Comme au temps du Far-West

Des bandits éliront-ils le shérif de l'Amérique?

Attendez que des fonds venus d'Israël ou d'Iran ouvrent les portes de la Maison-Blanche.

Washington - Maison blanche à vendre!


À l'approche de l'élection présidentielle, des Américains découvrent que leur Cour suprême n'a pas seulement changé, en 2010, le financement des activités politiques dans leur pays. À cinq juges contre quatre, elle a écrit le scénario d'un western électoral qui fait scandale. Au temps du Far West, en effet, les voleurs de banque rêvaient d'élire eux-mêmes le shérif de la place.
Désormais, les banquiers peuvent peupler le Congrès de politiciens à leur goût grâce à des contributions «indépendantes». Ils n'ont qu'à former un Comité d'action politique (PAC).
Certes, nulle démocratie n'est parfaite. Quelle classe politique n'a pas cherché à confisquer à son avantage le pouvoir de définir les règles électorales? Sous prétexte de protéger le citoyen contre les influences indues, souvent une loi veillera, non d'abord au pouvoir du peuple, mais à l'équilibre entre les partis. En même temps, elle dressera une barrière qui repoussera avec les méchants intrus nombre de bonnes gens dont les opinions et les intérêts sont légitimes.
Aux États-Unis, il y a plus d'un siècle, la Cour suprême avait statué que les corporations (compagnies, syndicats, associations) sont des «personnes» dont la liberté d'expression est protégée par la constitution. Ces personnes morales, comme on les appelle curieusement, avaient tout le loisir de participer aux débats politiques. Elles n'avaient pas le droit de vote, certes, mais elles pouvaient contribuer, dans la limite fixée par la loi, au financement des partis et de leurs campagnes électorales.
C'est cette limite que la Cour a fait sauter. Les règles sur le financement politique n'ont pas changé, mais l'interdit de participer aux campagnes et de recueillir et dépenser des fonds à cette fin a été déclaré invalide. «Quand un gouvernement cherche à employer tout son pouvoir, y compris le code criminel, pour dicter d'où une personne peut obtenir son information ou encore quelle source douteuse elle ne doit pas écouter, c'est là une censure pour contrôler la pensée.» Et le juge Anthony Kennedy de trancher: «Le premier amendement confirme la liberté de penser par nous-mêmes.»
Les juges dissidents n'avaient rien contre une ouverture accrue à l'action politique, mais ils craignaient qu'une liberté aussi débridée fasse courir de graves risques au régime électoral. «La décision de la cour menace de saper les institutions électorales à travers la nation», écrit le juge John Paul Stevens. «La voie qu'elle a prise pour atteindre son résultat va, je le crains, lui faire du tort.» Les événements allaient assez tôt lui donner raison.
Les dépenses électorales grimpent
Le président Barack Obama ne s'est pas gêné pour déplorer ce virage. «La semaine passée, disait-il lors du discours sur l'Union, la Cour suprême a renversé un siècle de législation en ouvrant les vannes aux intérêts spéciaux — y compris les corporations étrangères — pour dépenser sans limites dans nos élections.» Il ne croyait pas, a-t-il sèchement ajouté, que les «élections américaines doivent être financées [bankrolled] par les intérêts les plus puissants d'Amérique ou, pire encore, par des entités étrangères».
Et bien sûr, les gens du Parti démocrate se promettaient d'endiguer les flots d'argent que ces puissances allaient verser dans les campagnes électorales. Depuis, ils ont perdu au Congrès la majorité nécessaire pour redresser les plateaux de la balance. Et ils ont donc, eux aussi, recours aux nouveaux Comités d'action politique. La cour avait accepté ces PAC à condition qu'ils soient «indépendants»: jamais autant de PAC ne virent le jour!
Résultat: les dépenses électorales grimpent, les publicités négatives inondent les médias, des candidatures médiocres s'imposent, et le citoyen ordinaire se sent plus que jamais étranger dans son système politique. Mais il y a pire. Telle compagnie naît soudain, le temps de verser son million, puis disparaît. Tel lobby se déguise en Comité d'action politique pour faire battre ou passer un candidat selon qu'il s'oppose à ses intérêts ou voudra bien les servir.
On aurait tort, toutefois, de regarder de haut ce western électoral. Le Canada n'a guère résisté dans son histoire électorale aux célèbres caisses occultes. Même le fameux «modèle démocratique» hérité de René Lévesque, en 1977, a été bafoué, y compris dans son propre parti. Au Québec, plus d'un milieu qui s'illustre aujourd'hui par des dons illégaux rêverait d'avoir un système à l'américaine. On pourrait ainsi s'acheter légalement la faveur de donneurs d'ouvrage ou de privilèges malhonnêtes.
Une mèche explosive
Aux États-Unis, avant l'arrêt de la Cour suprême, on comptait déjà plusieurs PAC parmi les neuf organisations les plus prodigues aux élections de 2008, soit, dans l'ordre: le syndicat des électriciens, l'American Telephone & Telegraph, l'association des banquiers, les grossistes de la bière, les vendeurs de chars, les pompiers, les ingénieurs, l'American Association for Justice et l'Union internationale des travailleurs. La première pour 3,3 millions de dollars, la dernière pour 2,5 millions.
Comme les anciens donateurs, les nouveaux doivent accepter que leurs noms soient rendus publics. Cela ne donne pas plus de pouvoir aux électeurs peu fortunés, mais au moins, on sait qui détient le nerf de la guerre électorale. Sauf les donateurs d'un PAC issu d'organisations à but non lucratif, qui restent anonymes, comme s'ils n'avaient en vue que le seul bien public. Sauf aussi — et la mèche est ici explosive — ces «entités étrangères» faisant discrètement pencher la balance.
On chuchotait à l'époque de Bill Clinton que de l'«argent chinois» avait contribué à sa victoire. Attendez que des fonds venus d'Israël ou d'Iran ouvrent les portes de la Maison-Blanche.
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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.


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