A l’approche des élections européennes, plusieurs associations – ATD Quart Monde, CCFD-Terre solidaire, la Cimade, Emmaüs, Médecins du monde et le Secours catholique – ont appelé leurs réseaux à se mobiliser pour défendre les principes du « vivre ensemble » et promouvoir une Europe sociale, qui soit à la fois « ouverte et généreuse ». Lors d’une rencontre au Conseil économique, social et environnemental, elles ont reçu le soutien de son président, Jean-Paul Delevoye, qui nous accordé une interview.
C’est l’un des effets de la crise. Nous sommes dans des réflexes suicidaires : au moment où il faudrait penser monde, nous pensons village ; au lieu de penser l’autre, nous pensons chacun pour soi ; au lieu du long terme, nous privilégions le court terme. Ces attitudes de repli représentent un défi pour nos démocraties. Malheureusement, la classe politique ne montre pas toujours l’exemple. Elle a donné ces dernières années la priorité à la conquête du pouvoir plutôt qu’à la construction d’un vrai projet collectif. Captés par les émotions, les citoyens n’ont plus les moyens de construire une conviction. Cela est très préoccupant. Quand les peuples ne croient plus en rien, ils sont prêts à croire en tout. Ceux et celles qui exploitent les peurs et les humiliations nourrissent des tentations bien plus fortes que celles et ceux qui tentent de porter des espérances.
L’Europe peut-elle encore représenter une espérance pour les peuples ?
Non seulement elle le peut, mais elle le doit ! La dimension des enjeux actuels impose la dimension des réponses. Avec la mondialisation, les réponses ne peuvent être que continentales. L’Europe peut et doit être un continent qui doit moraliser la mondialisation. Avec la chute du communisme, le capitalisme a perdu son meilleur adversaire. Il faut aujourd’hui trouver des limites au libéralisme, concilier performance économique et protection sociale. L’Europe devrait jouer ce rôle. C’est sa vocation, ça fait partie de ses gènes. Malheureusement, ces dernières années, elle a pris une autre route, estimant par exemple qu’il fallait plutôt mettre en concurrence les Etats pour une meilleure optimisation économique. Je ne partage pas cette vision. Il faudrait au contraire mettre en place davantage de politiques communes, tant dans le domaine de l’énergie et de l’agriculture, que dans celui de l’industrie.
Ne faudrait-il pas aussi envisager une politique d’immigration (et d’intégration) commune ?
Pour équilibrer sa population active, l’Europe aura besoin, dans les trente ans qui viennent, de 50 millions de travailleurs immigrés. Notre continent est à la fois une terre d’immigration et d’émigration. Nous avons l’obligation politique d’expliquer cela à nos concitoyens. Mais derrière la question de l’immigration, je vois se profiler une autre réalité qui inquiète : la lutte des identités, culturelles ou religieuses, est en train de remplacer la lutte des classes. Des frontières identitaires sont en train de se constituer et cela est extrêmement préoccupant, ne serait-ce que pour les minorités. De nouveaux murs sont en train de construire, bien plus sournois et bien plus périlleux que le mur de Berlin.
Finalement, l’Europe en fait-elle trop ou n’en fait-elle pas assez ?
Aujourd’hui, nous ne souffrons pas d’un excès d’Europe mais d’un trop peu d’Europe en terme de projet et d’espérance politique. L’Union européenne est devenue le bouc-émissaire de nos manquements et de nos échecs nationaux. On s’est servi d’elle, on ne l’a pas servie. C’est la raison pour laquelle les peuples expriment aujourd’hui leur défiance ou leur désapprobation. Pourtant, l’Europe n’est pas un problème, elle est une solution. A l’origine, il s’agissait d’une aventure collective avec trois objectifs : construire la paix, consolider nos démocraties et promouvoir les droits de l’homme. Ces buts ont été atteints. Il faut maintenant relever d’autres défis, notamment celui de l’égalité et de la solidarité. Nous sommes entrés dans une période de croissance durablement faible, qui risque de durer plusieurs années. Dans ce contexte, comment passer d’une société de performance qui écrase les individus à une société de l’épanouissement, d’une société d’acquisition à une société du partage, d’une société du bien à une société du lien.
Quel rôle peut réellement jouer l’Europe pour améliorer le vivre ensemble ?
L’absence de la pensée de l’autre peut être bien plus dangereuse que la lutte des classes. En France, le vivre ensemble est menacé par une archipélisation de la société où chaque groupe cohabite sans se rencontrer, sans se connaître et sans se reconnaître. Il faut inventer des lieux, créer des passerelles, favoriser les échanges pour passer de la simple tolérance au respect de l’autre, pour promouvoir la coexistence active plutôt que la cohabitation passive. Le XXIe siècle sera le siècle de la mobilité, donc celui où il nous faudra conjuguer identité et altérité. Tous nos enfants et nos petits enfants connaitront des hommes et des femmes de religions, de philosophies, de cultures, de couleurs, de comportements et de rites différents. Nous ne pouvons accepter l’autre que si nous avons une identité forte, mais cette identité se forge aussi dans l’ouverture à l’autre. Voila aussi le message que l’Europe peut et doit porter.
Source Via Resistancerepublicaine
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