L’American Dream contemple le trou noir où il se disloque

C’est en fait à une direction politique paralysée que le CBO s’adresse, avec un rapport qui constitue un choc politique et psychologique fondamental pour les USA.

Géopolitique — États-Unis d'Amérique


Mercredi, le Congressional Budget Office (CBO) a publié un rapport qui prévoit pour 2013 des conditions très graves de récession aux USA, avec perte de deux millions d’emploi, si le Congrès ne parvient pas à prendre en mains le problème du déficit titanesque des finances publiques. C’est en fait à une direction politique paralysée que le CBO s’adresse, avec un rapport qui constitue un choc politique et psychologique fondamental pour les USA.
Quelques mots du National Post, reprenant Reuters, ce 23 août 2012, pour nous donner quelques impressions de l’esprit qui se dégage de ce rapport, – un esprit absolument catastrophiste, qui se retrouve dans d’autres études dont celle du PEW Research Center donnant une image effrayante de l’état matériel et psychologique de la population, particulièrement la classe moyenne dévastée par la crise. (Nous employons ce terme de “catastrophiste”, dans un sens objectivement approbateur bien plus que critique. Ce n’est pas un “esprit alarmiste” mais un esprit constatant objectivement une tendance générale et inéluctable vers la catastrophe comme condition générale de la situation bien plus que l’annonce d’une catastrophe bien spécifique, même s’il la contient.)

«As the U.S. middle class faces its “worst decade in modern history,” a new report says an impending “fiscal cliff” is worse than previously thought and could plunge the country into recession.

»Massive U.S. government spending cuts and tax hikes due next year will cause dire economic damage if Washington fails to come up with a solution, the Congressional Budget Office (CBO) warned on Wednesday. Without action by Congress to avoid the “fiscal cliff,” Americans should expect a “significant recession” and the loss of some two million jobs, CBO director Doug Elmendorf said in his gloomiest assessment yet.
»The forecast comes as a Pew Research Center study says 85% of middle-class Americans feel it is more difficult now than a decade ago to maintain their standard of living. The report describes them as losing faith in the future. The study says the U.S. middle class is facing its “worst decade in modern history,” with its share of the nation’s income falling for the first time since the Second World War…»

Dans un article d’opinion publié sur le même National Post, le 22 août 2012, l’universitaire et économiste Jack M. Mintz dresse un réquisitoire contre l’attitude de la direction politique des USA. Il la compare à celle de l’Europe, constatant que les Européens tentent de faire quelque chose tandis que Washington ne fait rien, semblant paralysé… Il n’est pas question ici de souscrire à la comparaison de l’experts, de comparer l’Europe et les USA en tirant des conclusions de cette seule comparaison, ce qui serait faire le jeu du Système ; l’Europe fait quelque chose, mais ce “quelque chose” est également catastrophique puisque l’on reste dans le diktat du Système qui enchaîne catastrophe sur catastrophe. Ce qui nous intéresse est l’aspect psychologique, – ici l’on tente quelque chose, là on ne fait rien, – et, précisément, de mettre en évidence l’espèce d’atonie paradoxalement furieuse qui caractérise les élites américanistes, avec quelque chose d’une pathologie qu’on identifierait comme une asthénie de la psychologie…
«At a European conference on the sovereign-debt crises that I ­attended this week, my overwhelming conclusion, after listening to many experts, is that the U.S. is in far more trouble than Europe. This was brought home by calculations presented by Larry Kotlikoff of Boston University at a lecture held at the International Institute of Public Finance, the biggest gathering of public-finance experts in the world. Greece may be bankrupt, but the U.S. looks like a giant Ponzi scheme.… […] The U.S. reflects the most extreme case of intergenerational inequality. Generation after generation has participated in a Ponzi game, leaving younger taxpayers to pick up the tab for money effectively borrowed by older generations to spend on unfunded benefits. Kotlikoff labelled such practices as “child fiscal abuse,” a rather strong term but not far from the truth… […]

»The European are dealing with their severe fiscal problem, even if clumsily. But where are U.S. politicians and the public, who still don’t understand the extent of their potential fiscal bankruptcy? The U.S. has the political structure to get the job done, but seems too paralyzed to address a looming fiscal crisis… […] The United States should be ashamed. While many experts criticize the Europeans for not pulling together politically, U.S. indebtedness is far greater and more dangerous to the world economy.»

On ajoute un autre facteur, économique lui aussi, mais qui rappelle les véritables dimensions absolument, fondamentalement eschatologiques de la crise générale du Système, en ajoutant l’élément de la catastrophe naturelle. Nous ne sommes pas neutres non plus dans cette affaire (“nous”, l'espèce humaine en général), nous qui avons entrepris et semblons sur la voie de l’accomplissement, également, de la destruction du monde avec notre “déchaînement de la Matière”. On choisit ici de mettre en évidence, dans un texte du site The Economic Collapse sur “les huit menaces économiques dont ne parlions même pas au début de l’été” (le 22 août 2012), cette menace spécifique de l’état du fleuve Mississipi, en voie d’asséchement à cause de l’immense sécheresse qui dévaste les États-Unis. Ce cas est singulièrement pathétique et symbolique, tant le puissant Mississipi est un objet fondamental de la psychologie et de la culture humaine aux USA, un symbole à la fois de puissance de la nature, de sa sublime beauté, de l’équilibre du monde lorsque nous croyions qu’il s’agissait du Nouveau Monde et ainsi de suite. La description est dans les effets économiques de la chose, mais imaginez la dévastation que ce phénomène ajoute à une psychologie américaine (plus qu’américaniste, dans ce cas) d’ores et déjà dévastée… (Comme d’habitude avec The Economic Collapse, les textes sont farcis de références qui permettent de disposer, si on le veut, de toutes les précisions nécessaires.)
«Thanks to this drought, rivers and lakes all over the United States are drying up. In fact, there have been reports that millions of fish have been dying because water levels have gotten so low in many areas. Even the mighty Mississippi River has dropped to dangerously low levels.

»At this point, the Mississippi is lower than most people living along the river can ever remember. If it drops much lower, it could potentially have an absolutely devastating impact on the U.S. economy. A recent NBC News report described what is at stake... “About $180 billion worth of goods move up and down the river on barges, 500 million tons of the basic ingredients for much of the U.S. economy, according to the American Waterways Operators, a trade group. It carries 60 percent of the nation’s grain, 22 percent of the oil and gas and 20 percent of the coal, according to American Waterways Operators. It would take 60 trailer trucks to carry the cargo in just one barge, 144 18-wheeler tankers to carry the oil and gas in one petroleum barge.”

»If all traffic along the Mississippi was forced to stop, it is estimated that it would cost the U.S. economy about 300 million dollars a day. And already there have been stoppages along one 11 mile stretch of the river... “Nearly 100 boats and barges were waiting for passage Monday along an 11-mile stretch of the Mississippi River that has been closed because of low water levels, the U.S. Coast Guard said. New Orleans-based Coast Guard spokesman Ryan Tippets said the stretch of river near Greenville, Miss., has been closed intermittently since Aug. 11, when a vessel ran aground.”
»So what happens if the Mississippi gets even lower?»

Vous avez enfin, comme un effet de miroir qui a la vertu de vous faire oublier la froide impulsion des statistiques économiques, l’état difficilement embrassé même par les pires qualificatifs, de la population US. Ce n’est pas la documentation qui manque, au contraire elle nous submerge, nous asphyxie… Il faut donc choisir, au moment adéquat. (Voir le 19 août 2012 et notre idée de l’«opportunité de sélection de ces informations.») Aujourd’hui est un “moment adéquat”, pour élargir le propos, dans le sens de la catastrophe économique renforcée et confortée par la catastrophe humaine, les deux liées par un effondrement psychologique de la société et des êtres qui la composent. Cet effondrement vaut aussi bien, sous des formes différentes, pour les 1% qui semblent accueillir presque avec innocence les pires influences maléfiques en chevauchant avec une arrogance nihiliste et presque joyeuse la course vers l’effondrement, que pour les 99% qui sont emportés par elle. Il faut donc lire (surTomDispatch.com, le 21 août 2012) le texte de Chris Hedges, co-auteur d’un livre qui va paraître, Days of Destruction, Days of Revolt, résultat d’une enquête de deux ans sur la destruction de la population des USA, où tout se passe comme si quelque force gigantesque, – le Système auquel toutes ces directions et élites sont soumises est au moins dans notre esprit, – poursuivait avec méthode et la plus grande efficacité un programme absolument génocidaire qui ne répond qu’à une pulsion nihiliste d’entropisation générale d’une puissance colossale. (Il faut lire aussi, pour les statistiques pathétiques de l’évolution de cette même population, le texte «Forsaken And Forgotten», également de The Economic Collapse, le 23 août 2012.)
On voit le Système touché dans ses axes fondamentaux, dans son domaine US dont la supériorité dans le domaine catastrophique est désormais un fait avéré, emporté dans une crise qui suit inexorablement sa course d’aggravation et d’eschatologisation. L’American Dream continue à être déchiqueté dans une évolution cauchemardesque, qui restitue l’inversion de tous les critères fondamentaux de ce mythe. Il y a d’abord la paralysie extraordinaire d’un système politique qui semblait prodigieusement bien organisé pour contrôler et administrer selon ses propres intérêts une masse humaine d’une considérable importance. Désormais, ce système, organisé pour être centriste, consensuel, etc., se découvre extrémiste et fracturé d’antagonismes sans issue, produisant par ses vertus même une situation de blocage que rien ne permet de briser. Il s’ensuit que le système économique et financier est incapable de reprendre son souffle, de retrouver les artifices qui lui permettraient de durer (dans quel but ? Question indiscrète…). Le deuxième axe fondamental est la dévastation extraordinaire de la “classe moyenne”, orgueil et sécurité à la fois du système de l’américanisme, réduite en charpie dans un processus qui découvre avec une violence extraordinaire la logique totalitaire de destruction de l’être humain. Enfin, l’intervention de la catastrophe écologique et climatique, où l’Amérique occupe la première place dans sa manufacture par rapport au système de production et de consommation d’énergie qui caractérise le Système depuis deux siècles, semble avoir un aspect presque symbolique : avec l’établissement de plus en plus avéré, qu’on croirait presque organisée, d’un système climatique monstrueux, désormais hostile à l’organisation économique et sociale du Système, on a l’impression d’une espèce de revanche de la nature, – certainement, ce symbole-là va finir par peser d’un poids de plus en plus lourd dans nos jugements.
Il s’agit des USA mais il ne s’agit plus des USA (ce pourquoi, plus haut, la comparaison entre USA et Europe nous paraissait n’avoir aucun sens pertinent). C’est une civilisation, un monde, une conception d’être qui sont en cours d’effondrement. Les USA mènent la course malgré tous les montages et autres narrative parce qu’ils sont le cœur grondant de cette chose qui nous dévore, le cœur à la fois grondant et d’une infinie fragilité ; la fragilité US est à l’exacte mesure de son apparente puissance, comme la dynamique d’autodestruction du Système accompagne et remplace peu à peu sa dynamique de surpuissance. Même si elles aident encore un peu, les explications économiques, sociales, politiques et historiques sont notablement insuffisantes pour l’embrassement et la compréhension du phénomène.
Il se passe aujourd’hui quelque chose de cosmique, qui dépasse nos conceptions et explications habituelles. Il est plus que temps que nos capacités de réflexion, et principalement notre raison si elle parvient à se dégager dudiktat du Système, envisage la situation en cours selon des références et des inspirations plus audacieuses, beaucoup plus audacieuses que celles que nous autorise le Système. C’est ce que nous essayons de faire autant que nous le pouvons, en suggérant constamment l’intervention de “forces métahistoriques”, de phénomènes qui dépassent l’organisation humaine… Il est tout simplement inacceptable et scandaleux que notre raison, toujours sous le diktat du Système, soit limitée dans ses enquêtes, ses réflexions et ses hypothèses, aux seules capacités humaines et aux seules explications humaines. Quand on observe le résultat final de ces “capacités humaines” et la pauvreté des “explications” de la catastrophe, on est conduit à se demander à quoi sert la raison si elle se trouve limitée à ces références… Il est extrêmement urgent de libérer notre raison de l’insupportable référence humaine, sans quoi toute recherche de compréhension du phénomène et de ses conséquences suivra le même chemin que le Système qui propose comme solution de la crise de poursuivre la même démarche, en l’accentuant encore, qui a conduit à la crise.


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