Derrière le blocage des négociations européennes, un sursaut d'orgueil français ?

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« Nos voisins germains n'ont jamais défendu, sous couvert d'Europe, que leurs intérêts nationaux. »

Les « sommets de la dernière chance » tels que l'Union européenne en a connus pendant la crise de la zone euro font-ils leur grand retour ? La nuit du 30 juin au 1er juillet a en tout cas été une nuit blanche pour les chefs d’État et de gouvernement de l'UE. Elle a pourtant débouché sur une impasse. Il ne s'agissait nullement de l'euro, cette fois, mais d'attribuer les « top jobs », et de désigner les patrons respectifs du Parlement européen, de la diplomatie européenne, du Conseil et, surtout, de la Commission de Bruxelles. Tout comme les précédents sommets – ceux du 28 mai et du 20 juin – celui de la nuit dernière a débouché sur un échec. Les tractations reprendront ce mardi 2 juillet au matin.


L'affaire avait commencé par un affrontement franco-allemand. Dans un premier temps, Angela Merkel avait choisi de soutenir son compatriote Manfred Weber, membre de la très droitière CSU bavaroise. Celui-ci était en effet le Spitzenkandidat (le candidat tête de liste) des conservateurs européens du PPE. Le système des Spitzenkandidaten, qui fut effectivement appliqué en 2014 et qui présida à la nomination de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission, consiste à désigner à ce poste le chef de fil de la formation arrivée en tête aux européennes. C'est la manière la plus « parlementariste » de se conformer aux dispositions du traité de Lisbonne, qui impose de « tenir compte » (sans autre précision) du résultat du scrutin européen.


Mais Emmanuel Macron ne l'entendait pas de cette oreille. Très opposé à la nomination de Weber, un personnage falot n'ayant jamais occupé de poste de ministre dans son pays (et que Nathalie Loiseau a jugé bon de qualifier « d'ectoplasme »), le président Français s'est employé à torpiller le système de Spitzenkandidaten. Il faut dire que Weber est allemand, et que la République fédérale occupe déjà d’innombrables postes à responsabilité au sein de l'UE : celui de secrétaire général de la Commission (Martin Selmayr), ceux de secrétaires généraux du Parlement européen (Klaus Welle) et du Service européen d’action extérieure (Helga Schmid), mais aussi ceux de présidents de la Banque européenne d’investissement, de la Cour des comptes européenne, du Mécanisme européen de stabilité et du Conseil de résolution unique des crises bancaires. Dans un livre de 2013, (Non à l'Europe allemande, Ed. Autrement, mai 2013) le sociologue Ulrich Beck mettait en garde contre la perspective d'une « Europe allemande ». Force est de constater que nous y sommes.


Or pour une fois, la France semble avoir décidé de contester cet état de fait. Macron, qui n'avait de cesse, au début de son quinquennat, de vanter ses « réformes de structure pour gagner la confiance de l'Allemagne » et qui signait encore, en janvier dernier, le très inéquitable traité franco-allemand d'Aix-la-Chapelle, semble avoir soudainement réalisé qu'en dépit des incessantes cajoleries hexagonales, la patrie de Goethe n'était pas éprise de celle de Molière dans les même proportions et ne souhaitait nullement s'autodissoudre dans une vaste « Françallemagne ».


Il faut dire que pour le président français, les revers ont été nombreux. S'agissant de la taxe sur les géants du numérique (taxe Gafam) portée à bout de bras par Bruno Le Maire pendant de longs mois, Paris n'a pas obtenu le soutien de Berlin, et l'entreprise a échoué. Ne parlons même pas du « budget de la zone euro », projet phare de Macron et condition sine qua non pour que la monnaie unique soit viable à terme, et qui a achoppé sur le refus appuyé de l'Allemagne d'établir une véritable « union de transferts », dont elle eut été la principale contributrice.


De fait, désormais, Paris et Berlin s'opposent sur tout : sur la reprise des négociations commerciales avec les États-Unis (l'Allemagne la souhaite vivement, la France s'y oppose), sur les exportations d'armes à destination de l'Arabie saoudite (que l'Allemagne a décidé de suspendre unilatéralement au grand dam de la France) et donc enfin, sur l'attribution du poste de président de la Commission de Bruxelles. La tension est si vive entre les deux capitales que l'eurodéputé allemand Daniel Caspary a même qualifié Macron de... germanophobe.


En dépit de ces dissensus, Merkel et Macron avaient pourtant fini par trouver un compromis. En marge de la réunion du G20 à Osaka et en concertation avec les Premiers ministres espagnol et néerlandais, les deux dirigeants étaient finalement convenus que le Néerlandais Frans Timmermans, Spitzenkandidat des sociaux-démocrates, remplacerait Jean-Claude Juncker. Manfred Weber recevrait quant à lui la présidence du Parlement de Strasbourg à titre compensatoire. Ainsi, Angela Merkel ne renonçait qu'à moitié à son candidat puisqu'elle lui offrait un lot de consolation. Quant à Emmanuel Macron, il oubliait la perspective de faire nommer le Français Michel Barnier à la tête de l'exécutif communautaire, mais obtenait en échange la nomination d'une figure de l'extrême centre et parfaitement « macrono-compatible ». Ainsi, le plus dur était fait.


Las, la nuit dernière, les choses ne se sont pas du tout passées ainsi. Pour deux raisons. La première, c'est que Timmermans était jusque-là le « Monsieur État de droit » de l'Union. En tant que vice-président de la Commission, l'homme est jugé responsable par les pays du « groupe de Visegrad » des procédures de sanction « article 7 » ouvertes contre la Pologne fin 2017 et contre la Hongrie en 2018 pour cause de non respect des « valeurs fondamentales » de l'UE (droits de l'Homme, libertés, démocratie). La seconde raison est que les conservateurs du PPE, habitués de longue date à occuper la majeure partie des « top jobs », ont refusé d'abandonner la perspective que l'un des leurs soit nommé à la Commission. Or s'il a perdu des plumes lors du scrutin européen, le PPE reste numériquement le groupe le plus fourni et rien ne peut se faire sans son accord.


Pour connaître les résultats du grand mercato européen, il conviendra d'attendre mardi. Toutefois, on peut d'ores et déjà interpréter les rebondissements ayant eu lieu jusque-là :


1) Angela Merkel est désormais affaiblie. Celle qu'on qualifia un temps de « reine d'Europe » et qui fut désignée « femme la plus puissante du monde » par le magazine Forbes à douze reprises, arrive décidément au terme de sa carrière. Au point qu'elle ne parvient même plus à imposer les compromis qu'elle négocie à un groupe PPE pourtant dominé par son parti, la CDU allemande.


2) Le « couple franco-allemand » n'a jamais existé. Nos voisins germains n'ont jamais défendu, sous couvert d'Europe, que leurs intérêts nationaux. Après guerre, ils ont utilisé l'Europe comme levier pour redevenir un pays respectable et pour recouvrer pas à pas leur souveraineté, maquillant adroitement - et paradoxalement - leur désir (légitime) de souveraineté en désir contraire de dissolution supranationale. Plus récemment, ils ont utilisé le Marché unique et l'euro comme instruments de leurs succès économiques. La nouveauté, c'est que la France semble s’apercevoir enfin que la République fédérale est « souverainiste ». Reste à savoir ce qu'Emmanuel Macron fera de cette édifiante découverte, lui qui ne semble nullement désireux de rompre avec les politiques économiques eurocompatibles soutenues par Berlin


3) Chaque jour, les Européens se divisent davantage. Sauraient-ils gérer en commun une nouvelle crise financière s'il en advenait une dans un futur proche ? Rien n'est moins sûr.