2013

L’année perdue de Stephen Harper

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Pauvre Canada...

Ottawa — L’année politique fédérale 2013 se termine comme elle avait commencé : dans l’ombre du Sénat et de ses scandales. Le premier ministre Stephen Harper avait prorogé le Parlement à la fin de l’été, dans le but de donner un second souffle à son mandat et de laisser derrière les frasques de Mike Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau. Un discours du Trône et un congrès du Parti conservateur devaient aider à tourner la page. Raté. Le discours n’a jamais même été débattu à la Chambre des communes, le congrès de Calgary a été dominé par les questions sur qui savait quoi à propos du chèque de 90 000 dollars et les bons coups du gouvernement ne lui ont pas permis d’engranger des appuis.

Au fil de l’automne, le hasard a coup sur coup déjoué le premier ministre. Chaque fois que Stephen Harper s’apprêtait à annoncer une bonne nouvelle pour son gouvernement, le désormais célèbre Sénatgate lui volait la vedette. Immanquablement.

Le plus gros pavé dans la mare aura été lancé par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui, avec son document rassemblant des dizaines de courriels et d’entrevues avec les acteurs du scandale, a fait exploser l’affaire Wright-Duffy — et le nombre de questions auxquelles a dû faire face le gouvernement. Au moment de quitter les Communes, fin juin, pour la relâche estivale, les conservateurs faisaient face à une dizaine de questions par jour sur cette affaire. Six mois plus tard, avant de quitter pour les Fêtes, c’était une quinzaine. Plutôt que de s’estomper, le scandale a plutôt éclaté.
Mécontentement

Car les révélations de la GRC ont fait plusieurs mécontents chez les conservateurs, notamment au Sénat et parmi certains des plus fidèles à M. Harper. Soudainement, les parlementaires apprenaient la mainmise du bureau du premier ministre (BPM) sur leurs collègues au leadership : coups de fil, courriels, directives. Ce qui a donné lieu à une prise de conscience et à une envie de « renipper » leur indépendance. Quelques-uns ont jonglé avec l’idée de se retirer du caucus national conservateur. Le nouveau leader du parti au Sénat, Claude Carignan, a de son côté défendu son autonomie en arguant qu’il n’avait pas préenregistré le numéro de M. Harper dans son téléphone.

Aux Communes, des députés d’arrière-ban se sont alliés en tentant de se doter d’une certaine emprise quant au destin du premier ministre. Le projet de loi déposé par Michael Chong — appuyé pour l’instant par une poignée de ses collègues — permettrait notamment au caucus d’un parti de voter la destitution de son chef.

Mais les députés d’arrière-ban ne sont pas les seuls à avoir levé le nez devant le premier ministre. L’un de ses principaux ministres, Jason Kenney, a lui aussi défié son autorité. Le ministre de l’Emploi a, à deux reprises, contredit publiquement son chef devant les caméras. D’abord en affirmant que le maire de Toronto, Rob Ford, devait démissionner — alors que le caucus conservateur se tenait à l’écart en prétextant ne pas vouloir s’immiscer dans une question municipale, le maire torontois étant aimé des électeurs conservateurs habitant les banlieues de la Ville reine. Puis, M. Kenney et le ministre de la Justice, Peter MacKay, ont défendu Nigel Wright avec véhémence en octobre, après que M. Harper l’eut traîné dans la boue pendant des semaines en lui imputant la faute du scandale.

Des sorties suivies de résultats plus que décevants pour les conservateurs aux élections partielles de la fin novembre, qui ont rapidement alimenté des rumeurs de démission à venir pour Stephen Harper. Des chroniques ont fait état de conservateurs inquiets de devoir affronter l’électorat en 2015 avec un chef empêtré dans un scandale qui a pris forme à même son propre bureau. Mais M. Harper a démenti. Et, en guise de réponse, il a rapatrié son ancien bras droit, Dimitri Soudas, pour le nommer à la tête du Parti conservateur.
Le scandale fait des heureux

L’affaire Wright-Duffy aura en revanche profité à Thomas Mulcair. Le chef néodémocrate a dominé la période des questions aux Communes en revêtant son chapeau de procureur pour interroger, à coups de questions pointues, le premier ministre et tenter de le contraindre à répondre de ce qu’il savait de toute cette affaire ou à se contredire.

Lors des élections partielles, cependant, c’est son rival libéral qui est sorti gagnant d’un automne difficile pour les conservateurs. Justin Trudeau a conservé ses deux châteaux forts — Bourassa et Toronto-Centre — et a grandement amélioré ses résultats dans les deux circonscriptions manitobaines, raflant même presque l’une d’elle à Stephen Harper. M. Mulcair, de son côté, a fait bonne figure dans Toronto, mais il a tout juste conservé ses appuis dans le comté montréalais et s’est écroulé dans les Prairies. C’est que M. Trudeau a misé sur sa force — serrer des mains sur le terrain — plutôt que ses faiblesses en Chambre. Une stratégie qui semble lui avoir profité jusqu’à présent.

Dans l’ombre du Sénat

Le Sénat a également fait ombrage à au moins trois bons coups que le gouvernement conservateur aurait souhaité médiatiser à fond pour se gagner des appuis. En tête de liste de ces occasions ratées figure la conclusion, longtemps espérée et promise, d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Pour un gouvernement ayant placé l’économie au coeur de son discours politique, l’ouverture d’un marché d’un demi-milliard de consommateurs était de l’or en barre.

Mais, alors que Stephen Harper est à Bruxelles pour la signature officielle, à 5600 km de là, à Ottawa, le leadership conservateur au Sénat annonce qu’il proposera de suspendre sans salaire Mike Duffy, Pamela Wallin et Patrick Brazeau. La manoeuvre conservatrice décroche la manchette, M. Harper la perd. Et le processus, qui s’enlise dans la procédure parlementaire et les interventions sans limite des non-élus, finit par occuper toute la scène fédérale. Pendant deux semaines, on ne parlera que de cela, les journalistes faisant le pied de grue devant la chambre haute, parfois jusqu’aux petites heures du matin, pour rapporter les derniers rebondissements.

Les critiques de l’accord de libre-échange, particulièrement vives dans le secteur fromager québécois, sont pour leur part restées un peu plus d’actualité que l’accord et ses avantages. Ainsi, la première ministre Pauline Marois, pourtant favorable à l’accord, menace de ne pas le soumettre à un vote de l’Assemblée nationale tant que la compensation promise par Ottawa aux producteurs ne sera pas négociée avec eux. Et, comme cette ratification provinciale est nécessaire, Mme Marois estime que l’accord « ne sera pas applicable ».

Autre bon coup conservateur passé à la trappe médiatique : l’aide financière accordée par Ottawa à la collectivité éprouvée de Lac-Mégantic. Fin novembre, le premier ministre se rend en personne pour annoncer qu’Ottawa consacrera 95 millions de dollars à la décontamination du sol et de l’eau. Une aide saluée par tous. Mais, en point de presse, M. Harper se fait plutôt questionner sur l’affaire Duffy. Et pour cause. La veille de sa visite, la GRC a largué une bombe en affirmant, dans son document de cour, que Nigel Wright et Mike Duffy ont commis une fraude et en faisant état de l’ampleur des tractations engagées au bureau du premier ministre pour épargner M. Duffy et lui permettre de rembourser le Sénat grâce au chèque de 90 000 $ de M. Wright. Parmi les courriels cités, l’un signé par l’ancien chef de cabinet de M. Harper indique qu’il demandera d’abord le « OK » de son patron avant d’officialiser l’entente. Et sa réponse : « Tout est beau avec le PM. »

On a aussi vite oublié qu’Ottawa a pris des mesures pour renforcer la sécurité ferroviaire. Oubliés, les changements apportés au cours de l’été qui imposent la présence de deux conducteurs ou interdisent de laisser un convoi sans surveillance sur une voie principale. Oublié aussi, le fait que la ministre des Transports, Lisa Raitt, a exigé ce qu’elle avait refusé plus tôt, soit la tenue d’un comité parlementaire sur la sécurité ferroviaire. Même amnésie par rapport à la promesse faite par Mme Raitt, il y a deux semaines, qu’Ottawa classifiera le pétrole comme un « produit dangereux » et obligera du coup les transporteurs de brut à se doter de plans et d’équipes d’intervention.

Enfin, le gouvernement conservateur espérait que la soumission canadienne à l’ONU concernant sa revendication territoriale dans l’Atlantique et l’Arctique fasse mousser sa crédibilité de défenseur de la souveraineté du pays. Une fuite médiatique ayant révélé que c’est M. Harper lui-même qui a exigé des fonctionnaires qu’ils revendiquent le pôle Nord a mis en lumière le caractère politique de l’opération.
Des projets de loi oubliés

L’automne législatif a par ailleurs été plutôt léger, plusieurs des projets de loi à l’étude étant les mêmes que ceux ayant été précédemment déposés, mais morts au feuilleton à cause de la prorogation. Ottawa est revenu à la charge avec son projet de loi octroyant des pouvoirs accrus aux policiers, à l’ère d’Internet. Cependant, le gouvernement semble avoir entendu les critiques qui avaient plu sur le feu projet de loi C-30. Les dispositions permettant aux policiers d’obtenir sans mandat des informations sur les internautes ont été laissées de côté. Malgré tout, le projet de loi C-13, comme C-30 avant lui, est présenté comme un outil pour protéger les enfants : de la cyberintimidation, cette fois-ci, de la prédation sexuelle, la dernière fois. Dans les deux cas, ces aspects ne représentent qu’une infime portion du texte de loi.

Le projet de loi budgétaire C-4 a aussi provoqué des remous à cause de son ampleur. Il fait en sorte que c’est désormais Ottawa seul qui détermine quels fonctionnaires prodiguent des services essentiels et ne peuvent donc plus faire la grève. Le projet de loi C-4 change également les règles relatives à la nomination des juges québécois à la Cour suprême, pour éviter que le cafouillage entourant la nomination de Marc Nadon ne se reproduise.

La Cour suprême sera d’ailleurs au coeur de l’actualité en 2014. Non seulement ses huit juges restants devront-ils trancher le cas Nadon (en d’autres mots, décider s’ils l’acceptent parmi eux), mais ils rendront probablement leur verdict sur le sort du Sénat en tant qu’institution démocratique canadienne.
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HO ! HO ! HO ! Le père Noël est… un Canadien
La revendication canadienne du pôle Nord formulée à l’ONU a donné lieu à des échanges surréalistes à la Chambre des communes. Quand on a appris que c’est Stephen Harper lui-même qui a demandé aux fonctionnaires de modifier leur soumission pour inclure le pôle Nord, le chef libéral, Justin Trudeau, lui a reproché de politiser un processus qui devrait, à son avis, reposer uniquement sur la science. Réponse conservatrice ? Justin Trudeau nie au père Noël sa citoyenneté canadienne ! « Les libéraux laissent entendre que le père Noël n’est plus canadien et ils veulent abandonner le pôle Nord et le père Noël », a lancé, pince-sans-rire, le secrétaire parlementaire du premier ministre, Paul Calandra. Depuis des années, gracieuseté de bénévoles chez Postes Canada, les enfants du monde entier peuvent écrire au père Noël en inscrivant sur leur enveloppe « Pôle Nord » et le code postal tout canadien : HOH OHO. M. Trudeau a donc été réduit à faire sa profession de foi : « Tout le monde le sait très bien. Le père Noël est canadien, son code postal est HOH OHO et ça fait longtemps qu’on sait ça. »


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