Gaza, Égypte

L'ouverture de la frontière, qu'elle soit provisoire ou qu'elle se prolonge, a pour effet d'aspirer -- peut-être contre son gré -- l'Égypte dans le jeu régional.

Gaza: l'horreur de l'agression israélienne

On avait oublié que la bande de Gaza a aussi une frontière égyptienne. Sans aucun doute, Israël est pour quelque chose dans les malheurs des Palestiniens. On peut difficilement accepter le raisonnement israélien voulant que les Palestiniens de Gaza seraient entièrement, totalement, intégralement responsables de leur malheur, de tout leur malheur, et que les représailles (blocus, assassinats ciblés, victimes collatérales) ne sont qu'un pur automatisme obligé devant l'agression des roquettes palestiniennes sur Sderot.

Il existe en Israël -- et notamment dans les pages du quotidien Haaretz -- de courageuses voix minoritaires qui contestent et démontent le caractère fallacieux de tels raisonnements.
Mais, concrètement, il n'y a pas qu'Israël à la frontière de Gaza: il y a aussi l'Égypte! On peut même rappeler que Gaza a déjà été un territoire égyptien, de 1948 jusqu'à 1967.
D'où la question: que font les voisins arabes pour leurs malheureux «frères» palestiniens? La solidarité arabe envers les Palestiniens a toujours été un beau cas de rhétorique pas toujours suivie par des actes... Rituellement, les Arabes répètent qu'Israël doit faire ceci et cela pour régler la question palestinienne... mais au-delà, que font-ils, eux, concrètement?
Eh bien, cette semaine, concrètement, ils ont laissé passer les Palestiniens, sur une base humanitaire et ponctuelle. Mais il faut se souvenir que le blocage hermétique de Rafah -- la ville-frontière -- était voulu par l'Égypte, d'accord là-dessus avec Israël.
L'Égypte se méfie du trafic d'armes et de militants islamistes, qui d'ailleurs passaient déjà par les souterrains creusés en dessous de la ville.
Le dilemme des dirigeants égyptiens se résume ainsi: les Palestiniens sont des frères arabes, oui, oui, bien sûr... mais le Hamas n'est pas un ami -- loin de là! L'Égypte craint le Hamas comme la peste. Le Hamas est un rejeton idéologique des Frères musulmans. Et les Frères musulmans sont un cauchemar et un défi pour le président Hosni Moubarak.
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L'ouverture de la frontière, qu'elle soit provisoire ou qu'elle se prolonge, a pour effet d'aspirer -- peut-être contre son gré -- l'Égypte dans le jeu régional.
Malgré leur profonde méfiance envers le Hamas, les Égyptiens pourraient être amenés à jouer les médiateurs dans le conflit intrapalestinien, entre le Hamas qui contrôle Gaza, et le Fatah du président Abbas qui contrôle... une partie de la Cisjordanie, avec l'appui lourdaud de la communauté internationale.
Paradoxe: et le Hamas et Israël peuvent tirer parti des derniers développements. Le Hamas a pu se ravitailler à travers une frontière ouverte; et il va peut-être revenir, via l'Égypte, dans le processus politique palestinien. Et Israël, de son côté, a balayé dans la cour de l'Égypte une partie de la tension de Gaza. À suivre.
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Suharto d'Indonésie (ne cherchez pas de prénom, il n'en avait pas) est mort hier à Djakarta à l'âge de 86 ans. Ce dictateur militaire, chéri des États-Unis même pendant ses pires turpitudes, avait probablement plus de sang sur les mains que Saddam Hussein.
Entre 500 000 et un million d'opposants communistes exécutés dans les années 60 à la suite de sa prise du pouvoir. Deux ou trois cent mille personnes exterminées lors de la sanglante invasion, en 1975, du Timor oriental (qui ne faisait même pas un million de population). Des milliers d'exécutions sommaires par les forces paramilitaires au début des années 80... Suharto terminera son règne, en 1998, après la répression de manifestations au prix de plusieurs centaines de morts: une paille en comparaison de ce qui avait précédé!
Côté économique, Suharto restera associé à ce qui fut sans doute le plus spectaculaire détournement, par un dirigeant politique et ses proches, des ressources économiques d'un pays ou d'un gouvernement. Selon l'organisme Transparency International, ce sont 35 milliards de dollars que Suharto et sa famille, par le biais d'une pénétration systématique de l'armée dans l'infrastructure économique, ont fait rentrer dans les comptes en banque familiaux. À cette aune, des corrompus notoires comme Mobutu, Arafat ou les généraux birmans resteront à jamais de pâles amateurs.
Avec de telles manchettes en guise de bilan, on peut avoir du mal à imaginer un versant positif à Suharto. Il y en eut pourtant un. La croissance économique de l'Indonésie, pendant plusieurs de ses 32 années au pouvoir. Un recul marqué de la pauvreté, jusqu'à la crise asiatique de 1997-1998. Et puis le fait -- surprenant au vu de ce qui précède -- d'un régime autoritaire et paternaliste qui, entre ses épisodes sanglants, ne fut pas que pure terreur.
D'autres, enfin, ajouteront: l'exploit de maintenir «l'unité nationale» dans un archipel de 17 000 îles disséminées sur 5000 kilomètres, peuplées de 230 millions de personnes, de 300 groupes ethniques qui parlent 250 langues. Même si cette «unité» se sera imposée, dans bien des cas, en étouffant brutalement les aspirations de nombreux peuples, de l'Aceh au Timor en passant par la Papouasie et le Kalimantan.
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio, et lire ses carnets sur www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
francobrousso@hotmail.com

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François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.





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