Parce qu'il y a trop de films à voir, de livres à lire, de théâtre à découvrir et d'expos à visiter, j'ai rarement le temps d'assister à des colloques ou des conférences. Parfois, pourtant, quand un sujet s'impose, je fais une exception. C'est arrivé l'automne dernier pour la conférence de Tariq Ramadan, un prédicateur musulman qui tente de se faire passer pour un modéré malgré un fort penchant pour l'intégrisme. C'est arrivé à nouveau cette semaine lors de l'allocution de la journaliste laïque féministe française Caroline Fourest, invitée au colloque sur la laïcité et l'égalité qui se conclut aujourd'hui à la Grande Bibliothèque.
Je l'ai déjà écrit, je le répète: Caroline Fourest est une jeune femme brillante. Âgée d'à peine 34 ans, elle a déjà publié une quinzaine d'essais sur l'intégrisme, dont son célèbre Frère Tariq, que je vous recommande fortement. Le bouquin est un décryptage en règle du message intégriste de Ramadan. On y apprend aussi que la faculté d'Oxford où enseigne cet éminent professeur est entièrement financée par le Qatar. Tiens donc...
Brillante, structurée, Caroline Fourest est l'incarnation même de la clarté, de la pondération et du rationalisme éclairé. Son allocution sur les dangers de l'intégrisme religieux dont les classes politiques et les universités comme Oxford, se font les complices, était fascinant et d'une grande limpidité. Sa parole coule de source et sait faire preuve d'un humour salutaire. Mais l'essentiel, c'est que Caroline Fourest ne verse jamais, jamais, dans la démagogie. À cet égard, elle est la parfaite antithèse de Tariq Ramandan, qui commence toujours par bercer, séduire et parfois même par endormir son public avant de lui asséner son vrai message: le triomphe de l'intégrisme religieux sur les lois de la société civile.
Malheureusement, Tariq Ramandan réussit un exploit qui échappe encore à Caroline Fourest. Ses salles de conférences sont non seulement bondées, elles sont bondées de jeunes issus pour la plupart des communautés culturelles, qui l'adulent et boivent ses propos.
La première conférence de Ramadan à l'Université de Montréal a été un tel succès qu'il a aussitôt été invité à revenir. Depuis, il a prononcé à Montréal trois autres conférences dans des salles combles.
Caroline Fourest attire des gens, elles aussi, mais en moins grand nombre. Et si je me fie au public qui est venu l'entendre à la Grande Bibliothèque, les jeunes y forment une minorité perdue dans une mer de têtes grises et blanches.
On comprendra qu'ayant choisi la voix de la raison et non celle de l'hystérie démagogique, Caroline Fourest récolte ce qu'elle sème: un public mûr et mature qui a envie de comprendre, de s'informer et de débattre, plutôt que de partir en croisade ou d'être galvanisé par un prédicateur comme Ramadan. S'ajoute à cela une réalité indéniable: la voix de Ramadan résonne surtout auprès de jeunes musulmans minoritaires en plein questionnement identitaire. Leur révolte, normale pour leur âge et attisée par leur statut minoritaire, est un terreau fertile pour les démagogues.
À l'inverse, les jeunes laïques québécois, si tant est qu'ils existent, ne forment pas de groupe soudé et homogène. On ne les voit jamais manifester dans les rues ni remplir des auditoriums en revendiquant un réel État laïque. C'est dommage. Car avec la montée des intégrismes, aussi bien celui de Tariq Ramandan que de Mgr Ouellet, la nécessité de reconnaître la laïcité comme un des fondements de notre société apparaît plus vitale que jamais.
En écoutant Caroline Fourest cette semaine, j'ai compris à quel point un discours clair, intelligent et renouvelé sur la laïcité manquait au débat public québécois. En même temps, je me réjouis de voir une première fenêtre s'ouvrir. J'espère qu'on se passera le mot et que la prochaine fois que Caroline Fourest sera invitée chez nous, la salle sera comble et que les jeunes laïquess épris de liberté et d'égalité y seront encore plus nombreux que les jeunes fidèles de Tariq Ramadan.
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