1) dans le monde entier, et surtout en Asie, les taux de pauvreté sont à la baisse partout, sauf en Afrique subsaharienne; 2) une population totale de 900 millions de personnes dans 50 pays les plus démunis sont plus que jamais embourbées dans la pauvreté; 3) à travers le monde près d'un milliard de personnes, soit le sixième de la population mondiale, doivent survivre avec moins d'un dollar par jour; 4) une grande proportion des enfants dans les pays en développement sont sous-alimentés; 5) les conflits et les catastrophes naturelles aggravent encore la pauvreté.
Mesures de la pauvreté et limites
La pauvreté est un concept multiforme qui est généralement défini par trois approches. Selon l'approche monétaire, est pauvre un individu ou un ménage dont le revenu est inférieur à un certain seuil. Ce seuil peut être en termes absolus ou relatifs. La pauvreté monétaire absolue concerne les individus ou les ménages qui ont des revenus inférieurs à un seuil minimum conventionnel, correspondant à une quantité de biens et de services. Ce seuil évolue avec la hausse du niveau général des prix. C'est la mesure qui est en vigueur au Canada et aux États-Unis. Pour les pays en développement, la Banque mondiale et le PNUD ont fixé arbitrairement ce seuil à un dollar par jour. La pauvreté monétaire relative concerne les individus ou les ménages dont le revenu par unité de consommation est inférieur à 50 % ou 60 % du revenu médian. C'est la mesure généralement adoptée en Europe de l'Ouest. L'approche monétaire est critiquable. Elle postule que les économies d'échelle selon la taille du ménage sont identiques selon les lieux. Ce qui n'est pas vrai puisque les notions de besoins et de bien-être indispensables pour définir l'échelle sont relatives.
Pour contourner ces problèmes, l'approche subjective de la pauvreté se réfère non plus au jugement de l'expert, mais à l'opinion de la personne interviewée sur sa propre situation financière et son bien-être. Est alors pauvre la personne qui se déclare comme telle. On reproche à cette méthode de ne pas préciser comment les répondants définissent leur champ de référence lorsqu'on leur demande de se situer par rapport aux «gens comme eux». Enfin, pour définir la pauvreté, les sociologues préfèrent se baser sur le critère principal de «conditions de vie». Cette approche insiste sur l'idée que ce n'est pas le manque de tel ou tel bien matériel ou service qui permet de définir la catégorie de pauvreté, mais le cumul de privations. On utilise alors le concept de «deprivation», qui renvoie à l'avoir de biens matériels essentiels, aux conditions de vie et aux possibilités de participation à la vie sociale.
L'approche monétaire adoptée par la Banque mondiale et le PNUD est réductrice et camoufle certains aspects du problème social qu'est la pauvreté dans le monde. Le seuil de pauvreté fixé à un dollar par jour ne reflète pas la réalité des conditions de vie des populations des pays en développement, qui, avec un revenu de deux, trois, voire cinq dollars par jour, ne sont pas en mesure de satisfaire leurs besoins essentiels en alimentation, habillement, logement, santé et éducation. Même l'indicateur de la pauvreté humaine (IPH) conçu par le PNUD, qui prend en considération les variables comme la longévité, le manque d'éducation de base et le non-accès aux ressources publiques et privées, est en contradiction avec les réalités non seulement des pays en développement, mais également des nouveaux pays industrialisés. À la fin des années 1990, l'approche des conditions de vie montrait qu'au moment où le Canada était placé au premier rang mondial selon l'Indice du développement humain (IDH) du PNUD, 17,4 % de sa population vivait sous le seuil de la pauvreté alors que, toujours selon l'IPH du PNUD, le taux était de 10,9 % pour le Mexique et de 4,1 % pour Trinité-et-Tobago (Michel Chossudovsky, Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial, Éditions Écosociété, 2004).
Pour une éthique du développement
Dans son Rapport mondial sur le développement humain 2005, le PNUD fait les constats suivants: les 500 personnes les plus riches du monde ont un revenu combiné plus important que celui des 416 millions les plus pauvres; à côté de ces extrêmes, les 2,5 milliards d'individus (40 % de la population mondiale) vivant avec moins de deux dollars par jour représentent 5 % du revenu mondial. Sur la base de données relatives à la distribution du revenu mondial, le PNUD estime que, pour sortir un milliard d'individus de l'extrême pauvreté, il ne coûterait que 300 milliards de dollars, soit 1,6 % du revenu des 10 % les plus riches de la population mondiale. Considérant cette opulence de la richesse mondiale et ces inégalités sociales obscènes, j'en arrive à la conclusion que la pauvreté dans le monde est un manque d'éthique dans la redistribution des richesses entre les individus et les pays du globe. Si jusqu'ici le développement s'est fait dans des rapports inspirés principalement par l'égoïsme politique et économique des dirigeants aussi bien du Nord que du Sud, il faut maintenant qu'il se fasse dans un nouveau cadre de solidarité humaine fondée sur la volonté de respect de la dignité de la personne.
Pour relever ce défi éthique, je propose «l'utopie» du développement humain minimum garanti (DHMG) pour toute personne humaine dans sa totalité, comme un être individuel responsable, une personne morale et un être social redevable à la société. Pour favoriser l'épanouissement de chaque personne et le développement de la société, l'éthique doit garantir à chacun et à tous un DHMG. En termes pratiques, le DHMG garantit à toute personne les biens essentiels économiques (BEE), les biens essentiels politiques (BEP), les biens essentiels culturels (BEC) et les biens essentiels psychosociaux (BEPS). Le DHMG renvoie d'abord à la définition objective et subjective des biens essentiels minimums vitaux qui devraient être satisfaits chez la plus pauvre personne du plus pauvre des pays du monde. Ensuite, il renvoie à la définition d'un niveau plancher au-dessous duquel ne devrait pas se situer le plus sous-développé du plus sous-développé des pays du monde. Il s'agit d'introduire une réglementation, dans l'état de la nature humaine et de la société, qui reconnaisse les droits des plus pauvres au DHMG. Dans le domaine du développement, l'éthique interpelle aussi bien les dirigeants des pays du Nord que du Sud. Du point de vue de la condition humaine, la vraie question qu'on doit poser en ce XXIe siècle est et doit être celle-ci: quels sont les besoins essentiels vitaux qui doivent être satisfaits dans tous les domaines qui structurent l'existence humaine et lui servent de champ d'épanouissement?
Yao Assogba : Sociologue, professeur au département de travail social et des sciences sociales. Université du Québec en Outaouais (UQO)


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