Duceppe souffle le chaud et le froid

Le Bloc Québécois a 20 ans!

Le périple du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a suscité des commentaires extrémistes sur les sites Internet des médias anglophones.
La Presse Canadienne

Raymond Giroux - (Ottawa) Vingt ans après l'échec de l'entente du lac Meech, 20 ans après la fondation du Bloc québécois dans sa foulée directe, quelques semaines après l'aveu du père fondateur Lucien Bouchard qu'il ne verrait pas la souveraineté de son vivant, Gilles Duceppe se cherche.
Il cherche non pas une cause, car il demeure souverainiste, n'en doutez pas, mais plutôt une manière de «débloquer» son option face à une opinion publique de tendance amorphe, pour demeurer poli.
Certains pourfendent M. Duceppe sur une base permanente, jugeant que sa présence et celle de son parti au Parlement fédéral nuisent aux intérêts des Québécois.
Car à force de s'exclure du pouvoir central et du Conseil des ministres depuis 1993, le Québec replié sur lui-même aurait perdu toute capacité d'agir sur le système.
Le rapport de force, selon l'opinion la plus répandue au Canada anglais, n'existerait tout simplement plus, l'intérêt pour négocier un changement constitutionnel quelconque avec le Québec a fondu comme neige au soleil.
La tournée de M. Duceppe, dans un sens, donnera raison à son argumentaire souverainiste. Il reviendra de l'Ouest, la semaine prochaine, en clamant haut et fort que s'il a trouvé des interlocuteurs curieux, gentils et ouverts à la discussion, le fédéralisme canadien demeure verrouillé.
À moins évidemment qu'il se retrouve face à face avec des rednecks patentés l'invitant à faire ses valises et à retourner en France avec tout son peuple, même si sa famille maternelle vient de Grande-Bretagne, auquel cas il aura la vie facile.
Il pourra alors entendre de ses deux oreilles les commentaires extrémistes présents sur les sites Internet des médias anglophones. Les 99 réactions consécutives au reportage sur sa première journée hors Québec, plus tôt cette semaine, relevaient plus du commentaire haineux que de la prise de position intelligente.
Pourquoi des médias laissent passer de tels propos anonymes? Fouillez-moi, surtout qu'ils représentent une frange minime de l'opinion qui n'a visiblement rien à faire de ses journées.
Un sondage de Léger Marketing pour le compte de l'Association des études canadiennes révèle que 15 % des Anglo-Canadiens appuient l'indépendance du Québec.
Selon le commanditaire, ce soutien provient en bonne partie des mêmes catégories de sondés qui rejettent par exemple le bilinguisme officiel.
Pour résumer, ce ne sont pas des amis des francophones, M. Duceppe ne doit pas se faire d'illusions.
Mais le chef du Bloc ne fera pas exprès pour provoquer une confrontation. Il a jusqu'ici bien choisi son public, et profite plus d'une discussion intelligente que d'affrontements hargneux.
Considéré comme un empêcheur de tourner en rond au Canada anglais, M. Duceppe utilise sa tournée pancanadienne pour arrondir les angles.
Jusqu'ici, tout roule. Les étudiants ont manifesté leur curiosité, sauf à Toronto, et personne n'a encore crié au scandale hormis les suspects habituels.
Lui-même se montre beau joueur. Le dossier des frontières du Labrador? Réglé. L'indépendance éventuelle de Terre-Neuve? Pas de problème, la province a déjà été une «nation» - il faudrait plutôt dire colonie sous tutelle.
La crise sur l'achat d'Énergie NB? Une question de communication, et aussi de sensibilité.
Deux semaines ne suffisent pas pour casser l'image isolationniste du Bloc québécois, dont la dernière intervention mémorable dans le paysage politique canadien, à mon avis, demeure encore son opposition à la guerre contre l'Irak.
Sa position ferme avait aidé à convaincre Jean Chrétien de refuser l'invitation de Tony Blair et de George W. Bush. J'ai entendu des thank you remarquables, à l'époque.
Comme il le dit à ses interlocuteurs, M. Duceppe veut prendre le pouls de l'opinion, j'ajouterais sans le filtre des médias. Pour lui, le traditionnel «What does Quebec want?» a fait son temps.
Vu de la capitale fédérale, je peux vous le confirmer, jamais personne ne me pose la question. Depuis le référendum de 1995 et l'échec des souverainistes par la peau des dents, le sujet est clos.
Alors, à Gilles Duceppe qui se demande ce que le Canada a à offrir au Québec, je réponds tout de suite : rien.
Je résume l'avis général du Canada anglais : si le Québec veut plus que sa reconnaissance comme «nation» au sein du Canada, qu'il s'arrange avec ses problèmes. Et si la réponse déplaît au Canada, la Loi sur la clarté référendaire de Stéphane Dion prendra soin de tout.
Cela, c'est la version courante, qui oublie opportunément que la Cour suprême oblige les deux parties à négocier, au bout de l'exercice.
M. Duceppe ne reviendra pas de son périple avec une reconnaissance de la souveraineté du Québec dans sa poche arrière.
Il ne rentrera pas à la maison fort d'une offre de renouveau constitutionnel satisfaisante pour la majorité : il n'en veut pas, même s'il reconnaît que son option rassemble toujours une minorité de l'électorat.
Cheval gagnant?
Le monde politique a le don de réserver des surprises. La firme Angus Reid a réussi un coup d'éclat, jeudi, dont M. Duceppe pourra profiter à loisir.
Un sondage de 1006 Canadiens montre en effet que 45 % de la population s'oppose à une augmentation du nombre de députés aux Communes, contre 17 % qui approuvent le projet conservateur, avec une marge d'erreur de 3,1 % .
Perdants à cette réforme, les Québécois représentent évidemment le noyau dur des opposants, mais ajouter 30 députés aux 308 actuels se révèle peu rassembleur.
Même en Alberta, en Colombie-Britannique et en Ontario, les trois provinces qui profiteraient de cette réforme, plus d'électeurs soutiennent que cette hausse sera mauvaise pour le pays qu'il y en a pour y voir un côté positif.
Ces 30 députés supplémentaires devront leur existence au plancher constitutionnel de 75 députés pour le Québec.
Si rien ne change, il faudra régulièrement agrandir le parlement jusqu'à la fin des temps, ce qui serait excellent pour l'industrie de la rénovation, mais ridicule sur le plan politique.
Je suggère à M. Duceppe de ramener plutôt l'offre constitutionnelle de 1992 (rejetée par référendum, je le sais, et j'avoue avoir voté contre) et troquer ces 75 élus contre une représentation fixe de 25 % de députés pour le Québec.
Le Bloc aurait des alliés dans cette cause, comme le démontre le sondage. La majorité désire plafonner le nombre total d'élus, les Québécois recherchent la sécurité à long terme.
D'accord, le parti soutient officiellement que «ce qu'il nous faut, c'est 100 % du poids politique», lit-on dans sa documentation. Mais aussi, il «se bat pour qu'au moins 25 % des sièges [...] proviennent du Québec».
Oui, il y a contradiction apparente. On veut ou bien 25 %, ou bien 100 % . Mais même s'il s'opposait à l'accord de Charlottetown, le parti de Gilles Duceppe reconnaît aujourd'hui «les bonnes intentions de l'époque». C'est un début.


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