La semaine passée, je signalais que l’on préparait une solution à la question de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde qui regroupe encore en Belgique des électeurs de deux Etats fédérés, soit Bruxelles et la Flandre (et des justiciables : c’est aussi un arrondissement judiciaire). Les Flamands veulent le scinder afin qu’il n’y ait plus dans chaque Etat fédéré que des arrondissements flamands en Flandre, wallons en Wallonie et que Bruxelles ne forme plus qu’un arrondissement électoral et judiciaire. Bref que l’intégrité des territoires soit respectée.
Comparaisons québécoises dans Le Devoir
Le Devoir du 15 avril, lui, relatait que Jean-Luc Dehaene soulignait que l’obstination des Flamands à ce sujet pouvait se comparer à celle des Québécois. Et qu’Olivier Maingain répondait que les Bruxellois francophones seraient bien contents de jouir en Flandre des mêmes droits dont jouissent les Anglais au Québec. Mais l’établissement de droits pour les francophones en Flandre, égaux à ceux des Anglais au Québec, c’est justement ce que la Flandre a obtenu, en un siècle, de ne pas devoir supporter (et qu’elle supporterait plus mal que le Québec, pour diverses raisons). En plus, Olivier Maingain, d’autres Bruxellois francophones voudraient annexer certaines communes de Flandre.
Le Soir aussi méprisant que les Anglais du Québec
La Flandre désire obtenir des frontières sûres. L’arrondissement de Hal-Vilvorde chevauche Bruxelles et la Flandre, introduisant donc un certain flou, d’autant plus qu’une partie des communes en principe flamandes de cet arrondissement (celles qui sont les plus proches de Bruxelles), ont des majorités francophones jouissant de certains droits depuis le début des années 60. Il faudrait donc souhaiter que l’arrondissement soit scindé et que les droits des francophones soient respectés. Mais certains Flamands veulent aller plus loin et supprimer ces droits perçus comme une menace.
Chez certains Bruxellois francophones comme Pierre Bouillon s’exprimant dans Le Soir du 10 avril, il y a ce sentiment du dominant par la langue: « On ne perçoit qu’un labeur de fond, une obsession de chaque instant, une préoccupation aussi ancienne que le drapeau et liée à cette trouille de céder du mètre carré à la trop puissante culture voisine [ soit le français…]» Pierre Bouillon ajoute que des Bruxellois francophones, malgré le caractère contraignant des lois parviennent à vivre en Flandre en y parlant le néerlandais. Et de fait une proportion grandissante d’habitants de la Flandre deviennent des Francophones, s’exprimant certes, partout où la loi l'oblige, en néerlandais, mais étant (j’allais dire « secrètement »), des gens dont la langue maternelle (ou préférée) est le français. C’est ce qui explique sans doute en partie les angoisses de la Flandre face à cette question de l’arrondissement de Hal-Vilvorde.
Lutter pour sa langue
Lutter pour sa langue est-il légitime ? Certains milieux belges (surtout bruxellois francophones), considèrent la chose comme secondaire, la langue n’étant que symbolique à leurs yeux. Et que Bruxelles annexe certaines communes flamandes ne les dérange pas. Ils verraient bien même toute la Belgique devenir bruxelloise ! Mais ces mêmes milieux tiennent très fort à l’unité belge et réagissent mal au nationalisme flamand. Pas par souci du français, mais parce que la Belgique est aussi intangible à leurs yeux que leur langue pour les Flamands. Les mêmes milieux considèrent avec le même mépris (un plus grand mépris?), les Wallons. Qui ne se retrouvent pas dans une Belgique centrée sur un axe Bruxelles-Anvers géographiquement flamand (et autres ports de mer ou grandes villes en Flandre), si logistiquement et économiquement renforcé (par l'Etat belge autrefois unitaire) que, dans ce pays à la superficie réduite, il a failli réduire la Wallonie à un désert économique et détruire son identité qui n’est ni flamande, ni bruxelloise. (1)
Les nations ont des droits
C’est donc toute une série de symboliques qui sont en jeu. Comme toujours : la politique, c’est cela. La symbolique belge francophone (bruxelloise en fait) est forte contre la symbolique nationale flamande qui a le poids démographique en sa faveur. La symbolique belge francophone gagne contre la symbolique wallonne, car la symbolique nationale belge francophone est centrée sur Bruxelles, métropole « fécondante » (comme on disait dans les années 70), mais en réalité dominante. Et qui regarde de haut cette «province » (la Wallonie), qui, à la faveur du fédéralisme, a cependant réussi à se rééquiper logistiquement et économiquement, notamment en affermissant ses débouchés par mer, par terre et par air. La ville wallonne de Liège rejoint Rotterdam par la Meuse, possède le huitième aéroport de fret en Europe, une gare pour les TGV vers Paris et Cologne. La ville wallonne de Charleroi possède un aéroport qui rivalise avec celui de Bruxelles sur le plan des transports de voyageurs. Et la Wallonie, aussi pauvre et démunie soit-elle (parce que minorisée tant par la Flandre que par Bruxelles), a une capitale politique, Namur, des compétences internationales, un territoire qui a le profil d'un territoire national, une identité nationale possible, ce que Bruxelles ne peut avoir autrement que dans un cadre belge. Les Wallons n’ont qu’un intérêt très limité pour la question de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde et les plus éveillés d’entre eux, tout en étant soucieux des droits individuels des Francophones des bords de Bruxelles, savent qu’ils ont intérêt à ce que la solution de cette question satisfasse aussi les Flamands et les Bruxellois francophones modérés. Mais surtout : que Bruxelles ne soit pas élargie alors que, large, elle ne l’est déjà que trop. Le Québec n’a certes pas intérêt à ce que l’Ontario annexe certaines communes de Montréal si elles devenaient anglophones. Mais la Wallonie n’a pas intérêt non plus à ce que s’effectue l’élargissement de Bruxelles à des communes flamandes, ce qui est parfois prôné dans cette question. Parce que cet élargissement … s’élargirait un jour à la Wallonie. C’est absurde, car, dans une Belgique territorialement exiguë, quelqu’un qui veut s’agrandir ne peut que marcher sur les pieds de ses voisins. Les droits individuels ne peuvent contredire ceux des collectivités et réciproquement. Et, à son tour, chaque collectivité se doit de respecter les autres. Parmi ceux qui brandissent sans cesse les droits humains individuels, beaucoup semblent ignorer ce dernier point.
(1) C'est le sujet du livre du Professeur Quévit Flandre-Wallonie. Quelle solidarité?
Intégrité des Etats fédérés comme le Québec
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
20 avril 2010Par Wallons, j'entends les habitants de la Wallonie, par Bruxellois les habitants d'une Ville-Etat à statut bilingue, Bruxelles, quoique très francophone et par Flamands les habitants de la Flandre. Ces statuts engendrent conflits et injustices provoqués par les uns et par les autres ou des étrangers. Philippe le Bon obligea les Gantois à lui faire soumission en français (XVe siècle). Hitler retint les soldats wallons prisonniers en 1940-1945 (et quelques Bruxellois francophones). Le français a longtemps dominé en Belgique (et domine encore), mais une part au moins de la législation linguistique a été imposée aux Wallons (minoritaires au Parlement belge), par les Flamands qui y sont majoritaires. Dans un conflit, ce qui est dramatique c'est que souvent les deux parties ont raison. C'est en somme ce qu'exprima - en une phrase fulgurante - le 3 mai 1918, un haut fonctionnaire belge vivant en Belgique occupée.
Georges Paquet Répondre
19 avril 2010M. Fontaine,
Je suis étonné que vous ne vous souveniez pas qu'aux environs de 1976 les Wallons aient insisté et manifesté pour que les documents et formulaires de toute nature émis par le gouvernement belge, destinés aux Wallons, ne contiennent aucun mot de flamand. Faut-il se surprendre que les Flamands réclament la même chose et un peu plus, aujourd'hui. Vous souvenez-vous au moins de la chanson de Jacques Brel qui disait en peu de mots qu'il ne voulait pas aboyer en flamand.
Archives de Vigile Répondre
18 avril 2010Il y a trois Etats fédérés en Belgique, la Wallonie, la Flandre et Bruxelles. La Wallonie et Bruxelles sont francophones, mais n'ont pas la même position dans l'Etat belge (au Québec il y a des francophones hors Québec aussi). Sur la question traitée dans cette chronique, les Wallons sont assez indifférents, les Flamands défendent leur langue et Bruxelles sa liberté face à une Flandre qu'elle sent parfois agressive et dominante vu sa lutte pour le néerlandais aux portes de Bruxelles. L'Etat belge n'ayant eu longtemps qu'une seule langue officielle, le français, qui avait de solides racines Wallonie depuis des siècles, la question de la langue s'est posée en Flandre et à Bruxelles, pas dans le pays wallon (sauf pour le wallon proprement dit mais c'est une question interne à la Wallonie). Dans la foulée du combat pour leur langue, les Flamands sont devenus prépondérants en Belgique et à partir des années 50 ont usé de leur influence et de la situation favorable qu'avait faite à la Flandre l'Etat unitaire (sur le plan économique), pour accentuer encore ce mouvement qui mettait la Wallonie en danger de mort. Celle-ci a réagi en exigeant l'autonomie et a sans doute évité le pire. La question de droits linguistiques des Flamands en Wallonie pourrait se poser, sur le papier. Dans les faits, elle ne se pose pas et même ne s'est jamais posée. Des centaines de milliers de Flamands sont venus travailler en Wallonie et ont adopté la langue des travailleurs, soit le wallon. Puis eux et leurs descendants sont passés, insensiblement, au français, comme leurs camarades wallons.
Je devrais peut-être avoir la franchise et la netteté des ouvrages en anglais sur la Belgique qui distinguent les trois problématiques: Flandre, Bruxelles, Wallonie.
Georges Paquet Répondre
17 avril 2010M. Fontaine, l'espèce de méli-mélo d'intérêts que vous nous présentez entre les francophones wallons et les francophones bruxellois ne fait plus aucun sens pour l'observateur Québécois auquel vous dites que les francophones bruxellois aimeraient avoir en Flandre les mêmes droits que ceux dont jouissent les anglophones au Québec.
Mais dites-moi, avant d'aller plus loin, de quels droits auraient déjà joui les Flamands en territoire wallon. Est-ce que je n'ai pas raison de faire remonter l'origine des tensions entre les Flamands et les Wallons aux années '70 alors que les Wallons, refusaient tout formulaire bilingue, parce qu'ils ne voulaient pas voir un seul mot de flamand sur les formulaires émanant de Bruxelles. Depuis quand les Flamands auraient-ils eu des droits en territoire wallon qui ressembleraient à ceux dont jouissent le anglophones au Québec.