Conflit étudiants-gouvernement

L'éducation n'a pas de prix

Le Québec est peut-être mûr pour un vaste chantier de réflexion sur l’éducation à tous les niveaux sous forme d’États généraux de l’éducation

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012

L’éducation n’a pas de prix.
Le débat sur la hausse des frais de scolarité fait rage, mais les enjeux en sont souvent mal compris. Les positions opposées divisent selon les positions et les critères d’évaluation du conflit. Le gouvernement de Jean Charest oppose l’opinion publique au mouvement étudiant en prétendant que la majorité dite silencieuse a pris position en sa faveur. Oui, mais… De larges segments de la population s’opposent à la hausse des frais de scolarité, mais disent non aux moyens de pression. « Ça dérange tout le monde! C’est l’anarchie! », répètent certains, ou encore que le « gros bon sens » devrait prévaloir… Pas besoin de faire la grève pour cela… etc. Tout devrait s’arranger par magie. Non ! La pensée magique ne fonctionne pas avec ce gouvernement et le problème reste entier.
Les enjeux autour de l’éducation ne réfèrent pas seulement à une question de gros sous. Les problèmes se tissent par des fils entremêlés parce que les frais de scolarité représentent plus que l’inscription dans une institution, car de nombreux frais afférents (matériels pédagogiques, hébergement, alimentation, transport, etc.) s’ajoutent et il ne faut jamais perdre de vue la situation économique et le statut social des parents. En outre, il faut faire le débat sur tout le système d’éducation supérieure, pas seulement en termes de sous et de structures, mais en termes d’orientation, d’organisation et de gestion.
Un vieux dicton dit que « l’éducation est le plus bel héritage à laisser à nos enfants… » C’est vrai, mais à quel prix ? Les étudiantes et les étudiants qui se font geler sur les piquets de grève ou qui, à l’occasion, se font matraquer par les forces policières nous rappellent que le débat sur la hausse des frais de scolarité n’est pas aussi simple que ce que nous fait croire le gouvernement de Jean Charest. La propagande gouvernementale laisse entendre qu’il s’agit d’une très petite hausse répartie sur plusieurs années. Le gouvernement n’ose jamais mentionner que derrière cette hausse et ces endettements, de gros joueurs comme les banques et les compagnies d’assurance accumulent les profits sur le dos des parents et des étudiants et des étudiantes. Par ailleurs, les enfants des riches n’ont pas besoin d’emprunter pour payer les études. Et les plus pauvres de la société n’ont pas les moyens de payer des assurances et souvent ils ne sont pas propriétaires, donc leurs capacités financières sont réduites à néant. Qui en profite ? Les banques. Première contradiction !
Oui, qui profite vraiment de la hausse ? Le gouvernement Charest répète qu’il est disposé à bonifier le régime des prêts et bourses, mais que cache-t-il derrière cette stratégie de confrontation? En réalité, il s’agit d’un simple maquillage du système d’endettement. « Le gouvernement libéral va vous aider à mieux vous endetter », se trouve-t-il à dire en d’autres mots. Pourquoi ? Premièrement, cette politique s’inscrit dans son vaste plan de « réingénierie » de l’État, c’est-à-dire une stratégie de diminution du rôle de l’État qui devrait d’abord respecter son mandat de protection des droits sociaux et économiques des citoyens et des citoyennes. Au contraire, il propose une privatisation en douce de l’éducation ou, devrait-on dire, « l’individualisation » de l’éducation. Chaque individu doit faire sa part, dit-on. Le gouvernement fait constamment jouer cette cassette usée : endettez-vous si vous voulez étudier ! Ou encore, l’éducation est une marchandise comme une autre : consommez-la à vos frais ! Les banques vous ouvrent leur porte à d’alléchantes conditions de crédit. Pourtant, du coin de la bouche, les économistes répètent que les gens sont trop endettés… Deuxième contradiction !
Comme le mentionnait Estelle Grandbois et Mathieu St-Onge dans un article paru dans Le Devoir du 17 mars : « Les données du ministère de l'éducation indiquent que de 1989 à 2008, 1,4 milliard de dollars ont ainsi été versés en intérêts seulement aux institutions financières par le gouvernement du Québec. Pour l'année 2007-2008, année où fut amorcée une augmentation des droits de scolarité échelonnée sur cinq ans, les intérêts ainsi versés par le gouvernement se sont chiffrés à près de 79,6 millions, comparativement à 74,2 millions pour l'année 2006-2007. Pour l'année 2016-2017, soit au terme de la plus récente hausse décrétée par le gouvernement libéral, l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) estime qu'entre 3,4 et 5,6 millions en intérêts supplémentaires seront à verser aux institutions financières. (…) L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) a calculé que, dans le cadre du remboursement des seuls prêts accordés durant l'année 2006-2007, soit l'année précédant la dernière vague de hausse, c'est 32 millions en intérêts qui auront été versés aux institutions financières par les étudiants ». Troisième contradiction !
Ces chiffres parlent. Ce regard sur la réalité révèle clairement que le gouvernement libéral propose une démarche de plus en plus marquée vers la privatisation de l’éducation. En bout de piste, cela signifie que de plus en plus de parents et d’étudiants et d’étudiantes finiront par payer de plus en plus aux banques. Ces dernières se tordent de rire ; elles reçoivent de beaux cadeaux du gouvernement. Les prêts pour les études sont garantis par le gouvernement. Si une personne ne peut rembourser, après des années d’accumulation des intérêts, le gouvernement va couvrir le prêt. Quatrième contradiction !
En opposition à cette logique marchande, posons-nous une simple question : comment se fait-il que des pays arrivent à offrir une éducation gratuite de qualité à tous les niveaux et que nous, dans ce pays dit riche, les plus pauvres doivent s’endetter pour étudier ? Le gouvernement de Jean Charest se dit incapable de financer l’éducation à son juste niveau. Curieuse contradiction, car il trouve toujours l’argent pour réduire les impôts des entreprises, construire routes et ponts pour les multinationales des mines et leur accorder de généreuses subventions. Et que dire de la contribution de 200 millions à Quebecor et à la ville de Québec pour construire un amphithéâtre pour les millionnaires du hockey et les spectacles. Cinquième contradiction !
Dans cette gigantesque mécanique à enrichir les banques et les compagnies d’assurance, on fait semblant que les individus qui obtiendront un diplôme universitaire vont rouler sur l’or. La réalité n’est pas aussi rose ; certaines professions s’avèrent prometteuses de lendemains dorés comme les médecins, les avocats (et pas tous..), les ingénieurs, les architectes, les pharmaciens et quelques autres… Par ailleurs, il ne faut pas oublier les autres. Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Ceux et celles qui détiendront un diplôme en éducation, en travail social, en sociologie, en anthropologie, en art et dans bien d’autres domaines, ils et elles sont loin d’être assurés de dénicher un boulot qui leur permettra de régler leur dette. Dans les écoles, par exemple, combien de jeunes enseignantes diplômées se retrouvent à faire de la suppléance pendant plusieurs années avant de réussir à obtenir un poste régulier avec un vrai salaire. La même situation existe dans les services sociaux. Et il en est ainsi dans plusieurs domaines. Comme le souligne Colette Bernier, « nous vivons dans une «société du risque», où le chômage et la précarité d'emploi frappent aussi maintenant les diplômés universitaires. Sait-on seulement que le cinquième des diplômés universitaires (et pas seulement des immigrants) occupe des emplois sous-qualifiés par rapport à leur scolarité selon une étude de 2006 de Statistique Canada? » Sixième contradiction !
À ce panorama de la démarche gouvernementale vers la privatisation de l’éducation, s’ajoute la place des écoles privées dans le système d’éducation. Ce réseau scolaire est financé à 60 % par le ministère de l’éducation à même les impôts de l’ensemble des contribuables. Pourtant, dans les faits, l’accès à ces écoles se limite à une minorité de gens qui ont les moyens d’y inscrire leurs enfants. Septième contradiction ! Mais alors, pour financer le système public, laissons le système privé jouer sur sa patinoire et rapatrions graduellement une partie de ces subventions payées à même les taxes des contribuables vers le secteur public.
Autre piste suggérée par Québec Solidaire : « Pour financer la réalisation de l’accessibilité universelle à l’université, Québec solidaire veut mettre à contribution les institutions financières qui ont vu leurs profits augmenter en pleine crise financière mondiale; ces profits se chiffraient à 25,5 milliards $ au Canada pour la seule année 2011.
« Il suffirait d’instaurer une taxe sur le capital des entreprises financières pour permettre de respecter les objectifs de financement universitaire que le gouvernement libéral a lui-même fixés. Un taux de base à 0,3% générerait les 228 millions $ que la hausse veut aller chercher dans les poches des étudiants et de leurs parents. La gratuité scolaire serait quant à elle atteinte avec un taux de base à 0,8% appliqué progressivement » .
Le gouvernement ne veut pas bouger. De plus en plus, comme tous les gouvernements, on oriente la formation supérieure vers une formation « utilitaire »
, c’est-à-dire au service des entreprises. Cela fait partie de la dynamique de privatisation de tous les types de formation. Au frais de qui? De la fameuse classe moyenne et des plus démunis. Huitième contradiction !
Pendant ce temps, à tous les niveaux du système d’éducation, les élus du Parti libéral comme de la Coaliation pour l’avenir du Québec bricolent de vieilles solutions qui se sont avérées des échecs aux Etats-Unis, par exemple, en ce qui a trait à la rémunération au mérite pour les enseignants et les enseignantes.
En résumé, actuellement, les politiques gouvernementales contribuent à perpétuer les privilèges des mieux nantis dans l’accès au système de l’éducation à tous les niveaux. La hausse des frais de scolarité s’inscrit dans cette perspective et fait en sorte que le système d’éducation devient de moins en moins accessible à ceux qui devront s’endetter pour étudier. Pourtant, l’inverse est possible. L’éducation n’a pas de prix et c’est un droit, pas une marchandise. C’est bien ce qu’a rappelé la Ligue des droits et libertés dans sa position émise publiquement le 19 mars dernier : « L’éducation est un droit humain reconnu dans la Déclaration universelle. Le Canada et le Québec l’ont reconnue par leur adhésion au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) en 1976. Cette adhésion leur impose des obligations précises qui ont été établies par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU ».
Le Québec est peut-être mûr pour un vaste chantier de réflexion sur l’éducation à tous les niveaux sous forme d’États généraux de l’éducation qui mobiliserait toutes les forces vives, tous les acteurs de l’éducation, jeunes, parents, corps enseignants et gestionnaires de tous les niveaux.
André Jacob, candidat Québec Solidaire dans Charlevoix/Côte-de-Beaupré/Ile-d’Orléans.
12 avril 2012


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2 commentaires

  • Daniel Roy C.A. Répondre

    14 avril 2012

    Le gouvernement Charest est le gouvernement du monde de la finance. Il vend nos ressources pour des bouchées de pain et son allégeance première va au Canada, alors que ce Canada dépense des sommes colossales en armement plutôt que d'accorder des points d'impôts au Québec. Vive le gel des frais de scolarité. Vive même la gratuité scolaire. Vive un gouvernement souverainiste et indépendantiste à Québec. Vive un pays du Québec. P.-S. Ne vous essoufflez pas étudiants, cela fait 40 ans que je milite pour l'indépendance du Québec et cela fait 7 ans que je milite pour la démission de Charest et la destitution de son gouvernement. Votons intelligemment et continuons le combat!

  • Stefan Allinger Répondre

    14 avril 2012


    Quelle belle analyse.
    L'endettement sert a faire de l'argent avec de l'argent sans valeur ajoutée. Le pire du capitalisme financier qui a déjà créé les crises économiques que l'on connaît.
    Cette idéologie capitaliste est dépassé et sans avenir mais les croyants refusent de le voir.
    De plus, ils refusent les coûts sociaux et environnementaux de leurs projets.
    Le Titanic qu'ils conduisent est hors contrôle et chacun s'assure d'avoir une place dans un bateau de sauvetage pendant que la masse va se noyer sous les dettes.
    Je vais aller prendre une marche au soleil ça va me faire du bien!
    Stefan Allinger