Dès sa fondation, la Saint-Jean est la fête nationale de tous les Québécois

Les activités de la première Saint-Jean-Baptiste misaient d’abord sur des valeurs universelles de justice et de démocratie, et sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

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Pour rendre le monde meilleur

Tandis qu’Anglais, Écossais, Irlandais et Allemands du Bas-Canada s’organisent d’abord en sociétés nationales sur une base ethnique, les premières célébrations de la Saint-Jean-Baptiste sont, au contraire et dès le départ, ouvertes aux représentants de toutes les communautés, prémices à ce qui allait devenir la fête nationale des Québécois.
Ces sociétés nationales qui se forment spontanément au Bas-Canada à l’époque des patriotes sont à la base des clubs pour l’élite économique destinés à secourir les ressortissants de leurs communautés respectives. Les Anglais s’organisent les premiers.
Reprenant le nom de leur saint patron, ils créent la St-George’s Society of Montreal en décembre 1834, présidée tour à tour par George Moffat et John Molson fils. La charte de la société dit bien que ses membres doivent absolument être d’origine anglaise ou galloise.
Les Écossais s’unissent à leur tour, le 6 février suivant. Encore là, la St-Andrew’s Society est exclusivement réservée aux sujets britanniques d’origine écossaise, dont bon nombre de membres de l’élite économique, tels Peter McGill, président, Robert Armour, éditeur de The Gazette ou Adam Thom du Montreal Herald.
Les Allemands s’organisent le 31 mars suivant : « Une assemblée nombreuse et respectable réunit à l’hôtel Nelson des Allemands et des Hollandais au sein de la German Society of Montreal », sous la présidence de Louis Gugy.
Du côté des Irlandais, les choses sont plus compliquées, cette communauté constituant un enjeu de taille dans la joute politique que se livrent alors patriotes et tories. Fondée en 1834, la Hibernian Benevolent Society aurait compté jusqu’à une centaine de membres. Mais ses liens avec le Parti patriote seraient trop étroits au goût de certains. En réaction, des Irlandais conservateurs créent donc la St-Patrick’s Society of Montreal en mars 1835.
Les sociétés St-George, St-Andrew, St-Patrick et German prennent toutes appui sur leur particularisme ethnique pour se liguer contre le projet patriote, lançant à tous venants des appels « to all true Britons of all origins ». Leurs présidents siègent d’ailleurs tous d’office à l’exécutif de la Constitutional Association, un club politique particulièrement hostile aux patriotes. En 1837, les sociétés fourniront toutes des troupes et de l’argent pour combattre les patriotes.
La première Saint-Jean
Le premier banquet de la Saint-Jean-Baptiste est précédé, en mars 1834, par la fondation de la société « Aide-toi, le Ciel t’aidera », dont la devise était « Rendre le peuple meilleur ». Les initiateurs souhaitent se doter d’un « lieu de réflexion destiné aux réformistes désireux de discuter de l’état du pays ».
Trois mois plus tard, cette fondation débouche sur la tenue d’un premier banquet Saint-Jean-Baptiste, où une soixantaine d’invités célèbrent à Montréal aux jardins de John McDonnell dans « le but de cimenter l’union entre les Canadiens ».
Le maire de Montréal, Jacques Viger, préside le souper, assisté de John Turney, membre du conseil de ville. La moitié de l’assistance est littéralement composée d’anglophones, et la plupart des toasts sont portés au « Peuple des États-Unis », à « Nos amis d’Irlande et de Grande-Bretagne » et à « Nos frères du Haut-Canada et aux réformistes du Nouveau-Brunswick ». On décide enfin d’en faire une célébration annuelle partout au Bas-Canada.
Dès le départ, les activités de la Saint-Jean-Baptiste furent ouvertes à toutes les communautés nationales, en misant d’abord sur des valeurs universelles de justice, de démocratie et sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Les fondateurs de la Saint-Jean-Baptiste sont d’ailleurs fort désireux d’attirer dans leurs rangs des Britanniques susceptibles de joindre leur coalition « arc-en-ciel ». La communauté irlandaise est particulièrement courtisée.
Lors d’un souper de la Saint-Patrick chez Édouard Rodier, en mars 1836, Irlandais et Canadiens français fraternisent, portant successivement des toasts à la Banque du Peuple, à Daniel O’Connell, à Louis-Joseph Papineau, ainsi qu’aux réformistes anglais. La soirée se termine sur « To Pat and Jean Baptiste : mon pays avant tout ».
Les patriotes recrutent alors des Irlandais influents, tels Edmund B. O’Callaghan ou Daniel Tracey, soutiennent financièrement les journaux anglophones propatriotes et, bien sûr, convient les Irlandais aux banquets de la Saint-Jean-Baptiste.
Les premiers banquets de la Saint-Jean-Baptiste ne furent cependant pas exempts de tiraillements. Dès 1837, deux banquets rivaux se disputent les convives autour d’un motif tout bête : devrions-nous boire de l’alcool ?
Conformément aux résolutions patriotes de mai 1837, chacun doit en effet s’abstenir de consommer des produits importés, y compris des vins et spiritueux. On ne retrouve donc plus, sur les tables des banquets patriotiques, que des produits du terroir canadien et que de l’eau en guise de rafraîchissement.
À Montréal, 200 personnes célèbrent ainsi à l’hôtel Nelson la Saint-Jean de juin 1837. Un autre banquet réunit cependant d’autres convives beaucoup moins contraints par le boycottage. Le journal L’Ami du peuple, de l’ordre et des lois [antipatriotes] écrit, sarcastique, que « La Saint-Jean-Baptiste doit être en deux volumes, cette année, à Montréal. L’un se composera des ultra-patriotes, ou parti Papineau. L’autre de la portion plus calme des Canadiens. Ces derniers, qui craignent moins l’excitation, se permettront de boire du vin… »
Décidément, le passé est bien garant de l’avenir. Ces rivalités sont sans doute inévitables au sein d’une nation qui n’a pu accéder à l’indépendance : entre ceux pour qui la fête doit nous rapprocher du pays désiré et ceux n’y voyant qu’une démonstration de solidarité nationale. En attendant, il nous reste à célébrer dignement notre fête nationale et à tâcher de « rendre le peuple meilleur »…

Gilles Laporte -Historien et président du Mouvement national des Québécoises et Québécois

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professeur d’histoire au cégep du Vieux Montréal.

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