Le gouvernement Couillard profite d’un rapport de force avec Ottawa qu’il a bien failli abandonner il y a deux ans.
De quoi je parle ? De « l’autonomie fiscale ». Autrement dit, de la capacité du gouvernement du Québec de définir ses propres politiques fiscales.
Hier, le ministre des Finances Carlos Leitao annonçait un plan en 14 points pour l’« équité fiscale » : lutte à l’évitement et meilleur encadrement du commerce électronique.
À l’ère des fuites massives en provenance du Panama et du Paradis, le gouvernement doit se montrer actif sur ces fronts.
Tout comme il a senti le besoin, au nom de l’équité, de résister au « jolyisme » (doctrine ânonnée à Ottawa qui commande à nos gouvernements de se coucher devant les puissances commerciales numériques contemporaines comme Netflix).
QS marque des points
Sur ce front, Québec solidaire joue bien ses cartes depuis plus d’une semaine.
Avec ce qu’on pourrait appeler son projet de « loi Simons » – visant à encadrer le commerce en ligne présenté par Gabriel Nadeau-Dubois aux côtés de l’entrepreneur Peter Simons la semaine dernière –, le parti de gauche s’est montré constructif.
En plus, en réussissant à faire de Simons un allié dans sa cause, il a illustré le consensus sur la question et atténué son image de parti radical.
Le gouvernement Couillard, pour sa part, y a vu une occasion de montrer qu’il pouvait défendre les intérêts du Québec.
Qu’il ait fait encore preuve de volontarisme hier avec son plan en 14 points n’est pas étonnant.
Pour forcer le jeu, Québec est même prêt à percevoir la TPS sur les services numériques, comme le lui impose la loi, même si Ottawa recevrait des sommes qu’il n’a pas sollicitées !
Tentation « unitariste »
Cette fermeté tranche avec les thèses unitaristes (favorables à un État unitaire canadien) soutenues par le même gouvernement Couillard, au début de son mandat, en 2014 et en 2015.
À l’époque, il ne manquait pas une occasion pour envoyer le signal que le Québec devait se faire hara-kiri sur le plan fiscal en abandonnant au fédéral en tout ou en partie la perception des taxes et impôts.
En août 2015, après le dépôt du deuxième rapport Robillard sur la révision des programmes, le président du Conseil du trésor de l’époque, Martin Coiteux, n’avait pas caché ses tentations.
Dans le passé, nombre de libéraux, péquistes, adéquistes, caquistes ont réclamé que les Québécois ne remplissent qu’une seule déclaration d’impôt, celle du Québec.
Le gouvernement Couillard, lui, songeait au contraire à presque tout confier à Ottawa !
« Il ne faut pas être dogmatique. Ça ne veut pas dire que tous les impôts doivent être perçus d’une seule et unique façon. Ça ne veut pas dire qu’on a toujours, dans chacun des cas, le meilleur percepteur », déclarait Martin Coiteux.
Ce dernier insistait : abandonner la perception, ce n’était pas nécessairement perdre toute notre « autonomie fiscale ».
Or, hier, j’ai posé la question à Carlos Leitao : et si la recommandation Robillard avait été appliquée, « qu’est-ce qui en serait aujourd’hui de la possibilité pour le Québec de faire des choix » comme ceux qu’il propose ?
Sa réponse fut limpide : « On ne serait pas ici en train de discuter de ces enjeux-là. »
On a beau abhorrer taxes et impôts (comme mon ami Michel Hébert), le fait que Québec puisse les percevoir – entre autres grâce à Duplessis en 1954 et Bourassa en 1992 – donne à notre gouvernement national québécois, dans cette fédération (j’insiste, ce n’est pas un pays unitaire), une latitude pour faire certains choix clés.
Heureusement que le gouvernement Couillard a finalement renoncé à la doctrine unitariste de Martin Coiteux et de Lucienne Robillard.
Le Québec y aurait perdu en autonomie. Et le gouvernement Couillard ne pourrait pas engager aujourd’hui avec Ottawa une belle bataille... qui lui permet de se redonner à peu de frais un vernis nationaliste.
La citation de la semaine
« Tout discours anti-immigration au Québec est un discours qui nuit à l’économie du Québec, qui nuit à la prospérité »
– Le premier ministre Philippe Couillard, de passage en Estrie hier