Jean Talon, l’intendant de la Nouvelle-France à la vision ambitieuse

0228b98bfca266514f0505028d236c1b

Jean Talon, un immense bâtisseur de la nation française d'Amérique

Premier intendant à s'être donné la peine de se rendre dans la colonie française, il l'a organisée et structurée comme aucun autre en la peuplant et en développant ses industries. Cet administrateur né lui a ainsi donné, dès les années 1660, une brève et formidable impulsion qui ne reviendrait vraiment qu'aux 19e et 20e siècles. L'historienne Catherine Ferland décrit à Jacques Beauchamp comment, sous la gouverne de Jean Talon, la Nouvelle-France a plus que doublé de population pour ensuite voir, à son départ, son économie s'étioler.


Né en janvier 1626 à Châlons-en-Champagne d’une longue lignée d’administrateurs de la magistrature, de la cléricature et de l’Église, il étudie auprès des jésuites avant de joindre la fonction publique. Devenu, à 27 ans, intendant des armées auprès d’Henri de La Tour d’Auvergne, il se fait connaître pour ses qualités logistiques et sa capacité de résoudre des problèmes.


Le redresseur


Il est nommé intendant de la Nouvelle-France sous Louis XIV, qui souhaite resserrer la gouvernance du royaume, incluant les colonies. Contrairement à ses prédécesseurs, il vient personnellement superviser les opérations en Amérique. Après un périple de 117 jours, il arrive à Québec le 12 septembre 1665 et trouve le territoire en piteux état. La Compagnie des Cent-Associés, qui devait amener des colons en échange de monopoles, n’a pas rempli ses promesses. L’économie est chétive, les femmes sont absentes et les tensions avec les Iroquois, à leur comble.


Les femmes d’abord


Il mène des recensements et implore la France d’envoyer des femmes qui soient non pas des citadines, mais des campagnardes rompues aux devoirs de la ferme. C’est ce qui provoque l’arrivée des Filles du roi. Les soldats chargés de protéger la colonie contre les Iroquois, eux, seront leurs maris. Des amendes sont données aux familles qui ne participent pas à l’effort de peuplement, et des primes sont données pour le dixième et le douzième enfant de chaque famille.


Il développe les ressources naturelles, l’agriculture, fait de la prospection minière, puis fait importer des animaux, des semences et des métiers à tisser. Il incite les colons à faire pousser des fibres textiles comme le chanvre et le lin, utiles à l’industrie navale, et à la culture facile. Il fait ouvrir des brasseries, des chapelleries, des cordonneries et des goudronneries.



Il s’assure de diversifier énormément la colonie, peut-être en faisant le pari que si l’une des industries ne fonctionne pas, au moins, il y aura toutes les autres pour prendre le relais. […] Tout ça dans un contexte où, il faut le rappeler, on est en plein colbertisme. Donc, on a une volonté de la France de dire : "Développez-vous, mais pour nous fournir. On ne veut pas que vous soyez trop indépendants, non plus."


 Catherine Ferland


Peinture représentant Jean Talon visitant les colons.


Jean Talon visitant les colons, par Lawrence R. Batchelor, 1931


PHOTO : MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICATIONS DU QUÉBEC


Repousser les frontières


Rapatrié en 1668, il revient en 1770 pour un deuxième mandat, durant lequel il consolide ses réalisations et encourage l’exploration du continent. En quelques années seulement, les trois quarts de l’Amérique du Nord passent à la France ou relèvent de l’autorité royale française.


Jean Talon rentre définitivement en France en 1672, puis termine sa carrière dans l’entourage du roi. En Nouvelle-France, la population est passée de 3200 personnes à plus de 7600, et le territoire est désormais occupé plus rationnellement. En revanche, les industries lancées pendant qu’il était en poste tombent presque toutes, les unes après les autres. Désintéressé par la colonie, le roi tarde à nommer un successeur à Jean Talon, et Louis de Buade de Frontenac, qui assure son intérim, n’a que faire de la culture du lin ou de l’industrie du chapeau.


Selon Catherine Ferland, Jean Talon était peut-être tout simplement trop en avance pour son temps.