Pendant que Jean Charest s’adressait à des centaines d’hommes d’affaires au Palais des congrès, une protestation étudiante a complètement dégénéré hier dans les rues de Montréal.
Le dossier du Devoir sur le Plan Nord
Alexandre Shields - Alors qu'il discourait devant un parterre de gens d'affaires acquis à son Plan Nord réunis au Palais des congrès de Montréal, le premier ministre Jean Charest n'a pas manqué l'occasion hier de railler les étudiants qui luttaient au même moment contre des policiers de l'escouade antiémeute à quelques mètres de là. Les propos du chef libéral ont d'ailleurs soulevé un tollé, alors que son gouvernement est empêtré dans un conflit qui l'oppose toujours à une bonne partie de la jeunesse québécoise sur la question des droits de scolarité.
Jean Charest devait simplement s'adresser à un parterre de plus 1000 personnes issues du milieu des affaires pour vanter encore une fois son «chantier d'une génération» articulé autour de l'exploitation minière. Le premier ministre avait été invité par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, qui souhaitait faire de son Salon Plan Nord un important rendez-vous d'acteurs du secteur privé attirés par les retombées économiques escomptées au nord du 49e parallèle.
Mais le conflit étudiant est venu voler la vedette quelques minutes avant l'allocution de M. Charest. Au moins une cinquantaine de manifestants se sont alors introduits dans le Palais des congrès, attendus de pied ferme par autant de policiers antiémeute. Les heurts qui ont suivi ont retardé le déroulement des activités pendant une heure, en plus de semer une certaine commotion parmi les participants et les organisateurs du Salon Plan Nord.
Le premier ministre n'a d'ailleurs pas manqué de marquer le coup en raillant les étudiants repoussés à coups de matraque et de bombes assourdissantes à quelques mètres de là. «Le Salon Plan Nord, que nous allons ouvrir aujourd'hui est déjà très populaire; les gens courent de partout pour entrer», a-t-il laissé tomber au milieu de son discours, esquissant alors un large sourire. Des propos qui ont déclenché des éclats de rire dans la salle, y compris chez certains des journalistes présents pour couvrir l'événement.
«À ceux qui frappaient à notre porte ce matin, on pourrait leur offrir un emploi, et dans le Nord autant que possible, ce qui va tous nous permettre de continuer à travailler fort», a poursuivi Jean Charest au cours d'une allocution où il a aussi invité les convives à faire du Plan Nord un «héritage pour nos enfants».
Les propos du premier ministre ont été rapidement dénoncés par les regroupements étudiants et les partis de l'opposition. La Fédération étudiante universitaire du Québec s'est dite «sidérée par l'arrogance» du premier ministre. «En dénigrant la plus vaste et importante mobilisation étudiante de l'histoire du Québec, Jean Charest, qui est aussi ministre de la Jeunesse, a dévoilé tout le mépris que ce gouvernement a envers la jeunesse québécoise. Avons-nous affaire à un clown ou à un premier ministre à l'écoute de la jeunesse? C'est indigne d'un chef d'État et il doit s'excuser pour ses propos», a fait valoir sa présidente, Martine Desjardins.
«Alors que le gouvernement Charest démontre quotidiennement son incapacité à régler le conflit qui l'oppose aux étudiants sur la question des droits de scolarité, le premier ministre, à l'occasion du Salon Plan Nord, a jugé bon de s'improviser humoriste et de railler les étudiants qui manifestent et qui font face à une répression policière de plus en plus brutale. Il doit cesser de s'amuser aux dépens des étudiants, reprendre ses esprits et régler le dossier», a-t-elle ajouté.
La chef du Parti québécois, Pauline Marois, a elle aussi décrié les propos du premier ministre. «Je crois qu'il a envenimé le conflit. Il a jeté de l'huile sur le feu et c'est complètement irresponsable. Il avait commencé cette semaine, vous remarquerez à l'Assemblée nationale, à faire des blagues de très mauvais goût. Mais aujourd'hui, ses blagues ne sont pas seulement de mauvais goût, elles sont provocatrices à l'endroit des étudiants.»
À Victoriaville, où s'ouvrait le congrès de fondation de la Coalition avenir Québec, son chef, François Legault, a fait une sortie virulente contre Jean Charest. «Vous en connaissez beaucoup de chefs d'État qui font des blagues alors qu'il y a une émeute à l'extérieur?» a lancé le chef caquiste dans un point de presse. «C'est triste à dire, mais je pense qu'aujourd'hui [hier], le Québec n'avait pas de premier ministre.» François Legault estime «totalement inacceptable» que Jean Charest ait ainsi fait «preuve d'arrogance».
Réagissant au tollé soulevé par ses propos, le bureau du premier ministre a publié un communiqué en début de soirée hier. «Le gouvernement prend la question de l'intimidation et de la violence très au sérieux. D'autant plus que la manifestation d'aujourd'hui a sans aucun doute été l'une des plus dures depuis le début du conflit», y a d'abord souligné M. Charest.
«Les propos que j'ai tenus lors de mon discours ont été cités hors contexte et interprétés par certains comme si je prenais la situation à la légère. Ce n'est pas le cas. Les gens dans la salle l'ont très bien compris. D'ailleurs, plusieurs d'entre eux ont été brusqués à leur arrivée», a-t-il ajouté.
Hausse «raisonnable»
Au cours d'un point de presse suivant son discours au Palais des congrès, le chef libéral a aussi répété que la «violence» était «inacceptable pour la société québécoise». «Ce n'est pas le reflet de nos valeurs au Québec. On ne peut pas accepter de vivre dans une société où on cherche à faire avancer ses intérêts avec l'intimidation, avec la violence, la haine. Comme premier ministre du Québec, je n'accepterai pas ça. Les Québécois ne l'accepteront pas non plus.»
Sur la question de la hausse des droits de scolarité, son gouvernement demeure toujours aussi intraitable. «On a une position qui est très, très, très raisonnable», a-t-il insisté. Mais est-ce que Québec pourrait consentir à un moratoire, le temps de négocier une solution avec les étudiants? «L'avenir du Québec n'est pas dans les moratoires et les gels», a fait valoir Jean Charest. Il a aussi réaffirmé que la grève étudiante serait en fait un «boycott». «L'État québécois n'est pas l'employeur des étudiants et les étudiants ne sont pas nos employés.»
Chose certaine, les manifestations d'hier ont volé la vedette au grand happening organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) pour les gens d'affaires intéressés par le Plan Nord. Tous les accès au Palais des congrès — protégé par une imposante présence policière — ont été bloqués par les forces de l'ordre pendant une partie de l'après-midi. Même les participants au Salon ne pouvaient ni entrer ni sortir du vaste immeuble. Plusieurs d'entre eux ont semblé passablement ébranlés par l'ampleur des événements. Règle générale, les personnes avec qui Le Devoir a discuté ont condamné les actions des étudiants.
Par ailleurs, la CCMM a diffusé un communiqué pour signaler que les activités de son Salon Plan Nord étaient «maintenues», et ce, malgré les «perturbations». Il doit être ouvert au grand public aujourd'hui toute la journée.
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Avec la collaboration de Robert Dutrisac et Mélissa Guillemette
Émeute à l'extérieur, sarcasme à l'intérieur
Le PQ, la CAQ et les fédérations étudiantes dénoncent les blagues de Charest au Salon Plan Nord
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