L'accès à la justice et les SLAPP

Poursuites-bâillons (SLAPP)


Il y a présentement à Québec une commission parlementaire dont les travaux n'excitent guère les médias, mais qui se penche sur un sujet fondamental: l'accès à la justice.

La commission des institutions a été convoquée pour examiner la réforme de la procédure civile et la possibilité de faire ce que les Américains appellent une loi «anti-SLAPP».
Une SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation) est une poursuite-bâillon. Le cas typique est celui d'un groupe de citoyens ou d'écologistes poursuivi par un promoteur pour atteinte à sa réputation. Le but étant de faire taire les opposants en les écrasant avec des frais judiciaires considérables, même si la poursuite est mal fondée.
L'an dernier, trois experts de McGill ont fait le tour de la question pour le ministre de la Justice en puisant dans les expériences nord-américaines, australienne, européennes. Ils ne prennent pas position sur la solution au problème, mais disent essentiellement ceci: on peut adopter une loi spécifique contre les «poursuites-bâillons», mais ce problème, quoique sérieux, n'en est pas au stade de l'épidémie.
Une autre option s'offre au gouvernement: modifier le Code de procédure civile pour donner plus de pouvoirs aux juges afin de rejeter le plus rapidement possible toutes les poursuites abusives. En effet, les poursuites «punitives» dénuées de sérieux existent dans toutes sortes de domaines. De même que les actes de procédure inutile dans des poursuites par ailleurs sérieuses
Comme les experts consacrent les plus longs passages à cette solution «générale», on devine qu'ils inclinent dans cette direction, plus fondamentale. C'est en tout cas mon point de vue.
La question des SLAPP n'est en effet rien d'autre que celui de l'accès à la justice. Si les juges contrôlaient mieux les interrogatoires et le nombre d'experts (pourquoi pas un expert unique choisi par le juge), si celui qui perd payait les frais d'avocat de l'autre, on n'aurait pas de loi «anti-SLAPP», mais on aurait avancé pour rééquilibrer les forces devant les tribunaux.
Ces experts recommandaient comme piste possible de simples changements au Code de procédure civile qui permettraient, entre autres, de rejeter dès l'entrée une poursuite abusive. C'est déjà possible, mais on a donné une interprétation très restrictive à l'abus. Il faudrait l'élargir. Une poursuite-bâillon, c'est-à-dire apparaissant nettement comme destinée à brimer la liberté d'expression, pourrait donc être plus facilement écartée et faire moins de dommages; avec le remboursement des frais, l'auteur de cette poursuite aurait moins intérêt à se lancer dans une pareille aventure.
Il n'y a pas le moindre risque que les prochaines élections soient déclenchées sur la réforme de la procédure civile. Et pourtant, ce débat en apparence technique renferme des questions de justice sociale et de justice tout court qui peuvent changer la vie de bien des gens.
Espérons que les solutions simples, gratuites, qui s'offrent au gouvernement seront retenues.
L'avocat-prêteur
On a appris samedi sous la plume de mon collègue André Cédilot qu'un avocat criminaliste bien connu à Montréal, Jean Chalifoux, a été radié pour 10 jours l'automne dernier.
Son péché? Avoir utilisé son compte d'avocat (en fidéicommis) pour cacher des sommes assez plantureuses à l'impôt. C'est que Me Chalifoux, qui fut un temps champion de la facturation à l'aide juridique, a par ailleurs une société de prêts hypothécaires depuis des années.
Cette société semble faire de bonnes affaires puisque, selon le fisc, elle aurait rapporté 1,6 million entre 1995 et 2000. Me Chalifoux plaçait les revenus de cette société dans son compte en fidéicommis, où sont gardées les sommes avancées par les clients. C'était une manière de cacher ses profits.
Malheureusement pour lui, une perquisition du fisc fédéral a permis de découvrir le stratagème. Pour des cotisations impayées de 441 000$, il a dû verser une amende de 500 000$, plus des intérêts de plus de 900 000$.
Seulement 10 jours pour une utilisation douteuse de son compte d'avocat? "Il a utilisé son compte en fidéicommis de manière inappropriée, reconnaît le comité de discipline des avocats, mais pas dans le but de léser des personnes avec qui il était en relation d'affaires en sa qualité d'avocat."
Le comité ajoute: "Son compte en fidéicommis n'a été, à l'époque, utilisé que pour des fins de son entreprise de prêts hypothécaires et non dans le cadre de sa profession d'avocat."
Étonnant raisonnement, qui laisse voir une définition non moins étonnante de la protection du public. En somme, si l'avocat lèse le public en général, mais pas un client en particulier, la faute est moins grave.
Il s'agit pourtant, de toute évidence, d'un stratagème qui durait depuis des années, et qui visait à soustraire des sommes rondelettes à l'impôt grâce à cet outil privilégié que les avocats peuvent avoir, le compte en fidéicommis.
C'est donc en utilisant son privilège d'avocat que Me Chalifoux a pu tromper le fisc. Quand on apprend, en plus, que certains de ces prêts ont abouti (légalement, certes) dans l'entourage de gens du crime organisé (pas de ses clients), l'affaire soulève des questions d'image de la profession qui ne semblent pas chatouiller le moins du monde les "sages" du comité de discipline, ni le syndic du barreau, pour qui 10 jours de congé sans solde était une punition suffisante.
Dix jours.
Je trouve qu'on a dérangé beaucoup de gens importants pour une aussi insignifiante sanction. La prochaine fois, tant qu'à faire, pourquoi ne se contentent-ils pas d'envoyer une lettre de réprimande?
yves.boisvert@lapresse.ca


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