Que nous soyons pour ou contre le projet Rabaska, la décision du gouvernement d'écarter l'intervention de la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) devrait tous nous interpeller.
Que l'opinion du BAPE puisse sembler discutable aux yeux des opposants au projet, c'est une chose inévitable en société. Mais qu'on retire la compétence d'un tribunal administratif sous prétexte que le gouvernement n'en a pas besoin pour décider en est une autre, surtout lorsque ce tribunal a précisément pour objet d'apporter un point de vue neutre dans le respect des règles de droit les plus fondamentales, dont le droit pour tout citoyen d'être entendu.
Faut-il se surprendre d'une telle manœuvre de la part d'un gouvernement qui, dans le bref mandat qui lui a été accordé, a déjà écarté l'application de la loi a deux reprises, soit pour redéfinir les limites du parc du Mont Orford, sans passer par la procédure prévue a la Loi sur les parcs et pour limiter le droit des riverains aux prises avec les effets indésirables des activités de motoneiges, citoyens qui avaient pourtant eu gain de cause devant les tribunaux.
Cette fois le gouvernement a choisi de ne pas attendre la décision d'un tribunal administratif en court-circuitant son mandat en cours de route.
Mépris des lois et des institutions
Ce mépris des lois et des institutions de la part du gouvernement, et ce, au bénéfice d'intérêts privés, nous préoccupe surtout par l'effet de précédent qu'il vient marquer. Il y aura toujours des intérêts plus importants et il sera toujours plus économiquement rentable, du moins à très court terme, d'implanter une usine que de protéger les terres agricoles au Québec ou encore l'environnement. De là à court-circuiter les lois qui les protègent, il n'y a qu'un pas que le gouvernement semble tout prêt à franchir.
Les motifs donnés par le ministre Béchard pour rassurer les citoyens ne sont tous simplement pas acceptables.
1- On fait référence à une entente qui aurait été conclue entre le syndicat local de l'UPA et le promoteur. Non seulement cette entente, selon l'UPA elle-même, n'impliquait aucunement de retirer le mandat à la CPTAQ, mais aucune entente ne devrait jamais servir de justification à un corps public pour abdiquer ses devoirs ou pour s'immiscer dans un processus d'autorisation administrative destiné précisément a protéger les intérêts collectifs;
2- Prétendre que, parce que le BAPE a tenu des audiences et que l'opinion a été favorable au projet, tout autre processus devenait superflu et inutile, tient d'une ignorance de la finalité des différentes lois au Québec. Non, la CPTAQ ne serait pas devenu un deuxieme BAPE, puisqu'elle n'avait pas du tout le même mandat. Le BAPE devait analyser les impacts environnementaux de Rabaska, mais il n'avait pas le mandat, à ses propres dires, d'étudier l'ensemble des implications du projet. Il ne pouvait surtout pas se substituer aux préoccupations propres aux autres institutions appelées à analyser également le projet.
Dangereux précédent
On aurait même critiqué le BAPE s'il avait décidé de l'opportunité en lieu et place de la CPTAQ d'exercer d'autres activités sur les terres agricoles. Cette logique absurde marque un dangereux précédent. Lorsqu'un projet commandera une autorisation de la municipalité quant à son zonage, du ministère de l'Environnement, de la Commission de protection du territoire agricole, de la Régie de l'énergie... on dira : «commençons par le BAPE et éliminons les autres!». Et pourquoi ne pas commencer par la CPTAQ et écarter le BAPE si les gens se donnent la peine de se déplacer à ses audiences?
3- Qu'après les audiences publiques du BAPE, parmi les plus courus selon le ministre Béchard, les délais supplémentaires étaient jugés excessifs dans les circonstances. Excessifs pour qui? Le promoteur, comme tout promoteur, savait les conditions pour réaliser son projet. Ces conditions sont les même pour tous. Si délai il y a eu, le promoteur y a grandement participé, les audiences du BAPE ne devant légalement durer que 4 mois.
4- Il faut, selon le ministre, donner un message que les choses doivent bouger au Québec. Voilà à nouveau le spectre de l'immobilisme opposé au développement. Comment ce gouvernement entend-t-il démontrer à la population que derrière son discours environnementaliste opportuniste, les décisions suivent?
La dernière fois qu'il légiférait en environnement en votant la loi sur le développement durable, il adoptait dans sa foulée la loi modifiant le parc du Mont Orford. Maintenant il écarte la CPTAQ deux jours après avoir présenté la Stratégie de développement durable découlant de la loi du même nom, laquelle stratégie précise pourtant : «Il importe de stimuler ce développement [des ressources] tout en préservant l'intégrité des paysages et du potentiel agricole, en maintenant la biodiversité, en limitant les effets négatifs de l'exploitation des ressources, et l'étalement urbain et en protégeant les bassins versants. » (Projet de Stratégie gouvernementale de développement durable, Document de consultation p.31)
Dans une société de droit, nous nous donnons des règles que tous ses membres se doivent de respecter. Nul n'est au dessus des lois. Certes le gouvernement a le privilège de soustraire quiconque législativement à l'application de ses propres lois ou, comme en l'instance, par le biais d'un décret. Il y aura toutefois un prix politique que le gouvernement se devra de payer selon l'importance que la société attache au respect de ses lois.
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Michel Bélanger
Avocat et président de Nature Québec
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