L'argent !, puis…

Devoir de Mémoire

Il vaut mieux assumer que de tenter de réécrire l'Histoire

Tribune libre

Dans la nuit du 30 au 31 octobre 1995, avait lieu le deuxième référendum de l'histoire visant à faire accéder le Québec à la souveraineté, à transformer cette province du Canada en un pays indépendant.

Le soir de ce grand jour, le "Oui" à ce référendum - donc, le camp des indépendantistes - a perdu, avec une marge de moins de 1% des suffrages exprimés. Il convient de mentionner que le taux de participation avait été de l'ordre de 94%...

Lorsque les résultats ont été suffisamment dévoilés, Monsieur Jacques Parizeau, à titre de Premier Ministre du Québec, est monté sur l'estrade, pour prononcer un discours historique digne d'intérêt.

Il a commencé ce discours avec le commentaire suivant : « C'est vrai, c'est vrai qu'on a été battus, au fond, par quoi ? Par l'argent, puis des votes ethniques, essentiellement. Alors, ça veut dire que, la prochaine fois, au lieu d'être 60 ou 61 % à voter « Oui », on sera 63 ou 64 % et ça suffira. »

Beaucoup de choses ont été dites et écrites, au sujet de ce préambule du discours que Monsieur Parizeau a prononcé le soir du référendum de 1995.

Dans les jours qui ont suivi son décès - Dieu ait son âme - , nous avons cependant remarqué qu'il y a aussi une tentative d'éditer, d'épurer, de censurer le discours en question de Jacques Parizeau, en occultant carrément son passage introductif susmentionné.

Ainsi, dans son édition en ligne du 2 juin 2015, sous le titre "le Discours de Jacques Parizeau", le journal Le Devoir a publié ce qu'il annonce comme étant le texte intégral du discours en question, dans lequel, cependant, nous ne trouvons nullement le préambule précité au sujet – entre autres – du vote ethnique.

re: http://www.ledevoir.com/politique/quebec/441654/referendum-de-1995-le-discours-de-jacques-parizeau

De surcroît, "Le Devoir" prend soin de mentionner ceci : "Voici le texte intégral du discours prononcé par le premier ministre Jacques Parizeau le 31 octobre 1995. Ce discours de démission a été publié dans notre édition du mercredi 1er novembre 1995."

Que devons nous comprendre de cette mise au point codée… ?

Que les propos controversés au sujet du vote ethnique ne faisaient pas partie du discours officiel de Monsieur Parizeau, et que donc, il faut les en dissocier ?

Pourtant, ces mots sont bien sortis de la bouche - et de l'esprit - de Monsieur Parizeau, volontairement, sur l'estrade, devant le micro branché - et devant la population entière du Québec et le monde entier, par médias interposé - , à un moment historique, où il s'exprimait officiellement à titre de Premier Ministre du Québec.

Par ailleurs, considérant que ce commentaire franc et spontané précède son discours autrement plus travaillé, il pourrait comporter une signification particulière, voire une valeur probante plus importante que le reste de son propos.

Dans son introduction du 2 juin 2015 à la publication du discours en question, Le Devoir tient aussi à souligner que le même texte "intégral" du discours concerné "a été initialement publié dans [leur] édition du mercredi 1er novembre 1995".

Autrement dit, la modération éditoriale, l'occultation complaisante des propos en cause, la censure bienveillante, le révisionnisme, ne datent pas seulement du 2 juin 2015, mais qu'ils ont été pratiqués instantanément, le lendemain même de l'événement.

Ainsi, cette approche du journal Le Devoir ne vise pas à protéger la mémoire de Jacques Parizeau dans l'émotion du moment seulement, à l'occasion et en raison du décès de celui-ci seulement, mais cette tentative de soustraire les propos en question de la mémoire collective du Québec aura commencé dès le premier jour.

Nous prenons note de cette admission supplémentaire. On n'en demandait pas tant…

Tout cela confère une connotation plutôt ironique à ce qui fut autrefois un certain slogan publicitaire de ce journal, en l'occurrence : "Faut le Devoir, pour le croire! "

Cependant, pour être juste, relevons quand même que Le Devoir rectifie un fait important, lorsqu'il indique dans sa mention introductive précédant la publication du texte prétendument "intégral" du discours en cause de Jacques Parizeau, qu'il s'agissait d'un discours de démission.

Cela est vrai, et permet de rectifier l'allégation que Monsieur Parizeau aurait été contraint de démissionner, subséquemment, à cause de ses propos au sujet du vote ethnique.

Or, à lecture du discours, nous voyons bien que celui-ci comporte déjà la démission de son auteur. Laquelle n'aura donc pas été suscitée par des pressions ultérieures résultant des propos controversés en question.

Par contre, cette précision pourrait amoindrir quelque peu lesdits propos, puisque ceux-ci ne constitueraient même plus, seulement, l'expression de la déception - au demeurant, compréhensible -, mais carrément de la rancœur, de la rancune. Une sorte de débordement inconsidéré de quelqu'un qui livre cavalièrement sa pensée, sans se soucier de son effet outrageux, car il n'a plus rien à perdre. Avec une attitude de "après moi, le déluge", en prime, ce qui n'est pas vraiment un cadeau pour ceux et celles qui voudraient continuer son œuvre. Comme testament politique, on pourrait faire mieux, pour le bien des légataires…

Mais tout cela étant dit, ce que nous dénonçons et critiquons, ici, ce n'est pas tant le commentaire de feu Monsieur Parizeau au sujet – entre autres – du vote ethnique, que la tentative de certains de vouloir effacer la réalité de ses propos, de les glisser sous le tapis.

Au-delà d'une certaine arrogance du journal concerné, lequel se considère comme une filière spéciale des Archives Nationales, alors que, depuis un bon bout de temps maintenant, il n'est plus qu'un quotidien banal, le procédé est déplorable, pour au moins deux raisons : a) de manière générale, il est illusoire d'établir le bilan final d'une personne en essayant de dissimuler son passif; b) en l'occurrence, il n'est pas établi que les propos en question de Monsieur Parizeau sont à inscrire totalement dans son passif, et si l'on veut assumer sa défense post-mortem, il conviendrait plutôt de les expliquer adéquatement. Dont acte.

Pour ce qui est de l'allusion au vote ethnique, si l'on fait abstraction des éléments émotionnels ou subjectifs, ce qui a été dit, mathématiquement parlant, n'est pas en soi inexacte.

N'importe quel membre de n'importe quelle communauté ethnique sait bien, perçoit bien, que la majorité massive des Néo-Québécois sont opposés à l'indépendance du Québec.

Jusque là, rien à dire. Il est vrai que si cette réalité avait été différente, le "Oui" l'emporterait à un référendum visant à faire accéder le Québec à l'indépendance.

Mais là où, avec respect, Monsieur Parizeau s'est trompé, c'est que, au niveau du calcul et des proportions des votes, ce n'est pas cela, le problème fondamental des indépendantistes du Québec.

Ce qui est surtout et essentiellement anormal, c'est que le "Oui" des francophones de souches n'aura pas réussi à dépasser, dans la meilleure des hypothèses - ou dans les meilleures "conditions gagnantes" - , une proportion peu reluisante. Plus que cela, les opposants les plus acharnés, puissants et efficaces à la souveraineté du Québec sont manifestement des francophones de souche. Pourtant, ceux-ci aurons été étrangement ménagés, dans le discours en question de Monsieur Parizeau… Son courroux était donc juste, mais mal dirigé.

Cependant, complétons ici ce sujet.

Pourquoi parle-t-on seulement de la référence au "vote ethnique", dans les propos en question de Monsieur Parizeau.

Pourtant, il a non seulement dit aussi "l'argent", mais il a même dit "l'argent" avant de dire "le vote ethnique". Dans un ordre d'importance clairement indiqué entre les deux, même.

"… on a été battus, au fond, par quoi ? Par l'argent, puis des votes ethniques"

La cible première et primordiale de ce commentaire, c'était donc bien l'argent.

Et à quoi faisait-il allusion, Monsieur Parizeau, à ce propos ?

Le fait que, vingt ans plus tard, on doive soudain réfléchir à cet élément d'un commentaire qu'on a rapidement classé et classifié, pendant tout ce temps, sous la rubrique du racisme et de la xénophobie, démontre bien que Monsieur Parizeau a été traité injustement, dans ce sujet spécifique.

En invoquant l'argent comme la cause première de la défaite référendaire des Québécois souverainistes, notamment en 1995, Monsieur Parizeau faisait référence aux énormes montants d'argent qui avait été dépensés par le gouvernement fédéral, pour faire obstacle au "Oui".

Or, si la légalité même de ces dépenses mirobolantes étaient, à tout le moins, fort discutable, celle-ci constituaient certainement, dans le sujet concerné, un manquement éhonté au fair-play élémentaire, un détournement politique radical des normes démocratiques, une violation brutale et grossière des "règles du jeu" que l'on déclarait pourtant valables et admises.

C'était ainsi la démonstration d'une duplicité, d'une fourberie et d'une hypocrisie systémiques, de la part de ceux et celles qui déclaraient en toute occasion qu'ils respectaient la volonté des Québécois, et qu'ils permettraient à cette volonté de s'exprimer librement, sans entorse, sans tricherie, sans magouilles, sans coups bas, etc.

Et cet argent, tout cet argent dénoncé à juste titre par Jacques Parizeau comme ayant altéré, vicié les résultats du référendum de 1995, il a servi à quoi, aussi ? Non, nous ne parlons même pas ici du scandale des commandites.

Tout cet argent a largement servi, aussi, à manipuler… le vote ethnique. Le grand rassemblement "patriotique" canadien, pan-canadien même, organisé quelques jours avant le scrutin, était destiné principalement à qui ? Ce drapeau canadien géant était censé émouvoir qui, en premier lieu ? Qu'il suffise donc de faire remarquer que cette manifestation aura été tenue à Montréal, et pas à Québec, ni dans une autre ville ou région du Québec.

Et il ne s'agit pas seulement de cela. Le procédé ne se limite pas à la campagne référendaire. Toute la politique fédéraliste au Québec – tous paliers étatiques confondus - , depuis plusieurs décades, vise à entretenir et à conserver l'attachement et la gratitude des "nouveaux arrivants" envers le drapeau devant lequel ils ont prêté leur serment de citoyenneté.

Or, cette politique comporte un budget, et un budget considérable, à long terme. Et l'argent est utilisé, à cet égard, à manipuler l'émotivité, la vulnérabilité, voire les complexes de certains immigrants. Ajoutons à cela les subventions ciblées, les divers événements politiques stratégiquement organisés, sans parler encore de pratiques douteuses - que l'on retrouve, hélas, dans toutes les élections de tous les pays du monde -, et la boucle est bouclée.

Et voilà l'injustice ultime.

Alors que l'on reprocherait à Monsieur Parizeau d'avoir stigmatisé les nouveaux Québécois par son commentaire malheureux et inexact sur le vote ethnique, ce qu'il aura fait, d'un certain point de vue, c'est de dénoncer, dans le même souffle, la manipulation et le détournement dudit vote par certains dirigeants politique fédéralistes indignes, sans morale et sans scrupule, par la force de l'argent. Conjuguée à leurs faux discours systématiques, bien entendu, à leurs propos mielleux et hypocrites, destinés au même électorat.

Or, ce sont les fédéralistes de ce genre qui passent pour des "défenseurs" traditionnels des minorités ethniques, alors que c'est Monsieur Jacques Parizeau qui serait dépeint - notamment, par ceux-là même - comme un xénophobe.

Alors que, quand on y pense, ses propos en question, ne serait-ce que par leur franchise, expriment plus de respect envers les Néo-Québécois et les nouveaux Canadiens, que ne le font certains politiciens fédéralistes qui, depuis plusieurs décades, les roulent dans la farine.

Car la condescendance de bon aloi, la langue de bois systématique, les discours politiquement corrects et la bien-pensance crasse ne risquent pas d'offenser grand monde… Même si, dans la réalité et dans les faits, ceux et celles qui les pratiquent sont les moins enclins à favoriser la véritable inclusion, à céder ne serait-ce qu'un pouce de leurs avantages, privilèges et prérogatives, découlant de l'antériorité migratoire dans ces contrées, avec les "nouveaux arrivants"…

Cette interpellation de feu Monsieur Jaques Parizeau, tout en étant inappropriée et erronée sur le fond, devrait donc donner quand même matière à réfléchir aux électeurs ethniques.

Évoquant les qualités de professeur émérite que fut Monsieur Parizeau, et eu égard à son départ récent de ce monde, disons que c'était comme un appel, certes sévère, voire quelque peu exagéré, mais néanmoins constructif et bien intentionné, lancé aux électeurs Néo-Québécois.

Car ses mots en cause seraient fondés alors sur une appréciation de l'intelligence réelle et des pleines aptitudes de ce groupe d'électeurs.

Comme quoi, dès lors, étant clairement et dûment avisés, il leur revenait de veiller à ne plus être les pions de quiconque…

Haytoug L. Chamlian

Laval, 12 Juin 2015


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3 commentaires

  • marie-france legault Répondre

    23 juin 2015

    Je suis sceptique vis-à-vis des analyses subjectives du dernier référendum 1995 surtout quand c'est fait par des immigrants qui n'ont aucune racine québécoise.
    Décortiquer les votes selon la langue: francophone, anglophone, me prouve hors de tout doute la subjectivité des analyses. Et après on viendra nous dire que nous sommes tous québécois à part égale.

  • Marcel Haché Répondre

    14 juin 2015

    Je partage votre interprétation M. Chamlian.
    Jacques Parizeau n’a jamais fait appel au vote ethnique des canadiens-français. Mais il a été témoin des appels sournois des fédéralistes à cet égard, du temps qu’il était lui-même fédéraliste. Il avait eu l’occasion de voir ces votes unanimistes des canadiens-français sur la scène fédérale. Il en connaissait le meilleur mais aussi le pire.
    Jacques Parizeau n’a pas fait appel au vote ethnique des québécois, de Nous… lors du référendum de 1995. C’est cela la vérité. C’était son droit et son devoir de dénoncer les manœuvres des mêmes fédéraux bâtards, manipulant cette fois « des » votes ethniques contre Nous, dans sa tentative par ailleurs très noble de déprendre un peuple de la camisole de force dans lequel il était empêtré, dans lequel il est encore empêtré depuis 1982.
    À ce que je sache, Jacques Parizeau a dénoncé les votes ethniques, la technique de campagne « des » votes ethniques, sans jamais-jamais, au grand jamais, s’être réclamé lui-même de la seule ethnie canadienne-française ou québécoise.
    Ce sont des tdc méprisants comme P.E.T. qui ont toujours associé les indépendantistes à l’ « ethnie » et aux « frères de sang ».
    Il faut répondre : aussi bien aux bâtards de la rectitude politique qu’à ceux qui ne demandent pas mieux que de se vendre. À cet égard, fait longtemps que Le Devoir ne fait plus ce qu’il doit faire.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 juin 2015

    M. Chamlian
    En effet, c'est bizarre que «Le Devoir» qualifie de «texte intégral», un texte qui n'est pas intégral. Dans une thèse de maîtrise ou de doctorat, un étudiant qui fait cela serait recalé.
    Vous écrivez: «il n’est pas établi que les propos en question de Monsieur Parizeau sont à inscrire totalement dans son passif, et si l’on veut assumer sa défense post-mortem, il conviendrait plutôt de les expliquer adéquatement».
    C'est ce que j'ai tenté de faire dans mon article «Jacques Parizeau et les non-francophones du Québec.» (Tribune libre, Vigile, 6 juin 2015) Dites-moi si j'ai réussi.
    Ce que vous décrivez très bien, c'est l'instrumentation des Néo-Québécois par les fédéralistes à des fins politiques. C'était déjà dans le rapport Durham au 19è siècle. Ils le font avec beaucoup d'habilité. Un exemple: de son propre aveu, il a fallu 5 ans à Maka Kotto pour déconstruire les mises en scène «canadian» et comprendre la situation réelle du Québec français au sein du Canada.
    Il ne fait aucun doute dans mon esprit que ce sont des ténors du camp du NON qui ont demandé aux leaders grecs, italiens et juifs de faire une conférence de presse conjointe avant le 30 octobre pour faire un lien entre leur ethnie grecque, italienne et juive et le Canada tel qu'il est et tel qu'il ne doit pas changer.
    C'est le camp du NON qui a inventé les votes ethniques. Parizeau, lui, n'a fait que les dénoncer en parlant "des votes ethniques". Alors, qu'on ait blâmé Jacques Parizeau de l'avoir fait ne fait que montrer la force de la propagande des médias fédéralistes. Ces médias qui veulent avoir le monopole du contrôle de l'opinion et qui se sentent menacés par les médias de Québecor.
    Les causes de la défaite «essentiellement, c'est l'argent et des votes ethniques». Vous faites bien d'insister sur l'argent. Mais ce qui était discutable, c'était d'identifier "des votes ethniques" comme cause de la défaite. Au référendum du 30 octobre 1995, il y a eu 2,308,360 votes pour le OUI (49.42%) et 2,362,648 votes pour le NON (50.58%) soit une différence de 54,288 votes en faveur du NON avec un taux de participation exceptionnel de 93.25%.
    En lisant Pierre Drouilly dans son analyse des résultats du référendum, on voit que 60% des francophones ont voté OUI. Donc que 40% des francophones ont voté NON et qu'ils sont autant responsables de la défaite que les anglophones et les Néo-Québécois qui ont voté NON. Ce qui a semé la controverse, c'est que Jacques Parizeau a dit que les 60% de francophones se sont fait voler la victoire par les non-francophones et que la prochaine fois il faudrait que 64% des francophones votent OUI pour que le OUI gagne. Que serait-il arrivé s'il avait blâmé les francophones de la grande région de Québec de n'avoir voté OUI qu'à 56% alors qu'au Saguenay-Lac St-Jean, ils ont voté OUI à 70 %? Pourtant, que Québec devienne la capitale d'un pays n'aurait-il pas dû les séduire!
    Merci de votre contribution au débat. Comme le sujet vous intéresse, je vous invite à lire l'analyse magistrale d'un des maîtres de la sociologie électorale: Pierre Drouilly.
    Le référendum du 30 octobre 1995 : une analyse des résultats
    www.pum.umontreal.ca/apqc/95_96/drouilly/drouilly.htm‎
    Robert Barberis-Gervais, 12 juin 2015