Ce samedi 18 mars, le Premier ministre kosovar, Albin Kurti, et le président serbe, Aleksandar Vučić, se sont retrouvés au bord du lac Ohrid, en Macédoine du Nord, pour douze heures de pourparlers tendus, menés sous l’égide de l’Union européenne (UE) et de son chef socialiste de la diplomatie, Josep Borrell. Cette tentative de normalisation des relations entre l’État serbe légitimé par l’Histoire et l’entité « République du Kosovo » créée de toutes pièces voici quinze ans, par aveuglement droit-de-l’hommiste de nos oligarchies et par atavisme occidental antislave, contre le principe de l’unité territoriale de la Serbie, prétendument garantie par l’ONU (résolution 1244 de 1999), est un nouvel échec.
L’histoire du Kosovo est celle d’une dépossession par droit de conquête : Le 15 juin 1389, le prince Lazar Hrebeljanović est vaincu et tué à Kosovo Polje. La désunion des princes balkaniques entraîne leur soumission à l’Empire ottoman. Une croisade hongroise et un deuxième carnage à Kosovo (17 au 19 octobre 1448) n’y changent rien. Sauf que les Serbes y ont laissé leur vie avec leur liberté… Mais leurs descendants non convertis à l’islam, ou revenus à l’orthodoxie après cinq siècles d’occupation, ont forgé de cette défaite une conscience identitaire forte, ferment du mythe national toujours exalté.
Le defter de la région de Vukovo, registre de recensement ottoman de 1455, dont l'original est conservé dans les archives historiques d'Istanbul, montre qu'il n'y avait pratiquement pas d'Albanais en Kosovo et Métochie au milieu du XVe siècle. On y dénombrait 12.840 foyers serbes et 46 albanais.
Sans doute le début du Grand Remplacement ethnoculturel par des Albanais musulmans s’est-il produit après la « grande guerre turque de 1683-1699 », où les Serbes non islamisés furent conduits à prendre le parti des Habsbourg contre les Ottomans et s’exilèrent en masse – 40.000 d’entre eux, selon l’historien Dennis Hupchick, auraient quitté le Kosovo*, sous promesse d’autonomie et d’avantages religieux au sein de l’Empire des Habsbourg –, après que les Turcs eurent vaincu et châtié une nouvelle fois les rebelles chrétiens du Kosovo. Un phénomène d’exil qui n’a fait que s’amplifier aux siècles suivants et que la politique volontariste et brutale d’inversion migratoire menée après 1992 par Slobodan Milošević n’a pu renverser.
Jusqu’à la restauration de la Serbie indépendante (1878), durant la période de la République communiste et jusqu’à aujourd’hui, le mythe incarné du Kosovo et de son saint martyr Lazar a nourri le « roman national » de ce peuple. Un mythe qui « légitime des valeurs, donne sens au vécu, inspire des représentations et des conduites », tout en étant une création continue, selon le géographe Michel Roux. En 1989, lors de la célébration du 600e anniversaire de la bataille de Kosovo Polje, les reliques de saint Lazar étaient partout exposées et devant la tour de Gazimestan, édifiée en 1953 sur les lieux du sacrifice, Milošević rassemblait une foule immense de Serbes pour conjurer l’éclatement de la Fédération yougoslave.
On connaît la suite : contre-épuration ethnique organisée après la victoire donnée par l’OTAN au parti terroriste et mafieux albanais, assassinats, intimidations, 25.000 Serbes et Tziganes exilés. Et vingt-quatre ans après la dernière guerre, 500 Serbes sont encore portés disparus en Kosovo et Métochie.
Pour Aleksandar Vučić, la patrie n’est pas négociable : « Tant que je serai président, je ne signerai ni n'accepterai une reconnaissance officielle ou officieuse du Kosovo ou que le Kosovo rejoigne l'ONU », avait-il prévenu. Le feu couve dans la poudrière. Et les Serbes, qui n’oublient pas le sang versé des ancêtres, sont peut-être aujourd’hui les derniers défenseurs de l’esprit et des valeurs européennes.
* Cf. Dennis Hupchick, The Balkans: From Constantinople to Communism, 2002, p. 179: “When Ottoman forces expelled the invaders and re-established their control amid a welter of atrocities, some 40,000 Serbs, Patriarch Arsenije among them, fled across the Danube, ultimately settling in Vojvodina, …”