Comme Noam Chomsky a soutenu Occupy Wall Street dès l’origine du mouvement en 2011, l’oeuvre du socialiste libertaire américain de 85 ans apparaît encore de la plus grande actualité. Il était naturel qu’Écosociété publie enfin en français Le bien commun, présenté avec raison comme « un véritable condensé de la pensée politique » de celui qu’en 1973 les cercles « éclairés » des États-Unis avaient étonnamment excommunié.
Cette année-là, le New York Review of Books, l’un des plus prestigieux organes de la gauche, refusa de publier un article où Chomsky dénonçait comme une mystification l’annonce par la Maison-Blanche d’un traité de paix avec le Vietnam du Nord. Même si son jugement se révéla fondé, l’opposition élégante et modérée à l’ordre établi commençait discrètement à l’ostraciser à cause de sa pensée qu’elle trouvait trop radicale, trop caustique.
Le rejet se confirma en 1982 lorsque The Nation, l’hebdomadaire phare de la critique du capitalisme états-unien, décida de ne pas publier un texte dans lequel il mettait en doute l’imminence d’un règlement du conflit israélo-arabe. Les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et de Chatila corroborèrent son analyse indépendante et isolée.
Ces faits que Chomsky relate dans le livre, formé de ses entretiens avec le journaliste David Barsamian, montrent que la genèse des idées progressistes constitue, aux États-Unis, une histoire souterraine, étrangère aux engouements dictés par une mode oublieuse du passé, même récent. Le penseur d’origine juive rappelle que, vers 1950, lorsqu’il fut rattaché à Harvard, un antisémitisme subtil régnait encore et qu’à cause de cela il ne pouvait acquérir facilement une maison en banlieue de Boston.
Contre les leurres
Chomsky a toujours été à l’affût des tromperies stratégiques ou idéologiques. Au risque d’ébranler la bonne conscience de l’avant-garde, il maintient sa conviction antiautoritaire : « Le léninisme n’a rien à voir avec les valeurs de la gauche : en fait, il s’y oppose. » D’autre part, il ne cesse de railler Milton Friedman qui associe le capitalisme à la liberté.
On lui doit ce bijou de satire et de réfutation : « Friedman est assez intelligent pour savoir que rien de semblable au capitalisme théorique n’a jamais existé et que, s’il voyait le jour, un tel régime ne durerait pas plus de trois secondes — surtout parce que les milieux d’affaires ne le toléreraient pas. Pour se protéger du jeu du marché, les entreprises ont besoin du gouvernement. » La population devrait donc miser sur le caractère politique de l’économie pour donner à celle-ci une dimension sociale.
Les entreprises cotées en Bourse sont perméables à la démocratie, car, rappelle Chomsky, ce sont les tribunaux plutôt que le législateur qui leur ont conféré « la plupart de leurs droits ». Les utopistes peuvent raisonnablement croire que la masse des petits actionnaires peut contribuer à changer le monde.
La revue À bâbord consacre un dossier à l’intellectuel, Noam Chomsky scientifique et militant, dans son numéro de décembre 2013.
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