«Intensité des émissions». Auriez-vous, par hasard, entendu cette expression récemment? Si vous vous préoccupez des changements climatiques, la réponse doit certainement être oui. Alors attention! Il y a une grande probabilité que quelqu'un essaie de vous duper.
En mars 2001, George W. Bush s'est retiré avec fracas du protocole de Kyoto. L'année suivante, il a annoncé «l'objectif ambitieux» de réduire l'«intensité des émissions» de gaz à effet de serre (GES) des États-Unis de 17,5 pour cent entre 2002 et 2012.
Impressionnant, non? Eh bien... non. Entre 1990 et 2000, les émissions américaines avaient augmenté de 14 pour cent. Mais l'économie s'était gonflée beaucoup plus rapidement. Résultat: la quantité d'émissions pour chaque dollar de produit intérieur brut (PIB) - l'intensité des émissions - avait baissé de 17,4 pour cent.
C'est normal: l'intensité des émissions diminue d'année en année avec le remplacement des anciens équipements par des équipement neufs, plus efficaces. Aucune intervention gouvernementale n'est nécessaire.
L'objectif de M. Bush ne voulait donc rien dire. Il proposait simplement de laisser continuer, au cours de la décennie suivante, une tendance établie au cours de la décennie précédente. Les émissions, elles, allaient continuer d'augmenter exactement comme avant.
En mai 2002 le gouvernement albertain a dévoilé son plan sur les changements climatiques. L'objectif principal du plan: réduire l'intensité des émissions provinciales de 50 pour cent entre 1990 et 2020. Dans les journaux, on lisait qu'on allait reporter l'échéance de Kyoto de dix ans, mais qu'on allait faire beaucoup plus que Kyoto.
Il y avait un petit problème. Si le PIB de l'Alberta continuait de croître au même rythme qu'au cours des années 1990, la province allait diminuer l'intensité de ses émissions de 50 pour cent tout en voyant ces mêmes émissions augmenter entre 66 et 83 pour cent! Lorsque l'économie croît plus vite que l'intensité des émissions ne diminue, les émissions augmentent.
Industrie pétrolière
Et voilà, c'est au tour du ministre fédéral de l'Environnement, John Baird, de vouloir établir des objectifs en termes d'intensité des émissions. M. Baird insistait récemment sur le fait qu'il allait poursuivre cette approche dans sa réglementation des GES provenant de l'industrie pétrolière et des autres industries lourdes.
En théorie, on peut réduire les émissions de manière absolue en adoptant des objectifs suffisamment importants de réduction d'intensité. Mais pour les politiciens, la tentation est très forte d'utiliser les objectifs d'intensité pour masquer une action insuffisante. Stephen Harper a reconnu qu'à court terme, il ne cherche qu'à ralentir la croissance des émissions canadiennes.
Eh bien, ça ne passe pas chez les scientifiques. Pour Gordon McBean, président de la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l'atmosphère, «il faut reconnaître la réalité que le système climatique compte les molécules» (et non pas le nombre de molécules par dollar de PIB). Pour James Bruce, un des plus éminents climatologues canadiens, une réduction de l'intensité des émissions «ne veut rien dire».
Ces scientifiques ont raison d'être impatients parce qu'ils savent que pour mettre fin à l'accumulation des GES dans l'atmosphère, il faut réduire les émissions de manière radicale. Pour éviter les changements climatiques les plus dangereux, les pays industrialisés doivent réduire les émissions (et non pas leur intensité) de plus de 80 pour cent d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990, et de 30 pour cent d'ici 2020.
Rater la cible
Cibler l'intensité des émissions, c'est rater la cible. Vous mettant au régime, vous contenteriez-vous de ne prendre qu'une livre par mois plutôt que les deux livres que vous preniez auparavant? Seriez-vous rassuré de voir les tempêtes et les inondations se multiplier, pourvu que le PIB croisse encore plus rapidement?
Les objectifs d'intensité comportent d'autres problèmes. Ils font obstacle à la transparence, puisque pour calculer l'intensité des émissions d'une compagnie, il faut savoir son niveau de production. Mais la plupart des compagnies refusent de dévoiler leurs chiffres de production. Avec des objectifs d'intensité, on nuit aussi à l'efficacité économique en «subventionnant» les émissions reliées aux hausses de production par rapport aux émissions reliées aux hausses d'intensité.
Si les gouvernements croient qu'il faut laisser les émissions continuer d'augmenter, qu'ils le fassent honnêtement avec des objectifs compréhensibles pour tout le monde: en termes d'émissions. La prospérité économique dépend d'un environnement en santé. Mais l'environnement, lui, se fiche du PIB.
Matthew Bramley
L'auteur est directeur du Programme des changements climatiques à l'Institut Pembina.
«Intensité des émissions»
Environnement ou PIB?
Par Matthew Bramley
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